Ecologie: "tous les compteurs sont au rouge", selon Hubert Reeves (Photo: Georges Seguin/CC BY-SA 3.0)
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Hubert Reeves: «L’espèce humaine pourrait disparaître»

Astrophysicien et auteur de nombreux ouvrages scientifiques, Hubert Reeves n’a pas son pareil pour rendre accessible au grand public le cosmos et ses mystères. Aujourd’hui, à 86 ans, il mène un combat pour la protection de la biodiversité. Car, pour lui, une certitude s’impose: ce n’est pas la planète qui est en danger, mais l’espèce humaine!

Qu’est-ce qui fait bouger et motive l’action d’Hubert Reeves? Il répond sans détour: «La prise de conscience de la situation présente, c’est-à-dire le fait que nous vivons une vie confortable mais menacée». Pour lui, «tous les compteurs sont au rouge». «J’ai des enfants et des petits-enfants et je suis inquiet de la vie qu’ils auront dans un futur qui n’est pas très lointain. A l’échelle de trente ans, personne ne sait ce que sera cette planète». Son inquiétude porte, entre autres sur la détérioration de notre environnement, le réchauffement climatique, l’acidification des océans (c’est-à-dire la diminution progressive du pH des océans), etc. «Il est trop tard maintenant pour douter de cela», dit-il.

Au départ, qu’est-ce qui vous a amené vers les sciences?
C’est une passion d’enfant. Je vivais au Canada dans une famille où mes parents avaient une vénérable passion pour la nature. Nous vivions près d’un grand lac à Montréal. Pour ma famille, l’idée de la nature était très présente. J’ai eu de la chance d’avoir eu des parents qui m’ont inculqué cet amour et pas seulement par des discours mais aussi par des actes.

Vous avez eu une éducation religieuse. Est-ce que la science a remis en cause cette éducation?
Ce qui a remis en cause la religion, ce n’est pas tellement la science. C’est plutôt le fruit de réflexions. J’étais très catholique et on m’enseignait que les chrétiens avaient «LA vérité», puisque nous avions la chance d’avoir reçu le message du Christ. A vrai dire, je vivais ça très bien. Mais une question me taraudait: les Chinois, eux, ont-ils reçu ce message? Et on me répondait: ça viendra! j’ai trouvé ça très «provincial», me disant que si j’étais né en Chine, que m’aurait-on répondu? «C’est nous qui avons la vérité et les autres pauvres membres de la population n’ont pas eu cette chance»? Je me suis donc dit que la religion catholique est une foi, mais qu’il existe beaucoup d’autres fois dans le monde et il faut voir au-delà de ces créneaux. Je ne suis plus pratiquant d’une foi particulière, mais je crois beaucoup à une interrogation sur le monde, sur le sens des choses. Je n’ai pas de réponse, mais cette interrogation m’est très importante.

«La vie sur la terre n’est pas vraiment en danger. Ce qui l’est, c’est l’espèce humaine»

Avez-vous encore une croyance en Dieu?
Que veut dire la Création? Qu’il y avait un temps où il n’y avait rien et puis, tout à coup, il y a eu quelque chose. Quelles preuves avons-nous du fait qu’un temps, il n’y avait rien? Aucune! C’est purement une création de l’esprit humain. Tout ce que nous savons, c’est que notre univers est très ancien et date d’au moins quatorze milliards d’années. Ce qu’il y avait avant, nous n’en savons rien. Pour ce qui est du problème plus général de Dieu, en observant les différentes religions, on s’aperçoit qu’il y a de grandes différences entre les messages. Si vous vivez en Europe, vous croyez vraisemblablement qu’il y a un Dieu et que celui-ci est un dieu personnalisé. C’est une personne, vous pouvez lui parler, vous pouvez prier. Vous êtes convaincus que lorsque vous priez, il y a quelqu’un «au bout de la ligne». En Chine, il y a un grand principe qui s’appelle le Tao organisateur. Ne perdez pas votre temps à le prier, parce qu’il n’y a personne au bout de la ligne. Avec ce fait d’avoir des réponses si différentes, comment expliquer que des êtres humains, à différents endroits de la planète aient des conceptions si différentes de ce que peut être ce Dieu? Nous sommes des humains; une espèce parmi des milliers d’autres sur notre planète. Chaque espèce a développé sa façon de vivre. Je pense que nous avons une intelligence qui nous a permis de nous adapter, de faire des merveilles, d’apprendre la physique, la théorie de la relativité. Nous avons vraiment un cerveau fabuleux. Mais, nous sommes limités. Le problème que vous posez, à savoir est-ce qu’au-delà, il y a un Dieu, cela nous dépasse.

