Homosexualité : Dieu ne peut pas «dire mal» de deux personnes qui s’aiment
Les personnes homosexuelles ne sont pas des «pommes gâtées», assène le cardinal Jean-Claude Hollerich, archevêque de Luxembourg, et rapporteur général du Synode sur l’avenir de l’Église, dans un long entretien à L’Osservatore Romano daté du 24 octobre 2022. Pointant du doigt «l’inadéquation» d’une pastorale désormais dépassée, il invite à «repenser la mission» de l’Église.
Dans les pages du quotidien du Vatican, le cardinal Hollerich dresse un constat sans appel: «Notre pastorale parle à un homme qui n’existe plus». Il s’arrête longuement sur la question de l’accueil des personnes homosexuelles, faisant valoir que l’attitude fermée de l’Église fait fuir les jeunes, pour qui «la valeur la plus haute est la non-discrimination». Il cite ainsi une jeune fille de vingt ans exprimant son désir de quitter l’Église, parce qu’elle ne veut pas faire partie de ceux qui «jugent» les couples homosexuels.
«Le Royaume de Dieu n’est pas un club exclusif», répète celui qui est président de la Commission des Conférences épiscopales de la communauté européenne (COMECE), et vice-président du Conseil des conférences des évêques d’Europe (CCEE). Ce Royaume, ajoute-t-il, «ouvre ses portes à tous, sans discrimination». «Nous sommes appelés à annoncer une bonne nouvelle, pas un ensemble de normes ou d’interdits», affirme le cardinal jésuite qui invite à ne pas réduire le débat à des «subtilités théologiques» ou des «dissertations éthiques».
«Beaucoup de nos frères et sœurs nous disent que, quel que soit l’origine et la cause de leur orientation sexuelle, ils ne l’ont certainement pas choisie», constate encore le prélat, rappelant que les personnes homosexuelles sont «aussi des fruits de la création». Et aux différentes étapes de la création dans la Genèse, souligne alors le cardinal Hollerich, Dieu «vit que cela était bon».
Revenant sur la bénédiction des couples homosexuels proposée par les évêques belges flamands, il estime que cette question n’est pas «décisive». «Si nous en restons à l’étymologie du ‘bene–dire’ (dire du bien, ndlr), pensez-vous que Dieu puisse jamais ‘dire–mal’ de deux personnes qui s’aiment?», argumente-t-il, dans une formulation proche du fameux «Qui suis-je pour juger?» prononcé par le pape François en 2013.
Le rapporteur du synode clarifie cependant son propos: «Je ne pense pas qu’il y ait la place pour un mariage sacramentel entre les personnes de même sexe, parce qu’il n’est pas caractérisé par une fin procréative, mais cela ne veut pas dire que leur relation affective n’ait aucune valeur». Il suggère de discuter «d’autres aspects du problème», en partageant ses interrogations: «Par quoi est déterminée la croissance perceptible de l’orientation homosexuelle dans la société? Ou bien pourquoi le pourcentage d’homosexuels dans les institutions ecclésiales est-il plus élevé que dans la société civile?».
«François n’est pas libéral, il est radical«
Alors que s’ouvre la phase continentale du synode, le prélat diagnostique en Europe une «pathologie»: «Nous ne parvenons pas à voir avec clarté la mission de l’Église». En analysant les synthèses de la phase locale du synode, il constate que «nous parlons toujours des structures… mais pas suffisamment de la mission» d’annoncer l’Évangile.
Pour le cardinal Hollerich, «nous ne devons pas accomplir plus de pas vers la ‘libéralité’, mais entreprendre le chemin de la ‘radicalité’». «En Europe, relève-t-il, on entend souvent dire que François est un pape libéral. Le pape François n’est pas libéral: il est radical. Il vit la radicalité de l’Évangile». De même, «dans le monde, nous sommes observés et évalués pour la façon dont nous vivons l’Évangile».
Le cardinal luxembourgeois constate aussi que sur le rapport entre laïcs et clercs, les débats tournent souvent autour du «pouvoir». Selon lui, le synode allemand a été «très influencé par cette question», mais cela est «profondément mauvais», aussi bien pour qui conteste le pouvoir, que pour qui défend le pouvoir. «La synodalité va bien au-delà du discours sur le pouvoir», insiste-t-il.
»Nous devrions le crier sur les places«
Aujourd’hui, l’humanité est confrontée à des changements «plus grands que l’invention de la roue», note le cardinal Hollerich. Il voit cependant une constante chez les êtres humains: «la perception angoissante de la finitude humaine», même si la civilisation de la consommation cherche à «occulter et exorciser la question, avec la duperie du mythe de la jeunesse éternelle».
Sur ce tableau de fond, «la nouvelle évangélisation aujourd’hui, c’est montrer une hostie levée en disant ‘celui qui mange de ce pain ne meurt plus’», lance le cardinal. «Nous devrions le crier sur les places: ‘On ne meurt plus !’ […]. Et si nous ne le crions pas, en nous limitant à proposer une éthique du bien vivre, nous ne pouvons pas ensuite nous lamenter qu’il n’y a plus de croyants».
Le cardinal Hollerich se dit «très effrayé» par une «conception montante fonctionnaliste de la vie, selon laquelle si elle ne fonctionne pas, on la jette». «Cela m’a terrorisé de voir aux Pays-Bas l’élargissement de la pratique de l’euthanasie aussi aux malades psychologiques», confie-t-il. La même chose vaut pour le début de la vie, ajoute le prélat exprimant sa préoccupation face au «droit fondamental à l’avortement» invoqué au parlement européen.
Enfin, il dessine l’Église qu’il entrevoit dans vingt ans en Europe: «Plus petite mais aussi plus vivante». «Dans certaines parties du nord de l’Europe ce sera surtout une Église de migrants», prévoit-il, puisque «les riches autochtones sont les premiers à abandonner le navire, car l’Évangile grince avec leurs intérêts». (cath.ch/imedia/ak/mp)