Le monastère de Rabban Hormizd, près de la ville irakienne d'Alqosh, au nord de Mossoul, fut la résidence officielle d'un lignée de patriarches de l'Eglise de l'Orient (XVIe -XVIIIe siècle) | © Jacques Berset
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Grandeur, déclin et résurrection de l'Eglise assyrienne de l'Orient

Ni l’Eglise romaine ni l’Eglise byzantine n’ont rivalisé, au Moyen-Age, avec le zèle missionnaire de l’Eglise assyrienne de l’Orient. Cette Eglise apostolique s’étendait alors de l’Irak actuel, voire même des bords de la Méditerranée, jusqu’en Chine. L’origine de cette communauté, aujourd’hui majoritairement en diaspora, se trouve en Mésopotamie, souligne l’écrivaine genevoise Christine Chaillot.

L’Eglise assyrienne de l’Orient remonte, selon la tradition, à trois apôtres ou disciples de Jésus-Christ: Mar Addaï (aussi connu sous le nom de Thaddée), Mar Mari (Luc X, 1-24) et Mar Toma – l’apôtre Thomas –, ce dernier ayant fondé des églises sur la côte sud-ouest de l’Inde, dans l’actuel Kerala, où il serait arrivé vers 52 après J.-C. Puis le christianisme de cette Eglise se répandit depuis la Mésopotamie dans tout l’Empire perse et bien au-delà.

Une Eglise de l’Empire perse

Christine Chaillot | © Bernard Hallet

Ces trois disciples du Christ sont les premiers missionnaires de cette Eglise orientale apostolique qui a été pendant longtemps – faussement – dénommée ‘nestorienne’. Son premier patriarche, nommé aussi catholicos, résidait à Ctésiphon – ancienne capitale de l’Empire perse -, à 30 km au sud-est de la ville actuelle de Bagdad, en Irak.

Limitée du côté occidental par l’Empire byzantin, elle s’est développée, d’une part, de la Mésopotamie vers le sud, en direction de l’Arabie saoudite, et vers le sud-est, le long du Golfe persique. Des ruines d’églises et de monastères ont été découvertes sur la côte nord de l’actuelle Arabie saoudite et sur les îles du Golfe. De là, par la mer, ces missionnaires se déployèrent jusqu’en Inde et aussi au nord-est de l’Empire perse.

Sur les «Routes de la soie»

Contournant l’Himalaya par le nord, dans les régions turco-mongoles de l’Asie centrale, ces missionnaires ont suivi les marchands sur les fameuses «Routes de la soie» pour arriver jusqu’en Chine au 7e siècle sans doute, relève Christine Chaillot, dans son ouvrage sur «L’Eglise assyrienne de l’Orient». (*)

Fascinée par l’histoire des Eglises orientales, trop souvent méconnues, cette «femme de terrain» de confession orthodoxe, issue d’une vieille famille protestante genevoise, a rencontré, notamment en Irak, en Iran, en Syrie, au Liban, en Arménie, en Géorgie et en Russie, les communautés de cette très ancienne Eglise, qui atteignit son plus grand déploiement géographique au Moyen-Age.

En effet, elle s’étendait alors d’Antioche, aujourd’hui Antakya, en Turquie – qui fut l’une des villes d’arrivée de la «Route de la soie»- jusqu’à la Mer de Chine, et, du nord au sud, du Lac de Van – dans le sud du haut-plateau arménien (aujourd’hui en Turquie) – jusqu’au sud de l’Irak actuel.

Les «routes de la soie», de la Méditerranée au cœur de la Chine | wikipedia

La majorité vit en diaspora

Aujourd’hui, suite aux aléas de l’histoire, comme nous le verrons plus loin, Christine Chaillot rencontre aussi ces communautés assyriennes dans la diaspora où elles sont aujourd’hui les plus nombreuses: aux Etats-Unis, au Canada, en Europe et en Australie.

Sur un nombre total estimé à environ 460’000, les fidèles de cette Eglise née il y a deux millénaires entre le Tigre et l’Euphrate vivent, pour près de la moitié (200’000) aux Etats-Unis, 30’000 sont installés en Australie, 25’000 au Canada, autant en Inde, 20’000 en Europe occidentale (la plus grande communauté étant établie en Allemagne).

D’autres communautés se trouvent en Russie, en Géorgie, en Arménie et en Ukraine. Au Moyen-Orient, de petites communautés subsistent au nord de l’Irak, en Syrie (région du Khabour, au nord-est du pays), au Liban et en Iran.

