Le colloque "Initiatives pour protéger les jeunes de l'extrémisme et des idéologies violentes" a réuni des membres de diverses religions | © Raphaël Zbinden
Suisse

Genève: quand la Ligue islamique mondiale veut promouvoir l'amour

Que font un rabbin, un imam, un pasteur et un prêtre quand ils se rencontrent? Eh bien ils parlent de paix, de justice et d’amour. C’est qui s’est passé le 18 février 2020 dans le cadre du colloque international intitulé «Initiatives pour protéger les jeunes de l’extrémisme et des idéologies violentes: stratégies de mise en œuvre».

La Ligue islamique mondiale (LIM) a organisé, les 18 et 19 février 2020 à Genève, un colloque onusien et interreligieux dédié à la protection des jeunes de l’extrémisme. L’événement inédit a réuni des représentants aussi bien de l’islam sunnite et chiite que du judaïsme ou du christianisme.

Les intervenants se sont succédés, dans les bâtiments genevois des Nations unies, sur des thèmes divers, pour esquisser des solutions destinées à soustraire les jeunes des influences extrémistes, qu’elles soient politiques ou religieuses. Au cours de ce colloque organisé par la LIM, un organisme intimement lié au régime saoudien, les orateurs, mais aussi les modérateurs, appartenaient à diverses religions, notamment le judaïsme.

Soixante musulmans à Auschwitz

En parallèle de l’événement onusien, une cinquantaine de personnes, dont un journaliste de cath.ch, ont été invitées à un repas-table ronde à l’hôtel Président Wilson, à Genève. Parmi les participants, qui représentaient sept confessions religieuses, se trouvaient Pascal Desthieux, vicaire épiscopal de Genève, Emmanuel Fuchs, président de l’Eglise protestante de Genève (EPG), ainsi que François Garaï, rabbin la communauté juive libérale de Genève.

Le rabbin Izhak Dayan, de la Communauté israélite de Genève salue Mohammad Abdelkarim Alissa, secrétaire général de la Ligue islamique mondiale | Le colloque «Initiatives pour protéger les jeunes de l’extrémisme et des idéologies violentes» a réuni des membres de diverses religions | © Fondation de l’Entre-Connaissance

La table ronde, organisée par la LIM, avec la participation de personnalités religieuses, de la Plateforme religieuse de Genève et de la Fondation de l’Entre-Connaissance, a été l’occasion pour Mohammad Abdelkarim Alissa, secrétaire général de la LIM, de présenter la vision et les projets de son organisation pour la jeunesse et l’avenir du monde. Le dignitaire musulman a assuré que le principal engagement de la Ligue était de «promouvoir l’amour et de construire des ponts» entre les diverses cultures, religions et civilisations.

La LIM entend également combattre les «mauvaises interprétations de la religion» qui conduisent à la haine et à la violence. Fort de la conviction que «nous allons défaire les idées extrémistes», Mohammad Abdelkarim Alissa a rappelé que «la diversité est une richesse pour l’humanité».

Le secrétaire général de la LIM a également relaté sa visite à Auschwitz, avec une délégation d’une soixantaine de dignitaires musulmans de plus de 28 pays, fin janvier 2020. Le groupe a prié sur place. Commentant le voyage, Mohammad Abdelkarim Alissa a qualifié l’Holocauste de «plus grand crime dans l’histoire de l’humanité». Il a fustigé toutes les personnes qui tentent de «minimiser» la Shoah.

La vie humaine au dessus de tout

Le Saoudien a assuré que l’islam respectait toutes les autres religions et que le Créateur n’avait jamais voulu que les humains se tuent entre eux ou mènent des guerres. Il a affirmé sa conviction que toutes les religions et civilisations devaient travailler ensemble pour garantir l’avenir des générations futures, notamment faces aux menaces climatiques. Dans cette perspective, la LIM veut concentrer ses efforts sur la jeunesse, notamment en créant un forum réunissant des jeunes de différentes religions.

