Hans Zollner: «Voulons-nous que les enfants soient en sécurité?»
L’Église catholique doit travailler dur pour rendre la société plus sûre pour les enfants et éliminer les abus sexuels. C’est ce qu’exige le jésuite Hans Zollner, membre de la Commission pontificale pour la protection des mineurs et directeur du Centre de protection de l’enfance.
Raphael Rauch, kath.ch / traduction et adaptation Maurice Page
Dans une interview accordée à kath.ch, Hans Zollner appelle l’Église à retrouver sa crédibilité. Plus globalement, en tant que société, voulons-nous que les enfants soient plus en sécurité? Cela est-il intégré de manière contraignante dans les programmes d’études, les règlements de formation? Jusqu’à présent, non. Il faut que cela change, juge-t-il.
Quelles sont les idées reçues sur les abus au sein de l’Église?
Dans l’Église et dans le public, beaucoup de choses tournent autour des abus. C’est ainsi parce que, depuis près de 40 ans, nous n’avons pas réussi (si l’on considère le Canada, les États-Unis, l’Australie ou l’Irlande) à nous attaquer de front à ce problème. Une idée fausse est qu’il sera bientôt derrière nous. Que nous allons le maîtriser avec de nouvelles lois. Au contraire, le fait est que nous devrons y faire face pendant encore longtemps, probablement aussi quand nous regarderons d’autres parties du monde. Enfin, les lois ne produisent pas automatiquement des saints.
Il s’agit d’adopter une attitude différente. Nous n’admettons pas notre faute. Chaque aveu de culpabilité doit nous être arraché; nous ne nous repentons pas, mais nous protégeons les auteurs et les dissimulateurs.
Nous n’assumons pas nos responsabilités, nous faisons passer notre carrière et notre réputation avant tout. Les gens à l’intérieur et à l’extérieur de l’Eglise ne croient plus que nous sommes sérieux en matière d’évaluation et de prévention. Si nous ne faisons pas ce que nous disons, comment les gens sont-ils censés croire ce que nous disons sur Jésus, le salut, les sacrements ?
Il n’y a pas de lien entre l’homosexualité et la pédophilie. Pourtant, ce sont surtout les adolescents de sexe masculin qui sont victimes d’abus sexuels de la part des prêtres. Pourquoi?
En 2010, Mgr Charles Scicluna, à l’époque responsable des cas d’abus au sein de la Congrégation pour la doctrine de la foi, a déclaré que parmi les abus commis par des prêtres, 10% étaient des cas de pédophilie (c’est-à-dire une inclinaison érotico-sexuelle envers les enfants) et 90% des cas d’éphébophilie (inclinaison érotico-sexuelle envers les adolescents). Et sur ces cas, 70 à 80 %, selon lui, étaient des actes d’abus sur des garçons.
«Le véritable problème des abus sexuels n’est pas l’orientation sexuelle, mais l’abus de pouvoir»
Des chiffres similaires se retrouvent dans toutes les études. Il n’est pas clair que les agressions homosexuelles indiquent toujours une orientation homosexuelle. Dans le passé, les prêtres n’avaient presque pas de contacts directs avec les filles. Les enfants de chœur étaient de sexe masculin, dans les écoles, les prêtres n’enseignaient généralement qu’aux garçons, et la pastorale des jeunes était elle aussi divisée par sexe. Les chercheurs de l’étude américaine John Jay qualifient d’»opportunistes» les agresseurs des années 1950-1980 dans l’Eglise: ils ont pris ce qu’ils avaient. Le véritable problème des abus sexuels n’est pas l’orientation sexuelle, mais l’abus de pouvoir. La façon dont je gère ma sexualité en dit aussi long sur qui je suis et sur mon rapport au pouvoir: mes besoins, ma dynamique et mes attitudes. Je trouve donc que le débat est beaucoup trop unidimensionnel s’il se limite à l’orientation sexuelle.
Vous affirmez que la plupart des auteurs ne sont pas des pédophiles au sens pathologique du terme, mais que les agressions sont le résultat d’une chaîne de déceptions.
Dans toutes les études, le type d’auteur pédophile est minoritaire parmi le clergé. Presque partout, les victimes ne sont pas des enfants, mais bien plus des adolescents de sexe masculin, ce qui conduit à une évaluation différente en termes de droit pénal et de diagnostic psychiatrique. Comme nous l’ont appris les données scientifiques, l’âge moyen d’un prêtre qui abuse des enfants pour la première fois est de 39 ans.
Qu’est-ce que cela signifie?
C’est quinze ans après l’ordination, après la promesse du célibat. Mais c’est aussi quinze ans plus tard que pour les abuseurs d’autres groupes professionnels. Il faut donc plus de temps aux prêtres pour commettre le premier délit, en moyenne au milieu de leur vie. Pourquoi?
La solitude augmente, ils sont souvent surchargés, ont peu de relations fiables et de bonnes amitiés. La vie spirituelle d’une part et les obligations professionnelles en tant que manager de paroisse d’autre part s’écartent l’une de l’autre. Dans cette phase, certains types d’infractions se produisent – entre autres, l’abus de mineurs.
Statistiquement, il n’y a pas plus d’abus dans l’Eglise que dans d’autres systèmes hiérarchiques. Est-ce vrai?
Oui, partout où le pouvoir est exercé de manière incontrôlée, il y a aussi de la violence sexuelle. D’après ce que nous savons des fédérations sportives, de l’industrie du cinéma et de la mode, de l’armée, des ONG comme Oxfam ou même des écoles publiques, les proportions d’abus et les mécanismes de dissimulation sont très similaires. Tous les experts savent également que la plus grande partie des abus se produisent dans le contexte familial, perpétrés notamment par les beaux-pères.
