Hafid Ouardiri fustige les exécutions en Arabie saoudite
«C’est le pire qui pouvait être fait», affirme le 6 janvier 2015 à cath.ch l’intellectuel musulman genevois Hafid Ouardiri, à propos de la récente exécution de masse de prétendus «terroristes» par le pouvoir saoudien. La mise à mort de 47 personnes, dont un dignitaire chiite, a provoqué une très grave crise entre l’Iran et le royaume wahhabite.
«Il est très dommage que des pouvoirs prennent leur peuple en otage», martèle Hafid Ouardiri. Pour le directeur de la Fondation de l’Entre-Connaissance, basée à Genève, le geste saoudien ne fait que de mettre de l’huile sur le feu et déstabiliser davantage une région déjà très fragile. Il déplore que l’on puisse faire passer pour une mesure de justice une action qui relève de la stratégie politique. «Dans le contexte actuel, chaque puissance du Moyen-Orient sent que son pouvoir est ébranlé. Le risque est grand qu’elles s’enfoncent de plus en plus dans des actions extrêmes», avertit l’expert musulman. Il estime, qu’avec ses exécutions, l’Arabie saoudite tente de se profiler comme le leader du monde sunnite, un statut notamment revendiqué par le groupe djihadiste Etat islamique (EI). Le royaume wahhabite sent également son pouvoir menacé par le retour en grâce de l’Iran sur la scène internationale et la poussée chiite au Yémen.
Pour l’intellectuel genevois, la politique de l’Arabie saoudite ne reflète cependant pas la volonté du monde sunnite qui, pour sa grande majorité, aspire à la paix. «Ce qu’il faudrait faire, maintenant, c’est apaiser les tensions et tenter de se réconcilier», conclut Hafid Ouardiri.
Encadré 1
Une situation en constante dégradation
Le cheikh chiite saoudien Nimr Baqr al-Nimr a été exécuté le 2 janvier 2016 par Ryad. Le pouvoir a expliqué qu’il était un «terroriste» impliqué dans des attentats. Suite à cela une foule de chiites en colère a attaqué l’ambassade saoudienne à Téhéran.
Les jours qui ont suivi, les voisins arabes sunnites de l’Iran ont rompu leurs relations diplomatiques avec la République islamique.
Le 5 janvier 2016, L’Arabie saoudite a interrompu toutes ses liaisons aériennes avec Téhéran. Le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel al Djoubeir, a également interdit aux ressortissants saoudiens de se rendre en Iran. Par ailleurs, le pays a annoncé la suspension de tous ses liens commerciaux avec la République islamique.
En Irak, au Liban, au Bahreïn, au Pakistan et dans le Cachemire indien, la communauté chiite a attaqué des représentations saoudiennes. Deux mosquées sunnites en Irak ont été visées par des attentats, faisant un mort, et le muezzin d’une troisième a été abattu.
Encadré 2
Qu’est-ce qui divise les chiites et les sunnites?
Tant que le prophète Mahomet est en vie, l’islam ne forme qu’un seul et même courant. En 632, à sa mort, des divergences de vue apparaissent.
Les chiites et les sunnites ne lui reconnaissent pas le même successeur. Ceux qui choisissent Ali, gendre du prophète, deviendront les chiites, tandis que ceux, majoritaires, qui préfèrent suivre Abou Bakr, compagnon de Mahomet, deviendront les sunnites.
Une organisation du clergé très différente
Les chiites reconnaissent 12 imams, réputés infaillibles dans l’interprétation du Coran. Parmi ces 12 imams se trouvent les deux fils d’Ali. Les chiites croient que le douzième imam reviendra à la fin des temps pour juger les hommes.
Pour les chiites, le Coran est une œuvre humaine, alors que pour les sunnites il a un caractère divin. Au-delà du Coran, les sunnites sont également fidèles à la «sunna», les faits et gestes de Mahomet. A travers la sunna, les sunnites tentent d’imiter le Prophète. Ils considèrent que l’Histoire est prédéterminée, alors que les chiites accordent plus d’importance à la liberté individuelle.
Le chiisme se distingue également du sunnisme par l’existence d’un clergé très hiérarchisé. Alors que les sunnites acceptent que l’autorité politique et religieuse soit fondue dans une même personne (comme au Maroc où le roi est commandeur des croyants), chez les chiites le pouvoir politique doit compter avec le pouvoir, distinct, des autorités religieuses (les ayatollahs en Iran, par exemple).
Les chiites portent une grande estime à la famille du prophète, en particulier à Ali et ses deux fils Hassan et Hussein. L’anniversaire de la mort de l’imam Hussein donne lieu chaque année à des célébrations, le jour d’Achoura, auxquelles participent des millions de pèlerins.
Les musulmans sunnites et chiites ont tout de même en commun de nombreuses croyances et pratiques, notamment les cinq piliers de l’islam comprenant le pèlerinage à la Mecque et les cinq prières quotidiennes.
Les sunnites ultra-majoritaires
Selon une étude de 2015 de l’institut américain Pew Forum, il y aurait environ 1,6 milliard de musulmans dans le monde, dont environ 90% de sunnites. Les 10% restants se répartissent entre différentes branches du chiisme.
La répartition des deux branches de l’islam est plus équilibrée au Moyen-Orient où se trouvent de fortes communautés chiites, majoritaires en Iran, en Irak et à Bahreïn. Des branches du chiisme sont également présentes en Syrie, au Liban et au Yémen.
L’Iran, où 90% des 79 millions d’habitants sont chiites, est le plus grand pays chiite au monde. Il se montre généralement solidaire avec les communautés chiites des autres pays.
Au-delà du Moyen-Orient, il existe également des branches du chiisme dans trois pays voisins de l’Iran: l’Azerbaïdjan, le Pakistan et l’Afghanistan, ainsi qu’en Inde.
Les kharidjites, les alaouites, les druzes: de petites branches dissidentes
Le kharidjisme est une secte constituée en 660. Comme le chiisme, elle est apparue au moment des querelles de succession après la mort de Mahomet. Les kharidjites ont reproché à Ali de s’en remettre à une décision humaine et non divine pour décider qui allait diriger la communauté. C’est d’ailleurs un kharidjite qui a assassiné Ali. Cette tradition est présente chez les berbères du Maghreb.
Les alaouites sont une branche dissidente du chiisme, alaouite signifiant «partisan d’Ali». Ils considèrent ce dernier comme l’incarnation de Dieu sur terre. Très peu nombreux, ils sont au pouvoir en Syrie, à travers le clan el-Assad.
Les alaouites partagent avec une autre communauté, celle des druzes, l’habitude de garder leurs rites secrets. Répartis entre le Liban, le Nord d’Israël et la Syrie, les 500’000 druzes pratiquent une religion non prosélyte: on ne peut devenir druze sans être né dans une famille druze. Formant une branche «hérétique» du chiisme, à forte dimension ésotérique, les druzes croient que Dieu se manifeste périodiquement sous une forme humaine.
(source principale:Béatrice Roman-Amat/quoi.info)
(cath.ch-apic/rz)