Genève: Mgr Garmou témoigne de la vie difficile des chrétiens d'Iran
Quand Mgr Ramzi Garmou vient en Europe, les gens souvent s’étonnent: «Un évêque en Iran… Y aurait-il encore des chrétiens dans cette République islamique ?» L’archevêque assyro-chaldéen de Téhéran confirme: malgré de réelles difficultés, une petite minorité chrétienne de 60’000 âmes, appartenant aux Eglises reconnues par la Constitution de 1979, subsiste au milieu d’une population de 82 millions d’Iraniens, en grande majorité musulmans chiites.
Grand témoin de la Journée nationale pour les chrétiens persécutés et discriminés organisée par l’œuvre d’entraide catholique «Aide à l’Eglise en Détresse» (AED-ACN), Mgr Ramzi Garmou présidait la messe dimanche 28 octobre 2018 à la paroisse Notre-Dame des Grâces, au Grand-Lancy, dans le canton de Genève.
Une Eglise fondée par l’apôtre Thomas
Invité par Roberto Simona, responsable de l’antenne romande et tessinoise d’AED, l’archevêque de la capitale iranienne a apporté dans une église comble son témoignage sur la situation d’une des plus anciennes communautés chrétiennes du Moyen-Orient, puisque l’Eglise de Perse a, selon la tradition, été fondée par l’apôtre Thomas.
«Quand on parle de l’Iran, effectivement, on pense immédiatement à la République islamique et à son régime, et on oublie une présence chrétienne de 2’000 ans, sans interruption! Les chrétiens sont ici chez eux depuis les temps apostoliques. Thomas, l’un des douze apôtres, a évangélisé la Mésopotamie puis la Perse, l’Iran d’aujourd’hui, avant d’aller fonder l’Eglise en Inde».
Persécution et martyre
Expliquant l’histoire de l’Eglise en Perse, Mgr Garmou rappelle que dans les premiers siècles, le christianisme dans cette région était caractérisé par une vie centrée sur la prière et la contemplation. «A cette époque, des monastères pouvaient abriter jusqu’à 1’000 moines…»
Les chrétiens ont ensuite connu l’expérience du martyre, sous le règne de certains empereurs sassanides, adeptes de la religion zoroastrienne. Ayant pris une épouse chrétienne, certains étaient favorables au christianisme, mais d’autres, comme Shapour II, au IVe siècle, ordonna la persécution des chrétiens, car ils refusaient d’adorer le feu, sacré pour les zoroastriens. «Cette persécution a duré quarante ans, peut-être la plus longue dans l’histoire chrétienne. Mais la souffrance est source de fécondité pour l’Eglise. Une Eglise qui n’a pas de martyrs est comme un arbre sec, un arbre sans fruits…»
Une Eglise missionnaire
Cette Eglise d’Orient a également été une Eglise missionnaire: elle est allée prêcher l’Evangile jusqu’en Chine, en passant par l’Inde, la Mongolie, la Corée, rappelle l’évêque d’origine irakienne, qui vit en Iran depuis 1976. «Il y a eu à une époque, sous l’égide des patriarches d’Orient, jusqu’à 80 millions de fidèles dans ces régions, avec 250 évêques et archevêques…»
Les chrétiens ont émigré en nombre après l’arrivée au pouvoir de la République islamique en 1979: près de 2/3 des chrétiens ont quitté le pays, pour s’installer aux Etats-Unis mais aussi en Europe occidentale (quelque 70’000 fidèles, notamment en Suède – 20’000 environ -, en France – le même nombre -, en Allemagne, aux Pays-Bas, au Danemark ou en Belgique. 180 à 200 familles chaldéennes catholiques vivent en Suisse, soit environ un millier de personnes, mais la plupart sont irakiennes, et pas iraniennes.
Dans un français parfait – il a étudié au séminaire dominicain de Mossoul, en Irak, puis à l’Institut du Prado, près de Lyon -, Mgr Garmou estime que tant qu’il n’y aura pas de liberté de religion dans le pays, la situation restera difficile pour les chrétiens en Iran. Ces derniers ont certes une liberté de culte, mais elle ne peut s’exercer que dans les églises reconnues par le gouvernement. S’il parle le farsi, tout comme aussi l’arabe, l’évêque utilise avec ses fidèles le syriaque de l’Est, un dialecte araméen, la langue qu’utilisait le Christ.
Prosélytisme interdit sous peine de mort
Les minorités religieuses implantées dès les origines en Iran, comme l’Eglise arménienne d’Iran et les Eglises assyrienne et assyro-chaldéenne, sont reconnues par la Constitution de 1979. Président de la Conférence épiscopale catholique iranienne, archevêque de Téhéran depuis 1999, Mgr Garmou est né il y a 71 ans à Zakho, ville du Kurdistan irakien, près de la frontière turque. Ses permis de séjour et de travail doivent être renouvelés chaque année et il ne doit s’adresser qu’aux chrétiens pour ne pas encourir le reproche de faire du prosélytisme auprès des musulmans, «ce qui est strictement interdit !»