La stèle de Xi’an

L’Eglise assyrienne de l’Orient est, à la base, historiquement et géographiquement, l’Eglise de Perse, où elle œuvra à évangéliser durant des générations. Elle le fit malgré des épisodes de persécutions, se heurtant tout d’abord à la forte opposition des prêtres de la religion zoroastrienne, religion monothéiste née sur le territoire de l’actuel Iran. Plus tard elle sera victime de la nouvelle religion, l’islam.

Au nord-est de l’Empire perse, suivant les marchands sur les diverses «Routes de la soie», les missionnaires arrivent jusqu’en Mongolie, puis dans le territoire de la Chine actuelle. On connaît notamment cette histoire grâce à la fameuse stèle chrétienne de Xi’an, l’ancienne Chang’an, exposée au musée Beilin, qu’on appelle aussi ‘la forêt des stèles».  Erigée en 781, cette stèle raconte comment la religion «resplendissante, lumineuse» (c’est-à-dire le christianisme) est arrivée en Chine sous la dynastie des Tang (618 – 907).

Un millénaire avant les missions catholiques

Musée des stèles à Xi’an Le sommet de la stèle chrétienne dite «nestorienne», érigée le 7 janvier 781 | © David Castor/Wikipedia

«C’est grâce à la stèle de Xi’an, capitale de la province du Shaanxi, à l’extrémité orientale de la ‘Route de la soie’, que l’on sait que les missionnaires de l’Eglise de l’Orient furent les premiers chrétiens arrivés en Chine au 7e siècle déjà, près d’un millénaire avant l’organisation des premières missions catholiques!» On peut lire sur la stèle qu’un moine de l’Eglise de l’Orient nommé Alopen arriva en Chine en 635. «L’Empire des Tang était alors la plus grande puissance mondiale et entretenait des relations commerciales jusqu’à Byzance, à l’ouest».

Au 9e siècle, cette Eglise connut des persécutions et l’expulsion hors de Chine, tout comme les autres religions «étrangères» (bouddhiste et manichéenne). Il est possible que quelques chrétiens restèrent cependant dans le nord de la Chine et en Mongolie intérieure. Il faut attendre encore de nouvelles découvertes scientifiques pour le certifier.

Avec l’arrivée au pouvoir de la dynastie mongole des Yuan au 13ème siècle – les turco-mongols de la descendance de Gengis Khan qui s’établirent en Chine – c’est une période (de 1260 à 1368) qui se révèlera favorable aux chrétiens dits (faussement) «nestoriens». Nombre de ses chefs prendront pour épouses des chrétiennes. L’Eglise de l’Orient connut alors un renouveau en Chine.

Tamerlan, la fin de l’Eglise de l’Orient en Asie

La fin du 14ème siècle et le début du 15ème siècle furent dramatiques pour les fidèles de l’Eglise assyrienne de l’Orient dans presque toute l’Asie. En effet, pour le nouveau maître du continent, Timour Lang (Timour le boîteux – en français Tamerlan), l’islam était la seule religion acceptée: les chrétiens furent persécutés, les églises et les monastères dévastés. L’infrastructure de l’Eglise de l’Orient fut dès lors presque entièrement détruite.    

Par la suite, l’Eglise de l’Orient ne survécut pratiquement que dans deux régions du Moyen-Orient: dans les montagnes de la province du Hakkari (au sud-est de la Turquie actuelle, entre le Lac de Van et le nord de l’Irak) et en Azerbaïdjan perse (aujourd’hui au nord-ouest de l’Iran). Vers 1830, près d’un tiers des fidèles de l’Eglise assyrienne de l’Orient étaient passés au catholicisme, en raison de l’envoi de missionnaires dans les régions où ils vivaient.

Les missionnaires convertissent les fidèles assyriens

Dès le 19e siècle, diverses Eglises – protestantes, anglicane puis orthodoxe russe – envoyèrent également des missionnaires. «Au début du 20e siècle, les chrétiens assyriens étaient devenus une sorte de jouet dans la stratégie des grandes puissances (Russie, France, Grande-Bretagne) et de leurs Eglises respectives». 

Exécution de cinq prêtres arrméniens Musée-Institut du Génocide des Arméniens à Erevan | © Jacques Berset

Dès 1915, le génocide des chrétiens par les Ottomans, dont celui des Assyriens, allait encore une fois décimer cette Eglise: de 100’000 à 120’000 Assyriens, soit environ un tiers de la communauté, périrent entre 1915 et 1918. Ceux qui ne furent pas tués allaient mourir de faim, de maladie et d’épuisement sur les routes.

