La presse romande divisée face à Humanae vitae de Paul VI | montage: cath.ch
Suisse

«Humanae vitae»: en 1968, la presse romande s’embrase

«Prise de position héroïque» ou «Retour au Moyen Age»: au lendemain de la publication d’Humanae vitae en juillet 1968, la presse romande se saisit du sujet soit pour saluer le courage du pape soit, au contraire, pour dénoncer une pensée d’un autre temps. Tour d’horizon.

«Alors que le monde un peu partout menace de sombrer dans la facilité, la contestation anarchique, voire aussi le matérialisme athée, l’encyclique Humanae vitae est une prise de position héroïque», titre Le Nouvelliste le 31 juillet 1968, au lendemain de la publication officielle de l’encyclique contestée du pape Paul VI. Les réactions sont encore peu nombreuses, mais le journal valaisan prévoit de vives protestations. «On traitera probablement Paul VI de conservateur, d’intégriste, d’ennemi du monde moderne.» Pour autant, s’interroge le Nouvelliste, le pape «n’a-t-il pas eu besoin d’un courage héroïque pour prendre une décision qui causerait vraisemblablement une levée de boucliers dans le monde et peut-être même au sein de l’Eglise?»

Après Populorum progressio, Paul VI, brisant les espoirs de fidèles innom­brables, vient de replonger la catho­licité dans le Moyen-Age».

Les prévisions du Nouvelliste se révèlent exactes. «Retour au Moyen-âge» titre La Sentinelle, le 31 juillet 1968. De l’autre côté du spectre politique, le journal fondé par l’Union des sociétés ouvrières de La Chaux-de-Fonds dénonce des faits que ni «l’autorité du Vatican», ni «le magistère de l’Eglise» ne feront taire. Ces faits, ce sont «les centaines de milliers d’enfants nés sans père, à la suite de rencontres fortuites, ou de viols, ou de ›bêtises de jeunesse’». Ces faits, ce sont aussi «les femmes privées malgré la maternité des joies qui devraient l’accompagner, parce qu’elles ont été contraintes d’être mères quand les circonstances ou leur état psychique ne s’y prêtaient pas».

«Des millions de catholiques, de chrétiens, vont avoir, soit à affronter de déchirants pro­blèmes de conscience, soit à subir un des plus lourds éléments de leur esclavage, assure La Sentinelle. C’est grave, très grave. Après Populorum progressio, après un ré­jouissant mouvement mondial d’éveil de l’Eglise au progrès social, Paul VI, brisant les espoirs de fidèles innom­brables, vient de replonger la catho­licité dans le Moyen-Age».

Une «profonde gratitude»

Plus retenu, la Gazette de Lausanne publie le 30 juillet 1968 «la déception et l’inquiétude» du pasteur Laurent Bosshard. «La doctrine traditionnelle l’a emporté sur la vie», regette-t-il, avant d’ajouter: «La dernière encyclique de Paul VI ne se réfère nullement à la Bible. Heureusement! Le raisonnement catholique contre la régulation des naissances est toujours étayé sur des arguments qu’on emprunte à la philosophie ou à la théologie naturelle. Or l’homme, selon l’Ecriture, n’a-t-il pas reçu vocation de dominer la nature?»

De son côté, La Liberté de Fribourg reprend le 31 juillet une nouvelle de l’Agence de presse catholique KIPA qui fait mention de la démission de l’abbé Anton Meinrad Meier. Le professeur de théologie morale au Grand Séminaire de Soleure «ne se voit plus en mesure de continuer son professorat après la publication de l’encyclique».

Quelques jours plus tard, le journal fribourgeois publie dans son intégralité le télégramme adressé le 3 août 1968 par le cardinal Journet, Mgr Charrière et Mgr Mamie à Paul VI. «Veuillez nous permettre d’exprimer à Votre Sainteté en notre nom, et au nom de prêtres et fidèles, notre profonde gratitude pour avoir, en continuité avec le récent Concile et le constant enseignement du magistère, réaffirmé, dans la confusion des esprits, la sainteté absolue des lois de la transmission de la vie.» Et les prélats d’ajouter: «L’étonnement causé dans le monde par votre Encyclique Humanae vitae, apparaît comme l’écho de celui causé jadis par le Sauveur enseignant aux disciples l’indissolubilité du mariage».

Soumettez-vous!

Le 7 août, l’Agence télégraphique suisse publie les propos de l’évêque de Sion, Mgr Adam: «Celui qui ne veut pas se soumettre [à l’enseignement du pape] n’est plus catholique. Tout homme est libre de croire ou de ne pas croire. En tant que catholiques, nous devons en matière de foi et de moeurs obéir au souverain pontife, successeur de Pierre, vicaire du Christ. Si nous nous y refusons, ayons la loyauté et le courage de sortir de l’Eglise».

«Fallait-il demander au pape?», s’interroge l’éditorialiste de Journal de Genève, le 8 août 1968. Soulignant les remous de l’encyclique au sein de l’Eglise catholique, il s’étonne: «Il y a en vérité quelque paradoxe dans la rébellion catholique. S’ils se réservent les règles de leur vie personnelle, pourquoi prétendent-ils se soumettre à une Eglise ainsi hiérarchisée? On ne peut avoir droit en même temps au confort de la dogmatique et aux joies du libre examen». «La conclusion évidente de ce désarroi, souligne encore l’éditorialiste, c’est qu’il ne pouvait y avoir une réponse simple, dogmatique et universelle au problème de la contraception. En attendant du pape un verdict sans appel, conforme à sa mission, on ne fait que mettre en évidence la précarité du caractère universel de son Eglise».

Contrastes épiscopaux

Les mois passent et la prise de position de l’épiscopat suisse se fait attendre. D’autant que de l’autre côté de la frontière, les évêques français publient le 8 novembre 1968, une note pastorale remarquée appelant à la responsabilité des époux. «La contraception ne peut jamais être un bien, écrit la Conférence épiscopale française, au terme de son assemblée plénière à Lourdes. Elle est toujours un désordre, mais ce désordre n’est pas toujours coupable. Il arrive, en effet, que les époux se considèrent en face de véritables conflits de devoirs». En envisageant le conflit de devoirs, l’épiscopat rappelle l’enseignement traditionnel de l’Église: devant «deux maux», les époux devront «rechercher devant Dieu (…) quel devoir est majeur.»

Un mois plus tard, la perspective est différente en Suisse. L’épiscopat rappellent aux parents «que s’ils sont responsables devant leur conscience, ils le sont encore plus devant Dieu dont la volonté est inscrite dans l’ordre naturel et interprétée par l’enseignement autorisé de l’Eglise». Les évêques, dont les propos sont publiés dans La Liberté du 12 décembre 1968, réaffirment «les principes qui doivent orienter la réflexion et la conscience dans un problème dont ils ignorent moins que personne la complexité parfois dramatique». Ils entendent toutefois «prendre leur part des problèmes douloureux que connaissent certains foyers pour les aider à faire de leur vocation une route de lumière et de générosité». (cath.ch/arch/pp)

La presse romande divisée face à Humanae vitae de Paul VI | montage: cath.ch
27 juillet 2018 | 15:01
par Pierre Pistoletti
Temps de lecture : env. 4  min.
Humanae vitae (14), Médias (135), suisse (251)
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