Ignazio Cassis pour un ambassadeur suisse résident au Vatican
Le département fédéral des affaires étrangères (DFAE) a annoncé le 3 novembre 2020 le report de la visite en Suisse du cardinal Secrétaire d’Etat du Saint Siège Pietro Parolin prévue du 7 ou au 9 novembre. Avant l’annulation, le Conseiller fédéral Ignazio Cassis, chef du Département des Affaires étrangères (DFAE) a répondu aux questions de kath.ch sur l’état des relations entre les deux pays.
Raphael Rauch kath.ch / traduction adaptation Maurice Page
Cette visite officielle du cardinal Parolin, avec des étapes à Lugano, Berne, Einsiedeln et Fribourg devait marquer les cent ans de la reprise des relations diplomatiques entre la Confédération helvétique et le Saint-Siège.
En tant que conseiller fédéral, cela fait-il une différence que vous rencontriez un haut fonctionnaire – ou un dignitaire spirituel?
Ignazio Cassis: J’ai rencontré le cardinal Parolin l’année dernière à New York pour préparer l’anniversaire «100 ans de reprise des relations diplomatiques». J’ai eu le sentiment de parler non seulement avec le représentant d’un État, mais aussi d’une institution à laquelle appartiennent plus d’un milliard de catholiques.
On dit que les deux meilleurs corps diplomatiques dans le monde sont ceux de la Suisse et du Vatican.
Quand je parle avec le cardinal Parolin, je ressens cette tradition diplomatique. On est prudent, on pèse chaque mot. On a tendance à mettre l’accent sur le positif et à embellir un peu la réalité. Dans une petite clause subordonnée, on mentionne ce qui n’est pas encore parfait. Ces entretiens sont menés différemment avec les autres chefs d’Etat.
La Confédération suisse et le Vatican ont rétabli leurs relations diplomatiques il y a 100 ans. Que souhaitez-vous dire au Cardinal Parolin?
Il y a 100 ans, la Suisse a dit au revoir au Kulturkampf. Je crois qu’il est temps d’ouvrir un nouveau chapitre entre la Suisse et le Saint-Siège.
À quoi pourrait ressembler ce nouveau chapitre?
Nous aimerions travailler plus étroitement ensemble. Nous avons des valeurs et des intérêts similaires dans certains domaines. Cela commence avec la Garde suisse et va jusqu’à la lutte contre la peine de mort.
La Suisse n’a qu’un ambassadeur non-résident auprès du Saint-Siège. L’ambassadeur de Suisse en Slovénie représente les intérêts suisses au Vatican depuis Ljubljana. Pourriez-vous aussi imaginer avoir un propre ambassadeur résident?
Nous sommes en train d’examiner cette question à la demande du Vatican. Mais aucune décision n’a encore été prise.
C’est probablement trop cher, non?
Ce n’est pas seulement une question d’argent. Il s’agit aussi d’autres questions. Mais je ne peux pas en dire plus pour l’instant.
Le Saint-Siège et la Suisse ont de nombreux intérêts communs dans l’arène diplomatique: droits humains, protection de l’environnement, maintien de la paix, interdiction de la peine de mort. Mais il y a aussi des divergences, par exemple en ce qui concerne l’avortement, l’euthanasie ou le mariage pour tous. Comment les percevez-vous?
Notre Constitution commence par les mots : «Au nom de Dieu, le Tout-Puissant! C’est une tâche qui nous incombe. Nous sommes en même temps une nation sécularisée. Mais nous avons des valeurs qui sont chrétiennes… Nous avons beaucoup en commun avec le Saint-Siège.
Mais il y a aussi des différences. Le Vatican adopte une position conservatrice en ce qui concerne l’image de la famille. Nous voyons les choses différemment.
La Garde suisse établit un lien direct et privilégié entre la Suisse et le Vatican. C’est une institution du Saint-Siège qui ne dépend pas du gouvernement ni des autorités suisses. Elle participe néanmoins beaucoup à l’image de la Suisse à l’étranger.
La Garde suisse est une figure de proue de la Suisse. Il ne s’agit pas seulement d’une politique de sécurité – c’est bien plus que cela. Nous ne devons pas sous-estimer l’effet sur les relations publiques. Lorsque le pape célèbre une messe, celle-ci est diffusée dans le monde entier. Les gardes sont visibles dans le monde entier. Ils défendent les valeurs suisses: ils sont précis, ponctuels, travailleurs – tout comme la Suisse. Je suis ravi que le nombre de gardes soit passé à 135.
Avez-vous rêvé d’être garde suisse?
Non. Mais un bon copain de mon village a rejoint la Garde suisse après l’école. Nous étions tous pleins d’admiration et aussi un peu envieux.
Une affaire financière met actuellement à rude épreuve les relations entre le Vatican et la Suisse. Il s’agit d’argent acheminé par la banque BSI Lugano et le Crédit Suisse…
L’Office fédéral de la justice a reçu une demande d’entraide judiciaire cette année. Le ministère public de la Confédération enquête sur l’incident. L’Office fédéral a envoyé au Vatican la première partie des documents en avril. Depuis lors, d’autres enquêtes ont été ouvertes. (cath.ch/rr/mp)
Les raisons d’une présence suisse renforcée à Rome
L’une des plus anciennes missions diplomatiques au monde est la nonciature en Suisse, rappelle Paul Widmer, dans un commentaire pour kath.ch. Pour le diplomate qui a été ambassadeur de Suisse auprès du saint-siège de 2011 à 2014, la Confédération aurait un intérêt évident à avoir un ambassadeur résident au Vatican.
Le Saint-Siège avait déjà établi une nonciature à Lucerne en 1595. Mais dans la seconde moitié du XIXe siècle avec le Kulturkampf, les relations diplomatiques ont été rompues. Il y a exactement cent ans, le Saint-Siège a rouvert une représentation permanente à Berne. Cependant, la Suisse n’avait pas établi, comme c’est l’usage, de droits réciproques. Elle s’est contentée d’envoyer parfois un émissaire en mission spéciale à Rome.Ce n’est qu’en 2004 qu’elle a nommé un ambassadeur titulaire auprès du Saint-Siège, mais seulement en accréditation parallèle. Cela signifie que cet ambassadeur ne réside pas à Rome et ne remplit ses fonctions qu’à titre accessoire. Actuellement, l’ambassadeur de Suisse en Slovénie est également accrédité auprès du Saint-Siège.
L’Eglise catholique a un des réseaux les plus denses au monde
Aujourd’hui, la Suisse devrait nommer un ambassadeur à plein temps auprès du Saint-Siège, estime Paul Widmer qui y voit d’abord une raison de réciprocité. Tous les pays voisins de la Suisse, ont depuis longtemps un ambassadeur résident auprès du Saint-Siège. Deuxièmement, après l’Italie, la Suisse possède la plus grande colonie de ses propres citoyens au Vatican avec plus d’une centaine de Gardes suisses. Le fait d’élever les relations diplomatiques au niveau d’une ambassade à part entière serait un signe de reconnaissance pour ce corps très méritant.
Enfin pour Paul Widmer, le Saint-Siège est une autorité morale, notamment en matière de liberté de croyance, de conscience et de religion. Avec son réseau mondial de 5’000 diocèses et plus de 400’000 prêtres, elle est également une excellente source d’information sur les violations des droits humains dans les coins les plus reculés du monde. En outre, le Saint-Siège est un forum important pour les questions brûlantes du jour, comme le dialogue interreligieux et interculturel. (kath.ch/mp)