Hafid Ouardiri, directeur de la Fondation de l’Entre-Connaissance, à Genève, a remercié Mohammad Abdelkarim Alissa d’avoir «réalisé un rêve» qu’il faisait depuis longtemps en réunissant un panel aussi varié de représentants religieux. Il a appelé à mettre en place une plateforme interreligieuse consacrée aux jeunes qui, au-delà des paroles, lanceraient des projets concrets pour l’intercompréhension et la paix.

Interpellé par Izhak Dayan, grand rabbin de la communauté israélite de Genève, sur la diffusion toujours permise de livres antisémites tels que les Protocoles des sages de Sion ou Mein Kampf dans certains pays arabes tels que l’Egypte, Mohammad Abdelkarim Alissa a répondu que cela était effectivement intolérable.

Le musulman a également souscrit à l’idée du rabbin genevois d’une charte signée par les principaux leaders religieux mondiaux, qui placerait entre autres la vie humaine au dessus de toute autre considération.

Emmanuel Fuchs a rappelé que, le 29 février 2020, une messe aurait lieu à la cathédrale protestante St-Pierre de Genève. Suite à la haine et à la violence qui a déchiré protestants et catholiques pendant des siècles, le pasteur a brandi cela comme un exemple que les antagonismes les plus profonds peuvent finalement être surmontés. (cath.ch/rz)

L’avenir de la mosquée de Genève en question

La Mosquée du Petit-Saconnex, à Genève, est l’une des institutions soutenues par la Ligue islamique mondiale (LIM). Une relation toutefois remise en question par Mohammed Abdulkarim Alissa. Dans une interview du 18 janvier 2020, il avait annoncé que la LIM renonçait à gérer et à financer la mosquée, qui serait remise aux musulmans de Suisse. Un mouvement de désengagement qui pourrait se concrétiser également pour les autres centres religieux soutenus par la LIM dans le monde.

Au cours de la table ronde du 18 février, le politologue helvetico-algérien Hasni Abidi a souligné la difficulté pour les fidèles locaux de financer eux-mêmes des centres de prière. Mohammed Alissa a répondu de façon succincte que chaque pays avait ses propres règles concernant le financement des institutions religieuses. L’avenir de la Mosquée de Genève est donc toujours incertain. RZ

La Ligue islamique mondiale (LIM) est une ONG musulmane fondée en 1962 à La Mecque par le prince Fayçal d’Arabie saoudite. Elle a un statut d’observateur à l’Organisation des Nations unies. Selon son site internet, sa mission est de «clarifier la véritable image de l’islam, fournir de l’aide humanitaire, créer des ponts de dialogue et de coopération avec les autres religions, engager des initiatives d’ouverture vers les autres cultures et civilisations, contribuer à faire vivre le message de l’Islam, dans le sens qui est le sien». La LIM contribue financièrement à la création de mosquées et de lieux d’enseignement dans de nombreux endroits du monde. RZ

Le colloque «Initiatives pour protéger les jeunes de l'extrémisme et des idéologies violentes» a réuni des membres de diverses religions | © Raphaël Zbinden
20 février 2020 | 17:00
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 4  min.
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Commentaire

Un responsable saoudien en habit traditionnel, un rabbin, un
prêtre et un pasteur assis à une même table. La scène était émouvante au soir
du 18 février à Genève. Les interventions prônant la fraternité, le dialogue et
la compréhension mutuelle sonnaient juste. Mais Malgré la sincérité probable de
ces paroles, il convient de garder à l’esprit que la Ligue islamique mondiale
est pleinement une émanation du régime saoudien. Lequel n’a pas toujours été
loué pour sa promotion de la paix, de la démocratie ou des droits de l’homme
dans le monde, il faut bien le dire. Derrière ces considérations éthiques et
morales, l’on sait bien que de puissants intérêts géopolitiques sont en jeu. 

Que peut-on faire d’autres cependant que de se réjouir quand
l’un des pays les plus influents du globe appelle à la paix et à l’unité de
l’humanité? Il serait certainement contreproductif de jeter ses signes d’espoir
directement aux gémonies. Il s’agira bien plutôt, dans le futur, de prendre les
Saoudiens au mot et de les rappeler à leurs engagements. Peindre l’ange sur la
muraille tout en gardant un œil attentif sur ce qui se passe derrière. RZ