«Les gens pensent toujours que l’Église catholique est un bloc monolithique, un peu comme les militaires. Mais si vous regardez de près, le contraire est vrai»
Y a-t-il néanmoins des particularités catholiques?
Une institution comme l’Église catholique s’est développée au cours des siècles, des sous-systèmes se sont formés qui ont permis des abus ou ont contribué à les dissimuler. La particularité, cependant, est que si l’exercice du pouvoir dans l’Eglise apparaît comme autoritaire et hiérarchique, il s’articule aussi de manière étonnamment chaotique, non coordonnée et peu claire. Le professeur Sebastiaan Deetman, auteur d’un rapport des Pays-Bas, a écrit qu’un élément du système de l’Église catholique a favorisé les abus et la dissimulation, à savoir la structure de gouvernance peu claire.
Les gens pensent toujours que l’Église catholique est un bloc monolithique, un peu comme les militaires. Mais si vous regardez de près, le contraire est vrai dans de nombreux domaines. Oui, il y a des principes d’autorité. Mais, souvent, cette autorité n’est couverte par aucune compétence personnelle, structurelle ou professionnelle.
Quel est le lien entre le célibat des prêtres et les abus?
Cette question m’est posée dans chaque interview. Tous les rapports scientifiques – y compris ceux qui n’ont pas été commandés par des institutions ecclésiastiques – concluent que le célibat en soi ne conduit pas à des abus. Il est donc faux de dire: abolissez le célibat et vous n’aurez plus de cas d’abus dans l’Église catholique.
Ce que nous savons aussi grâce aux études, c’est qu’au cours des 70 dernières années, 4 à 5% des prêtres séculiers et 3 à 4% des prêtres et frères religieux ont abusé d’enfants. C’est à peu près le même pourcentage que l’on peut supposer pour les entraîneurs sportifs, les enseignants, les psychologues ou les médecins. On peut le dire avec rigueur scientifique, car les prêtres catholiques sont le seul groupe de personnes qui ont été étudiées sur ce sujet dans différents pays du monde.
L’admission des femmes au sacerdoce serait-elle une mesure préventive?
Formulé ainsi, cela équivaudrait à une instrumentalisation des femmes. Il ne fait aucun doute que les femmes jouent un rôle très important et qu’il faut leur donner une nouvelle position dans l’Église catholique, ce qui est clair pour la plupart des gens. Le pape donne l’exemple et fait des progrès, mais bien sûr, c’est beaucoup trop peu et beaucoup trop lent pour les gens sous nos latitudes.
Dans des pays comme les États-Unis, l’Australie ou les pays germanophones, un nombre considérable de femmes occupent des postes de haut niveau dans les diocèses. Il n’est pas nécessaire d’attendre Rome. On peut faire beaucoup plus au niveau local que ce qui a été mis en œuvre jusqu’à présent.
«Nous devons nous demander: qu’est-ce qui a rendu les abus possibles?»
Les évêques de Suisse veulent lancer une étude sur les abus. Comment gérez-vous le dilemme entre les droits de la personnalité des auteurs d’une part, la volonté de clarifier par la recherche et le journalisme d’autre part?
Nous ne sommes pas un monde à part. Mais je ne peux pas simplement appliquer des critères juridiques dans l’Église catholique. Nous avons une responsabilité morale particulière. C’est pourquoi nous devons nous demander: qu’est-ce qui a rendu les abus possibles, quels processus ont mal fonctionné, quelles personnes en sont responsables ? Qu’est-ce qui les a empêchés de s’acquitter de leur responsabilité ?
Quelles sont vos principales exigences en matière de prévention?
Dans toutes les activités et tous les lieux de l’Église – dans les paroisses, les jardins d’enfants, les institutions de Caritas, les écoles, les hôpitaux, les maisons de retraite, les centres d’éducation et de retraite spirituelle, etc., les enfants, les jeunes ou les personnes vulnérables doivent être en sécurité.
Cela signifie que la prévention des abus est une tâche de tous: pour tous les fidèles, pas seulement pour le personnel employé ou même seulement pour les experts en prévention. Je pense qu’en termes d’efforts de prévention, l’Église catholique est en bonne position dans le monde entier. Mais la prévention coûte de l’argent, du temps, du personnel. Est-elle suffisamment ancrée dans le système pour être respectée si, à un moment donné, les ressources font défaut et que l’attention du public n’est plus là? J’ai des doutes.
Qu’est-ce qui vous paraît important dans ce domaine?
Nous savons tous ce qui est nécessaire, nous avons toutes les lois et les directives dont nous avons besoin. Nous devons «seulement» les appliquer. Pour ce faire, nous devons, au sein de l’Église, vouloir agir de manière cohérente et ce n’est visiblement pas le cas de tout le monde.
Mais la société dans son ensemble doit également investir davantage. Demandez aux médecins et aux futurs enseignants ce qu’ils apprennent sur la protection de l’enfance dans le cadre de leurs études. De zéro à très peu. Qu’en est-il de la formation des psychologues? Quels sont les critères utilisés pour sélectionner les entraîneurs sportifs ou les enseignants de maternelle?
Si vous regardez bien, c’est un champ très vaste. Outre la difficulté humaine et psychologique de traiter le problème, il s’agit bien sûr toujours de questions de ressources. En tant que société, voulons-nous que les enfants soient plus en sécurité? Cela est-il intégré de manière contraignante dans les programmes d’études, les règlements de formation? Jusqu’à présent, non. Il faut que cela change. (cath.ch/kath.ch/rr/mp)