Guy Oberson: «Mon credo: 'aller vers' et 'être avec'»
A 84 ans, bon pied, bon oeil, l’abbé Guy Oberson est une figure connue bien au-delà de sa Gruyère natale. Avec un zèle que 60 ans de sacerdoce ne semblent pas avoir entamé, il continue de rendre de nombreux services. Avec l’historienne Laurence Marti, il a retracé son itinéraire dans un livre qui vient de paraître sous le titre: Un prêtre en chemin.
En cet après-midi pluvieux de septembre, l’abbé Guy Oberson a allumé le feu dans son potager pour réchauffer un peu la pièce de la ferme familiale de Bouleyres du milieu. De la chambre, la vue porte sur la cité de Gruyères, le Moléson et Notre-Dame des Marches. «Je cuisine encore tout au bois. J’en ai là tout près», explique-t-il en désignant la forêt voisine. Bon pied, bon oeil, des mains de travailleur, le prêtre de 84 ans est très enraciné dans sa Gruyère natale. Il offre un verre de jus de pommes du jardin. «Cette année, nous avons eu de grosses grêlées. La récolte n’a pas été bonne.»
Un prêtre en chemin
Un prêtre en chemin, tel est le titre qu’il a voulu donner au livre qui raconte son itinéraire. «Oh ce n’est pas moi qui l’ai écrit, mais l’historienne Laurence Marti à qui j’ai livré quelques souvenirs». Le chemin est bien sûr celui du marcheur, du montagnard, du sportif, mais Guy Oberson y voit surtout la voie spirituelle qu’il a empruntée à la suite de Jésus. L’appel à la prêtrise? «Je l’ai ressenti dès l’enfance, il a grandi petit à petit, il a toujours été en discussion. Il faut bâtir. Ce n’est pas un sprint de 100m achevé en quelques secondes. Il ne faut jamais penser que l’on est arrivé.» Sur cette route, il s’est donné ce qu’il appelle son ‘credo’: «aller vers» et «être avec».
Guy Oberson se lève pour prendre sur la table basse le livre du pape François Un temps pour changer. «Tout est là. Lorsque j’ai ouvert ce livre, je l’ai lu d’une traite». L’ancien aumônier de l’Action catholique au niveau Fribourgeois et Romand, une trentaine d’années durant, y a retrouvé le ›voir-juger (choisir)-agir’ et la ›révision de vie’ qui identifient ce mouvement. «Je n’ai bien sûr plus de responsabilité au niveau de la Pastorale du Monde du Travail, mais je continue à suivre ses activités.»
«Jésus a toujours vécu en chemin»
Pour lui la spiritualité n’est pas une notion éthérée qui se perd dans les airs. Elle s’incarne concrètement. «C’est se mobiliser pour être avec, participer au sens d’avoir et de prendre sa place.» Pour en parler il préfère toujours les petites histoires de vie. «Durant sa vie publique, Jésus a toujours vécu en chemin. Il rassemble les foules, il leur parle, il prend le temps qu’il faut. Il se soucie aussi de leur vie concrète: ›les gens m’entendent-ils bien? Auront ils assez à manger?»
«La spiritualité de la rencontre, c’est être-là, partager, vivre avec.»
«La spiritualité de la rencontre, c’est être-là, partager, vivre avec.» Comme avec cette femme africaine, à Renens, qui lui demande le baptême pour son enfant et l’invite à partager le repas avec elle directement pris avec les doigts dans la marmite. «Je ne lui ai pas dit: ›chez nous on mange avec une assiette et des couverts’. Je me suis servi.»
Le foot, une école de vie
L’attention au plus faible, il l’a apprise grâce au football: «J’entraînais les juniors C du FC Gruyères. C’était une très bonne équipe avec des ambitions au championnat. Parmi les joueurs, il y avait un certain Marc-Henri qui souffrait d’un handicap de naissance qui l’empêchait de courir comme il faut. Mais il aimait beaucoup le foot et était très assidu aux entraînements. J’avais une tendance à le laisser sur le banc des remplaçants surtout lorsque l’enjeu était serré. Jusqu’au jour où les gars m’ont dit: ›Tu sais Guy, nous voulons que Marc-Henri joue lors de tous les matchs.’ Ce qui fut fait. Et nous avons gagné la finale du championnat 5 à 0!»
«En Eglise aussi, tous ont leur place. Ce n’est pas la virtuosité et la qualité impeccable qui comptent, c’est l’équipe, la communauté.»
En révolte contre le mal, jamais contre les personnes
Sa vie durant, Guy Oberson a lutté contre les injustices faites aux ouvriers, aux étrangers, aux pauvres, aux femmes. Est-il en révolte?: «Contre le mal, contre ce qui opprime les gens. Jamais contre les personnes. Sinon, c’est la guerre des uns contre les autres. Pour un prêtre, je crois que c’est capital. Si dans l’Eglise, nous parlons les uns contre les autres, c’est foutu! Nous devons discuter pour faire changer les choses, pas condamner. Je ne veux pas être le juge de l’Eglise. Je dois d’abord la recevoir telle qu’elle est. Je ne vais pas tout casser, mais je suis responsable pour réfléchir ensemble à ce que l’on peut faire. L’Eglise est un peuple en chemin. Il y a des moments où on avance, d’autres pas. Il faut prendre le temps de la maturation.»