Vous avez parlé du commencement du monde. Est-ce que le Big-Bang est le moment zéro de l’univers?
Non. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il y a une histoire de l’univers. Nous avons des preuves qu’il y a eu un passé, des étoiles, des galaxies, etc. Nous savons que nous pouvons retracer cette histoire jusqu’à quatorze milliards d’années et qu’à ce moment là, l’univers était extrêmement chaud, dense et lumineux. C’est ce qui s’appelle le Big-Bang. Nous n’avons aucune information sur ce qu’il y avait avant. Plutôt que dire le temps zéro, je dis que c’est l’horizon. Il ne faut pas faire d’affirmation là où il faut mettre un point d’interrogation.

Vous avez été président de l’association Nature & Biodiversité. Vous militez pour la protection de l’environnement. Notre planète est réellement en danger?
Notre planète n’est pas en danger. Elle va continuer à tourner longtemps autour du soleil. La vie sur la terre n’est pas vraiment en danger. Ce qui l’est, c’est l’espèce humaine. Elle pourrait disparaître. Cela nous choque parce qu’on nous a toujours affirmé que nous étions le chef d’œuvre de la création, le but de l’évolution. C’est faux! Nous sommes une espèce parmi des millions d’autres et toutes les espèces sont soumises à des nécessités pour exister. Et les espèces qui existent et qui durent, sont celles qui peuvent répondre à certaines contraintes, notamment de s’adapter à leur environnement et aux changements. Sur ce plan, l’espèce humaine est loin d’être adaptée. La nature nous a fait un grand cadeau: l’intelligence. Mais cette intelligence nous permet de faire des technologies extrêmement dévastatrices. Nous sommes contraints de gérer les produits de notre intelligence. Si nous ne le faisons pas, nous disparaîtrons.

Y-a-t-il quand même une possibilité de pouvoir conjuguer modernité et protection de l’environnement?
On l’espère. L’avenir est inconnu. Cela va demander des conférences internationales comme la COP21 lors de laquelle un événement de grande importance a eu lieu: pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, celle-ci s’est mis d’accord pour dire qu’il y a un problème: le réchauffement climatique. C’est un problème grave qu’il faut résoudre. C’est un peu le message que l’on veut diffuser avec notre mouvement: montrer qu’il y a un avenir possible, que l’humanité n’est pas condamnée à disparaître, que si elle s’y prend bien, elle pourrait arriver à s’en tirer.

Face au constat que vous avez fait et aux défis qui nous attendent, restez-vous optimiste?
Je veux rester optimiste. C’est du volontarisme. Je pense que quand on dit «c’est foutu», c’est que c’est foutu. Tant qu’on garde l’espoir, qu’on dit non, il faut se battre et faire ce qu’il faut, alors, ce n’est pas foutu. Comme Churchill, aux débuts des années 40, il faut avoir une attitude volontariste. C’est maintenant que les décisions vont se prendre pour influencer l’avenir de l’humanité pour des milliers d’années.

Ecologie: «tous les compteurs sont au rouge», selon Hubert Reeves
23 janvier 2017 | 16:11
par Pierre Pistoletti
Temps de lecture : env. 5  min.
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