Le génocide ottoman

Ces massacres connus sous le nom de «Sayfa» (ou «Epée» en dialecte néo-araméen oriental, la langue des fidèles de cette Eglise) se sont déroulés en Anatolie orientale, au Hakkari, au nord-ouest de l’Iran, durant la même période et dans le même contexte que le génocide arménien et celui des Grecs pontiques.

Au cours du 19e siècle déjà, les Kurdes avaient commis des massacres contre les chrétiens de l’Eglise assyrienne de l’Orient. En 1841 puis en 1846, deux chefs kurdes du Hakkari massacrèrent la population en attaquant des villages. La résidence du patriarche à Qotchanès, le siège du patriarcat de l’Eglise assyrienne de l’Orient du XVIIe siècle jusqu’en 1915, fut incendiée.

Des chrétiens errants

Après 1915, les Assyriens se réfugièrent tout d’abord à l’est du Hakkari, dans les confins nord-occidentaux de l’Iran, puis en Irak actuel (alors sous mandat britannique), sur leurs terres d’origine, la Mésopotamie, et au nord de la Syrie.

Au cours du 20e siècle, les Assyriens furent des chrétiens errants d’une région à l’autre, «pris dans un cycle infernal qui les porta du sud-est de la Turquie actuelle (province de Hakkari), en Iran, puis en Irak et dans le nord-est de la Syrie, au Khabour».

Guerre du Golfe et djihadistes

A Berne, les chrétiens de Turquie ont fait mémoire du génocide des Arméniens et des Assyro-Chaldéens en 2015 | © Jacques Berset

A partir des années 1980, ils furent obligés de chercher refuge encore une fois ailleurs, en raison des guerres régionales (Iran-Irak, Syrie, etc.) et de l’émergence de divers mouvements djihadistes, dont le plus sanglant fut Daech, le soi-disant Etat islamique. Les attaques antichrétiennes au Moyen-Orient, qui ont affecté toutes les communautés, ont également touché les chrétiens de l’Eglise de l’Orient. Ils furent une nouvelle fois forcés de rejoindre les vagues de réfugiés dans les pays avoisinants (Jordanie, Turquie, Liban), mais également, pour ceux qui purent obtenir un visa, leurs communautés en Europe, en Amérique du Nord et en Australie.

Aujourd’hui, pour la majorité des fidèles de l’Eglise assyrienne de l’Orient, désormais installés en diaspora, conclut Christine Chaillot, le défi est de ne pas perdre les liens avec leurs communautés d’origine et de ne pas oublier leur identité et leur culture (notamment leur langue néo-araméenne et leur religion). C’est un défi colossal, car les jeunes générations sont rapidement assimilées dans le «melting pot» de la société mondialisée, risquant ainsi de perdre un héritage culturel et patrimonial bimillénaire. (cath.ch/be)

«Eglise des deux conciles»
L’Eglise assyrienne de l’Orient est une «Eglise des deux conciles», car c’est une Eglise «antéchalcédonienne» (d’avant le concile de Chalcédoine, en 451).  Elle reconnaît les professions de foi des deux premiers conciles œcuméniques des premiers siècles du christianisme — le premier concile de Nicée (325) et le premier concile de Constantinople (381). Elle n’a, par contre, pas accepté le concile d’Ephèse en 431, et a été, souvent et faussement, qualifiée de «nestorienne».
Un dialogue interconfessionnel entre l’Eglise catholique et l’Eglise apostolique assyrienne de l’Orient existe officiellement depuis les années 1960 en vue d’améliorer leurs relations et de résoudre les différends doctrinaux. Ce dialogue porte à la fois sur la mariologie et la christologie.
Il s’agit d’un côté de l’identification de la Vierge Marie comme Theotokos (Mère de Dieu) ou Christotokos (Mère du Christ), ce qui revient au même, et, de l’autre côté, du rapport entre l’humanité et la divinité du Christ tel que défini dans le symbole de Chalcédoine en 451. Ce dialogue bilatéral aboutit en 1994 à la signature d’une déclaration christologique commune par le pape Jean Paul II et le patriarche de l’Eglise assyrienne de l’Orient Mar Dinkha IV. JB

(*) «L’Eglise assyrienne de l’Orient – Histoire bimillénaire et géographie mondiale»,  L’Harmattan, 2020.  JB

Le monastère de Rabban Hormizd, près de la ville irakienne d'Alqosh, au nord de Mossoul, fut la résidence officielle d'un lignée de patriarches de l'Eglise de l'Orient (XVIe -XVIIIe siècle) | © Jacques Berset
10 février 2020 | 17:00
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 8  min.
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