Guy Gilbert: «Que la justice humaine passe d'abord!»
Pour Guy Gilbert, après la crise des abus sexuels, l’Eglise se refondera sur l’eucharistie. A 83 ans, le curé des loubards, n’a plus la même fougue, mais la sagesse de l’âge. Choqué par les terribles révélations, comme beaucoup de prêtres et de catholiques, le vieux prêtre, de passage, à Muraz, en Valais, le 9 mars 2019, continue cependant de croire que ‘Dieu est le roi de l’impossible’.
Comment vivez-vous la grave crise que traverse aujourd’hui l’Eglise avec la révélation des abus sexuels et de l’omerta des responsables?
Guy Gilbert: Tout est tombé en très peu de temps: abus sexuels sur des enfants et des religieuses, homosexualité dans le clergé etc. C’est une accumulation terrible. Nous récoltons les errances du passé. Pour l’affaire Preynat, ce sont les prédécesseurs de l’archevêque Barbarin qui ont fait des conneries. Nous venons de déterrer les cauchemars de l’Eglise à plusieurs époques, dans un espace de 50 ans. C’est énorme même pour un chrétien convaincu qui croit en l’Eglise. En outre, notre époque est celle de l’information immédiate jetée à tous qui salit. L’information ‘cahotique’ est celle qui prend le mieux.
Comment l’Eglise peut-elle affronter cette crise?
On peut regarder ce que Jésus a vécu, la trahison de Pierre qui ne le reconnaît pas trois fois, la crucifixion entre le bon et le mauvais larron. Un des loubards lui dit «démerde-toi, sors-nous de là!» à l’autre qui demande pardon, Jésus lui promet le paradis. Voilà ce que je peux retenir comme enseignement.
Le problème actuel est que les gens croient en Dieu, mais ne croient plus en l’Eglise, à cause des saloperies qui ont été faites. C’est tragique… pour l’instant. La pire des choses était cependant de ne rien dire.
«Jouer l’omerta a été lamentable»
Pensez-vous que les choses ont désormais changé dans l’Eglise?
Ce qui a tout changé est la prise de parole des victimes. C’est le changement immense de l’affaire Barbarin. Je pensais qu’il n’allait pas être condamné. Mais même si cela avait été le cas, comment peut-il encore être évêque après tout ce qui s’est passé? Avoir eu cette expression ‘les faits sont prescrits, grâce à Dieu’ est une énorme connerie. L’Eglise peut et doit avoir une vision très rédemptrice envers celui qui commet le péché, mais que la justice humaine passe d’abord. Jouer l’omerta a été lamentable. Les religieuses qui ont été baisées, violées obligées d’avorter, c’est épouvantable. Enfin, l’Eglise écoute les victimes, c’est fondamental.
Comment dès lors conserver l’espérance?
Il faut aimer avec le cœur de Dieu. Il faut, surtout pendant le carême, prendre le temps de prier. Cela a été ma vie. J’ai sans cesse demandé à Dieu de me donner son cœur. Humainement on peut aimer à l’infini, mais c’est souvent très difficile. Mon espérance est là. Elle me tient depuis 53 ans de prêtrise. Sans discontinuer. Dieu est le roi de l’impossible.
«L’écoute profonde est le premier chemin d’humilité»
Vous insistez volontiers sur l’humilité que vous considérez comme la plus grande des vertus.
L’humilité consiste d’abord à écouter l’autre pleinement, y compris et surtout les plus pauvres. Ils ont des tas de choses à nous dire. Quand je suis avec les jeunes en Provence, ils sont sans cesse à m’interpeller: «Guy je veux te parler». L’écoute profonde est le premier chemin d’humilité. C’est-à-dire toujours considérer que l’autre est plus grand que moi, surtout le plus paumé. Hier, j’ai rencontré un gars qui a été douze fois en prison. Il m’a corrigé: «Non Guy, c’est vingt fois». Cela fait 25 ans que je le connais. Je l’ai fait sortir de prison, mais je suis petit devant ce mec abandonné qui n’a plus personne au monde. Nous avons parlé un moment. Je lui ai donné un téléphone portable pour que nous puissions rester en contact. Moi j’ai à manger, j’ai à dormir, j’ai tout ce qu’il faut pour vivre, je suis gâté comment ne pourrais-je pas partager?
Cela concerne aussi le statut et la place du prêtre.
Le col romain et la soutane de certains prêtres, bon, mais je pense que nous n’avons pas besoin de signes. Nous pouvons aussi avoir l’humilité de nous habiller comme tout le monde. L’orgueil de savoir qu’on appartient à telle religion et à tel clergé doit disparaître. Je suis contre l’affichage. Dieu est intérieur et pas à l’extérieur. Il faut un certain approfondissement spirituel pour s’en foutre complètement de la race ou de la religion de l’autre. Tu essaies de le comprendre et de l’accepter comme il est.
«Nous, nous prêchons toujours et souvent nous rabâchons»
Le pape François dénonce le cléricalisme.
Il a magnifiquement attaqué le cléricalisme de celui qui se met à part et qui domine. Une des plus belles choses que j’ai vécues s’est déroulée lors d’une messe en Suisse, il y a une vingtaine d’années. L’église était si pleine que les jeunes s’étaient entassés jusque dans le chœur, occupant même les sièges des célébrants et ne laissant qu’un tout petit espace devant l’autel que j’ai pu occuper pour célébrer l’eucharistie. J’ai fortement ressenti que c’était ma place d’être là, au milieu du peuple de Dieu, ma vraie et ma seule place. Un prêtre doit écouter son peuple. Nous, nous prêchons toujours et souvent nous rabâchons.
Vous parlez de l’eucharistie, en quoi est-elle un élément central?
La foi en l’eucharistie, celle que j’ai reçue au petit séminaire à l’âge de 13 ans, est toujours intacte. L’Eglise ne se refondera que sur l’eucharistie, puisqu’elle dépend d’elle. Si l’eucharistie s’arrête, tout s’écroule dans l’Eglise. Il faut avancer les yeux ouverts, en priant. Et en demandant au Seigneur de nous donner plus que jamais l’humilité dans notre vie de prêtre.
Le Christ revient à chaque fois dans l’eucharistie. Je suis bête, je suis incapable de l’expliquer, mais je sais que le Seigneur est là. Lorsque je célèbre avec les jeunes chrétiens, musulmans, athées, je leur dis maintenant Jésus, le fils de Dieu, est là. Et je demande un temps de silence et tout le monde se tait. (cath.ch/mp)