Il est des démons qu'on ne peut chasser que par le jeûne et la prière
«Il est des démons qu’on ne peut chasser que par le jeûne et la prière». Ce verset de l’évangile de Matthieu (17,21), que certains exégètes ne jugent pas authentique, est néanmoins une référence récurrente lorsqu’il s’agit de décrire le pouvoir du jeûne, non seulement sur le corps et la matière, mais aussi sur l’esprit du mal, en l’occurrence le démon.
Maurice Page
Après l’assassinat du Père Jacques Hamel, le 26 juillet 2016 par deux jeunes musulmans fanatisés, Mgr Georges Pontier, alors président de la Conférence des évêques de France, invita solennellement à une journée de prière et de jeûne en réponse à la barbarie. «Ce sont nos armes à nous, celles de la prière et de la paix, en refusant d’amplifier la réaction normale et première de peur», expliquait l’archevêque de Marseille. «Le jeûne, une arme contre le terrorisme», titra alors l’agence France-Presse (AFP).
Une arme contre le terrorisme
Face au meurtre particulièrement odieux d’un vieux prêtre de 86 ans alors qu’il célébrait la messe, l’évocation de Satan comme puissance du mal a ressurgi de manière forte et spontanée. «Va-t-en Satan, va-t-en Satan!» aurait crié le Père Hamel face au couteau de son agresseur.
Le jeûne est un outil de lutte personnel et social
Après la tuerie, la réponse de l’Eglise a associé la prière et le jeûne. Dans le jeûne, l’aspect de refus du démon est bien présent. Dans l’évangile, Jésus passe quarante jours de jeûne au désert avant d’affronter Satan. A ses disciples, il explique qu’il est des démons qu’on ne peut chasser que par le jeûne et la prière (Mt.17.21 Mc 9.29). Le jeûne doit aider à résister aux envies de violence et de vengeance. C’est également l’occasion de ressentir ses propres faiblesses, de réfléchir à sa vulnérabilité.
Contre la guerre en Irak
De toutes les époques, et pas seulement chez les chrétiens, le jeûne est un outil de lutte personnel et social, notamment chez les musulmans, lors du ramadan. Il a toujours été un instrument pour la non-violence, que ce soit chez Gandhi, à travers plusieurs grèves de la faim, ou chez nombre d’activistes religieux, mais aussi sociaux ou politiques.
Au début du carême 2003, alors que s’amplifie chaque jour la menace de guerre sur l’Irak, le pape Jean Paul II invite au jeûne pour demander à Dieu «avant tout la conversion de notre cœur dans lequel s’enracine toute forme de mal et toute inclination au péché; nous devons prier et jeûner pour la cœxistence pacifique entre les peuples et les nations». «Il existe un lien étroit entre le jeûne et la prière. Prier c’est se mettre à l’écoute de Dieu et le jeûne favorise cette ouverture du cœur», expliquait le pape polonais.
Le jeûne comme combat spirituel
Jeûner c’est participer à l’expérience du Christ lui-même, «par laquelle il nous libère de notre entière dépendance envers la nourriture, la matière et le monde, relève le théologien orthodoxe le Père Alexandre Schmemann. Jeûner ne signifie qu’une chose: avoir faim, jusqu’à la limite de la condition humaine qui dépend entièrement de la nourriture, et là, ayant faim, découvrir que cette dépendance n’est pas toute la vérité au sujet de l’homme, que la faim elle-même est avant tout un état spirituel et que, finalement, elle est en réalité la faim de Dieu».
«Le jeûne permet de restituer au désir son élan originel, c’est-à-dire de le retourner vers Dieu afin d’aimer Dieu et d’aimer la Création en lui», complète le Père Nicolas Buttet, fondateur de la communauté Eucharistein, en Valais. «Il s’agit d’une lutte spirituelle, qui est dirigée contre le péché, et, en ultime analyse, contre Satan. C’est une lutte, au cours de laquelle sont utilisées les ‘armes’ de la prière, du jeûne et de la pénitence et qui exige une vigilance attentive et constante».
«Celui qui ne prie pas le Seigneur, prie le diable»
Pape François
Le jeûne «assure la maîtrise de la volonté sur les instincts et affranchit ainsi le légitime plaisir que procurent les biens matériels. Mais l’ascèse n’est pas en elle-même une vertu. Autrement dit, si l’on ne devient pas saint sans ascèse, ce n’est pas l’ascèse qui fait le saint, poursuit Nicolas Buttet. L’orgueil est toujours à l’affût.»
«On ne dialogue pas avec le diable, on le combat»
Dans le verset de l’évangile de Matthieu, le jeûne est explicitement considéré comme un moyen de chasser les démons. Si les évangiles parlent abondamment de Satan, si le Moyen Age est friand de représentations du diable, la plupart des théologiens et des chrétiens d’aujourd’hui restent frileux sur le sujet… sauf le pape François. «Celui qui ne prie pas le Seigneur, prie le diable», soulignait-il dès la première messe après son élection, en mars 2013.
Pour le Catéchisme de l’Eglise catholique, le diable n’est pas ‘une vieille superstition’. Satan ou diable se réfère à l’ange déchu qui a désobéi à Dieu: «La plus grave en conséquences de ces œuvres a été la séduction mensongère qui a induit l’homme à désobéir à Dieu» (394). «Dans ce péché, l’homme s’est préféré lui-même à Dieu, et par là même, il a méprisé Dieu.»(398)
De fait, la vie spirituelle a toujours été représentée comme un combat. Saint Antoine du désert face à des masques grimaçants, saint Benoît face à un diablotin aux pieds fourchus, le curé d’Ars confronté à des esprits frappeurs… Sans oublier l’archange Michel qui ferraille avec les armées démoniaques.
Sainte Thérèse d’Avila, au XVIe siècle, s’en explique à la fois avec pertinence et humour: « Si le Seigneur est aussi puissant, comme je le sais et comme je le vois; si les démons ne sont que ses esclaves, […] quel mal peuvent-ils bien me faire si je suis la servante de ce Seigneur et Roi ? […] je n’aurais pas craint de descendre dans l’arène pour lutter contre eux tous, et je leur criais: «Approchez, maintenant que je suis la servante du Seigneur, je veux voir ce que vous êtes capables de me faire ! […] aujourd’hui, je ne les crains pas plus que les mouches. […] Savez-vous quand les démons nous effraient ? Quand nous nous soucions vivement des honneurs, des plaisirs et des richesses de ce monde.» (cath.ch/mp)
Série de carême
Nourritures terrestres, nourritures célestes
Le jeûne est l'une des démarches traditionnelles de Carême. Par la privation volontaire de nourriture, le fidèle veut davantage se mettre à l'écoute de Dieu, en remplaçant la nourriture terrestre par la nourriture céleste. Au fil de sept épisodes, cath.ch dévoile sous un angle différent, chaque vendredi du temps de Carême, les liens que nous tissons entre alimentation et spiritualité