Grande châsse de saint Maurice: un puzzle du XIIIe siècle à remonter
Les travaux d’étude et de restauration de la Grande châsse de saint Maurice du trésor de l’abbaye sont dans leur phase finale. L’équipe des restaurateurs a débuté le remontage des ornements orfévrés du reliquaire après leur nettoyage complet. Des analyses poussées des différents éléments permettront d’en savoir plus sur l’histoire de ce reliquaire.
Les mains gantées, d’un geste précis, Romain Jeanneret prend délicatement l’aigle du support en carton mousse où il était punaisé. Représentation symbolique de l’apôtre Jean, ce relief en orfèvrerie finement travaillée va retrouver sa place dans la parure de la Grande châsse. Le restaurateur ajuste délicatement la pièce d’orfèvrerie au pied du Christ qui orne un des pignons de l’âme en bois du reliquaire. D’abord avec des épingles puis avec les clous d’origine, il fiche le fier oiseau dans le bois. Le soleil froid de novembre fait flamber l’orfèvrerie et nimbe le petit atelier d’une clarté de conte de fée.
300 pièces à replacer au millimètre
Romain Jeanneret et Denise Witschard, conservateurs-restaurateurs du trésor travaillent depuis quatre ans à redonner tout son lustre à cette pièce unique. Le projet a entamé la dernière phase des travaux pratiques: le remontage de la Grande châsse du trésor de l’abbaye de Saint-Maurice. A l’aide de plus de 2’000 clous, il s’agit de remettre les 300 ornementations, le Christ, ses apôtres et la Vierge Marie en argent repoussé, les plaquettes niellées et les pierres précieuses à leur exacte place. Tout se joue au millimètre près.
«Les personnages ont été replacés à quatre mains. En les déclouant, nous avons libéré une certaine tension dans les plaques de métal. En plus d’un choc relevé lors du constat d’état, le bois réagit avec son environnement, ce qui a entraîné une légère rétractation. Heureusement, les reliefs en argent ont une certaine élasticité, ce qui laisse un peu de marge au moment de les positionner pour les refixer sur l’âme du reliquaire»
De l’orfèvrerie de plus de 800 ans
Néanmoins, le travail demande autant de précision que de délicatesse pour refixer des pièces d’orfèvrerie uniques au monde et qui ont plus de 800 ans. Romain Jeanneret dispose d’outils qui permettent de travailler très précisément. Et pas question de rater un coup de marteau, si fin soit-il. Une baguette en bois sert notamment d’intermédiaire pour remettre des clous de quelques millimètres.
Pour être sûr que chaque clou retrouve son trou, l’équipe a fait faire des photos du reliquaire à l’échelle 1:1. Chaque clou retiré du bois a été planté au même endroit sur la photo contrecollée sur du carton mousse. Cette petite astuce a évité aux restaurateurs de perdre beaucoup de temps à retrouver la place qu’occupaient les quelque 2’000 clous qu’ils ont extraits du bois il y a trois ans.
Un pinceau électrolytique
Débutée fin octobre, la phase de remontage a permis à l’âme en bois de retrouver partiellement sa parure d’or et d’argent. «Toutes les pièces métalliques ont été traitées au Pleco – un pinceau électrolytique développé conjointement par l’atelier de restauration de l’Abbaye et la Haute Ecole Arc de Neuchâtel. Ce procédé électro-chimique nous a permis de réduire le ternissement de l’orfèvrerie sans abrasion». La matière garde ainsi sa valeur d’ancienneté et évite un aspect «remis à neuf». Bien que développé et employé pour les pièces du trésor, l’utilisation de cet outil est une première sur un objet d’une telle dimension et d’une telle complexité.
Une véritable enquête
«C’est la dernière étape pratique de la restauration, après le nettoyage de l’orfèvrerie, des plaquettes niellées et des gemmes qui orneront à nouveau la châsse». En parallèle de ce travail d’atelier, les restaurateurs accompagnés par le conservateur du trésor Pierre Alain Mariaux se sont livrés à une véritable enquête. En effet en l’absence d’information sur la date et le contexte de l’assemblage du reliquaire, la provenance des matériaux et de ses composants, ils ont fait analyser le bois, du mélèze, et les pierres précieuses et semi-précieuses qui ornaient la châsse pour en savoir plus.
«Nous passons encore les résultats à la loupe en vue du rapport final que nous rendrons après la fin des travaux. Nous savons que les éléments qui composent la châsse: bois, gemmes, ornements en argent sont antérieurs à l’assemblage du reliquaire».
Ainsi l’analyse de certaines pierres précieuses a montré qu’elles provenaient de mines exploitées pendant l’Antiquité pour orner des colliers ou des parures de personnes de haut rang. Les planches de bois ont peut-être eu un autre usage avant d’être assemblées en châsse pour y contenir les reliques de saint Maurice. Certains indices laissent à penser que le Christ et ses apôtres ornaient l’autel d’une église avant d’être ré-employés sur la châsse.
Inauguration en 2021
Romain Jeanneret se réjouit de la perspective proche de voir la châsse bientôt restaurée. La pandémie a toutefois ralenti l’avancement des travaux. Prévue pour la Saint-Maurice 2020, l’inauguration de la nouvelle châsse a été repoussée à 2021. A Pâques, espère-t-on à l’atelier.
Autre bonne nouvelle: le budget de 680’000 francs de restauration de la Grande châsse et de la châsse de l’abbé Nantelme (qui suivra) a été bouclé grâce aux donateurs publics et privés. L’abbaye de Saint-Maurice a également soutenu le projet.
L’étude et la restauration de la Grande châsse a permis à l’équipe de renforcer son expérience dans l’étude de ce type d’objet médiéval. Assurément une bonne base pour passer à la restauration de la châsse de l’abbé Nantelme, la suivante sur la liste. (cath.ch/bh)