Guy Bedouelle: le sens de l'histoire
Cinq ans après sa mort, la mémoire du frère dominicain Guy-Thomas Bedouelle reste vivante. «Guy Bedouelle, o.p. Une libre intelligence chrétienne» (Frémur, 2017) revient sur la vie et l’œuvre de cet historien chercheur de sens qui a enseigné l’histoire de l’Eglise à l’Université de Fribourg de 1977 à 2007.
Le Frère Guy Bedouelle (1940-2012) était spécialiste du XVIe siècle. Une personnalité riche et dense qui étendait sa curiosité intellectuelle au-delà des cercles ecclésiaux. Un «homme classique dans ses positions – il a choisi le prénom Thomas pour Thomas d’Aquin –», rappelle le Frère Jean-Michel Potin o.p., archiviste de la Province de France, mais jamais étranger aux enjeux sociaux et spirituels de son temps.
Guy Bedouelle envisageait l’histoire au-delà de sa factualité.
La nostalgie du XVIe siècle
Ce livre reprend les actes d’un colloque de l’Université catholique de l’Ouest, dont le Frère Bedouelle fut recteur de 2007 à 2011. Il éclaire différentes facettes du dominicain français qui a fait de la Suisse sa «seconde patrie». «Il se définissait avant tout comme un seiziémiste, explique Alain Tallon, professeur d’histoire moderne à l’Université de Paris-Sorbonne. Ses principaux ouvrages fournissent la preuve de sa grande familiarité avec ce siècle et avec sa complexité religieuse». «Par sa réforme au XVIe siècle, écrivait le Frère Guy Bedouelle, l’Eglise romaine a retrouvé sa crédibilité et, pour quelques dizaines d’années, elle vit dans une sorte d’équilibre […] De cette histoire et de cette culture, dont certains gardent une nostalgie, demeurent en tout cas, sinon un modèle, du moins un héritage».
Au-delà de «son cher seizième siècle», ce sont les périodes de transformation et de grands bouleversements qui ont retenu l’intérêt du dominicain: «le foisonnement évangélique et humaniste à la veille de la Réforme ou le renouveau de l’Eglise après la tornade révolutionnaire», explique Frère Michel Lachenaud, Prieur provincial de la Province de France. «Pour lui, étudier le passé, c’était se donner les moyens de comprendre l’homme et le croyant affronté aux réalités de son époque».
Le «drapeau de la résistance au Concile»
Proche des courants qui entendaient réagir «contre les dérives de l’après-concile», le Frère Bedouelle s’est intéressé de près à l’Eglise de son époque. «Il avait compris que l’histoire du temps présent de l’Eglise était devenue un enjeu majeur pour l’avenir du catholicisme et son rôle dans la société contemporaine», affirme Philippe Chenaux, professeur d’histoire de l’Eglise moderne et contemporaine à l’Université pontificale du Latran.
C’est ainsi qu’il s’est intéressé aux raisons profondes du schisme de Mgr Lefebvre. Si le refus du nouveau rite de la messe promulguée par Paul VI avait constitué, selon lui, «le drapeau de la résistance au Concile que Mgr Lefebvre a brandi avec la communauté qu’il avait fondé en 1970», il n’était pourtant que «la pointe de l’iceberg». «Le véritable refus s’adresse aux principes qu’ils croient proclamés dans la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse».
C’était dans la spécificité de l’histoire de France qu’il fallait, selon lui, chercher les origines de ce refus. En refusant la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse, Mgr Lefebvre et ses partisans refusaient «les principes de la Révolution françaises». «Si ses adhérents, en tout pays, sont partisans des «régimes forts», c’est moins par nostalgie de le chrétienté que par défiance invincible à la démocratie». «Leur appel à ‘une sainte objection de conscience’ n’en est pas moins paradoxal car il les fait rejoindre Thomas More, Luther, Newman et Vatican II», commente Philippe Chenaux.
Historien et théologien
Historien et théologien, le Frère Guy Bedouelle envisageait l’histoire au-delà de sa factualité. A ses yeux, «l’historien ne doit pas craindre d’être à la fois un analyste chevronné, rompu aux méthodologies de recherche les plus rigoureuses, et une sorte de visionnaire: en tant qu’historien de l’Eglise, il ne craindra pas de chercher un sens […] parce que le temps théologique n’est pas, et ne peut pas se confondre, avec le temps historique au sens que lui donnent les historiens, qui privilégient le contexte et la chronologie», explique Agostino Paravicini Bagliani, professeur honoraire à l’Université de Lausanne. Il précise: «L’historien de l’Eglise ne peut se fier seulement au document. Il doit être attentif à un autre sens, qui fait que toute histoire de l’Eglise est nécessairement histoire théologique».
Repères biographiques
6 avril 1940: naissance à Lisieux
1965: noviciat à Lille
1966: Docteur en droit
1970: profession solennelle
1971: ordination sacerdotale
1972: assigné pour études au couvent de Genève
1975: intègre la première équipe rédactionnelle de la revue Communio
1977: professeur extraordinaire d’histoire de l’Eglise à l’Université de Fribourg
2007: recteur de l’Université catholique de l’Ouest
22 mai 2012: décès à Fribourg