Formateur de séminaristes
Le credo «aller vers» et «être avec», Guy Oberson a pu l’exercer pendant les dix ans durant lesquels il a supervisé la formation des séminaristes en stage en paroisse. «J’avais fait quatre mois de formation continue à l’institut Lumen Vitae des jésuites à Bruxelles. A mon retour, l’évêque, Mgr Pierre Mamie, m’a demandé de m’occuper des candidats à la prêtrise.
«Etre avec» c’est aussi accepter d’être avec des gens qui ne sont pas comme nous»
Avec l’abbé Marc Donzé, nous avons proposé un an de ›formation pastorale en pastorale’, après un ou deux ans de formation au séminaire. Dans un premier temps, le séminariste observait les activités: préparation au mariage ou au baptême, catéchèse, animation de groupe etc. Dans le deuxième, il faisait lui-même les choses avec un responsable et enfin dans la troisième phase, il travaillait seul. Avec pour chaque étape une discussion et une évaluation. Enfin, je faisais un rapport au supérieur et à l’évêque. D’aucun y ont vu une perte de temps par rapport à la formation théologique ou philosophique, mais cet apprentissage de terrain me semble nécessaire»
Renens, multiculturelle et multireligieuse
«Etre avec» c’est aussi accepter d’être avec des gens qui ne sont pas comme nous. Comme curé de Renens (VD), Guy Oberson l’a vécu de 1997 à 2005. «Je voyais quelques Africains à la messe du samedi soir, je les saluais mais sans plus. Puis j’ai eu l’idée de les réunir. ›Venez à la salle sous la cure’. A la première rencontre, ils étaient sept ou huit, puis le groupe s’est étoffé. Je leur ai dit alors: «J’attends quelque chose de vous. J’aimerais que vous prépariez l’animation d’une messe de A à Z selon vos coutumes. Je célébrerai et je vous suivrai. Ce furent des moments inoubliables.»
La rencontre fut aussi la démarche interreligieuse avec les musulmans. «C’était après les attentats du 11 septembre 2001 à New York. Les musulmans et les autres se regardaient d’un oeil méfiant. Il fallait changer cela. La première rencontre fut assez protocolaire et figée. J’ai dit: ›Nous devons être plus simples et plus fraternels’. Après, avec les protestants aussi, nous sommes allés les uns chez les autres et la collaboration s’est installée.»
Pour la kermesse paroissiale organisée chaque année dans la salle de la municipalité de Renens, tout le monde était de la partie. La syndique popiste de Renens, Marianne Huguenin (qui signe la postface du livre NDLR) salue le travail d’intégration de la paroisse et y participe régulièrement. «Elle ne partage pas du tout de convictions chrétiennes, mais j’ai toujours été très frappé par son attention aux autres et aux petits».
L’individualisme grandissant
Pour Guy Oberson, la difficulté de l’engagement en Eglise aujourd’hui remonte surtout à l’individualisme croissant. «Comme aumônier militaire (une de ses autres casquettes) de 1965 à 1993, sur la place d’armes de Thoune, j’ai senti monter le chacun pour soi. A partir de la première crise du pétrole en 1973, les jeunes disaient: chacun doit se débrouiller. Le ›je’ a pris la place du nous. Cela s’est ressenti partout, dans les syndicats comme dans l’Eglise.»
S’arrêter? «Non le chemin continue, tant que j’ai la constitution pour. Je suis allé ce matin célébrer la messe au Pâquier, demain ce sera Notre-Dame des Marches et après-demain au Carmel.» (cath.ch/mp)
Laurence Marti: Guy Oberson, un prêtre en chemin, St-Maurice-Bulle, 2022, 147 p. Editions St-Augustin/La Sarine avec le soutien de la Pastorale du Monde du Travail (PMT)
Un ancrage biblique et théologique
La spiritualité en chemin de Guy Oberson ne va pas sans un solide ancrage biblique et théologique. En témoignent les nombreux livres qu’il garde ›sous la main’ sur le table basse du séjour et auxquels il se réfère couramment dans la discussion.
Idem pour la lecture de la Bible: »Je fais depuis longtemps partie d’un cercle biblique international qui se réunit annuellement. Cette année encore je suis allé trois jours à Strasbourg. Il ne s’agit pas tant d’exégèse savante mais plutôt de découvrir le sens authentique à partir du vécu des auteurs et du contexte de l’époque. Au séminaire nous lisions surtout la Bible comme un livre dont on tirait une morale. Or ce n’est pas ça. Cela m’a aussi aidé à travailler régulièrement la Bible. Cela m’a imposé une discipline. Car une fois que tu es planté en paroisse comment vas-tu travailler la Bible?»
Le pape François fait évidemment aussi partie des lectures de Guy Oberson. L’encyclique Fratelli Tutti est au sommet de sa pile. MP