Les églises sont ouvertes pour le culte, pour la catéchèse, l’enseignement, les conférences. «Mais tout doit se passer à l’intérieur des édifices reconnus par le régime. Pas question d’avoir des activités religieuses à l’extérieur, car il est interdit de proclamer l’Evangile dans l’espace public. Le portier de l’église connaît nos fidèles, et ne laisse pas entrer les musulmans… Beaucoup de musulmans chiites aspirent devenir chrétiens, mais nous devons compter avec l’absence de liberté religieuse dans les pays islamiques. Ceux qui se convertissent au christianisme en Iran encourent la peine de mort. Mais ils sont nombreux à vouloir devenir chrétiens. Des musulmans convertis ont été tués, et ces martyrs sont une source de grâce nouvelle pour l’Eglise».
Sous surveillance constante
Mgr Garmou, sous surveillance constante des organes de sécurité, a dû signer un document lui interdisant tout prosélytisme envers les musulmans. Il a été convoqué par la police secrète, qui lui a rappelé qu’il n’avait pas le droit de travailler avec des Persans, sous peine d’expulsion du pays.
L’archevêque ne peut accueillir des musulmans dans sa résidence que s’ils ont reçu la permission écrite du Ministère de la Culture et de la Guidance islamique. Ce sont des personnes qui étudient la religion chrétienne. La loi islamique iranienne réprime sévèrement le prosélytisme et l’apostasie. La République islamique est sensible au fait que les conversions au christianisme sont de plus en plus nombreuses, influencées notamment par des émissions religieuses télévisées réalisées aux Etats-Unis par des convertis iraniens.
Les sanctions de Trump touchent avant tout les pauvres
En raison des nouvelles sanctions imposées à l’Iran par Donald Trump, qui vont être renforcées le 1er novembre 2018, «tout le monde va souffrir et souffre déjà, chrétiens comme musulmans, avec l’effondrement de la monnaie, la cherté des produits de première nécessité. Le chômage augmente, et beaucoup de gens ne peuvent faire face, la pauvreté augmente, et cela peut faire croître la criminalité, simplement pour survivre… Les gens réagissent, manifestent contre la vie chère, mais cela ne donne rien, le régime tient bon. Il garde le contrôle de la situation et réduit au silence les contestataires».
Aucun régime n’est éternel
Les Assyro-Chaldéens et les Arméniens, en majorité, désirent quitter le pays, mais les nouveaux convertis de l’islam vont peut-être former la nouvelle Eglise d’Iran. De l’avis de Mgr Garmou, l’islam sera amené un jour à reconnaître la liberté religieuse, «un droit humain personnel que personne ne peut nier… Aucun régime n’est éternel: regardez l’URSS, elle n’a duré que sept décennies!» JB
60’000 chrétiens restés en Iran
Actuellement, sur les 60’000 chrétiens qui restent en Iran, la majorité, soit quelque 50’000, appartiennent à l’Eglise apostolique arménienne (grégorienne), dont le berceau historique est la ville d’Ispahan, où ils avaient été déportés sur ordre de Shah Abbas Ier au XVIe siècle. Outre l’Eglise apostolique assyrienne (dite aussi ‘nestorienne’), il existe encore trois Eglises catholiques. L’Eglise assyro-chaldéenne compte les diocèses de Téhéran (350 familles) et d’Ourmia (350 familles), ainsi que l’administration patriarcale d’Ahwaz (une quinzaine de familles). L’Eglise arménienne catholique compte un diocèse à Ispahan et l’Eglise latine un diocèse dans la même ville. Au sein des minorités, il existe encore des Eglises protestantes reconnues. Quant aux Eglises évangéliques, accusées de faire du prosélytisme envers les citoyens parlant persan, le farsi – ces derniers sont censés être tous musulmans -, elles sont durement réprimées. Les chrétiens, issus des minorités, doivent prêcher à l’église en arménien ou en syriaque de l’Est, un dialecte araméen, et ne pas utiliser le farsi. JB
Le Père Humblot poursuit sa mission à Paris
Prêtre du Prado, comme Mgr Garmou, le Père Pierre Humblot, qui a vécu a vécu en Iran de 1969 à 2010, dirigeait le Centre St-Jean à Téhéran, au service des chrétiens d’Iran d’origine persane. «C’était un travail illégal du point de vue du régime». Il a dû quitter le pays et anime depuis à Paris le Centre St-Jean qui, discrètement, regroupe des Iraniens, amis des chrétiens. Il poursuit sa mission, tant par internet que directement, auprès de ceux qui ont dû quitter l’Iran ou l’Afghanistan, à cause de leur foi.
Des déçus du régime se convertissent
Des Iraniens font le choix de devenir chrétiens parce qu’ils ont déçus du régime, de ses promesses non tenues. Certains regrettent même le temps du shah. Ils disent en avoir marre de la République des mollahs ou estiment que l’islam dans le pays été travesti.
Le prêtre français affirme qu’il y a eu en Iran une vague importante de convertis, principalement des jeunes, «qui en ont assez d’un certain type d’islam qui leur est imposé». L’arrivée au pouvoir de Hassan Rohani à la présidence en 2013 avait pourtant fait souffler un vent d’espoir pour les chrétiens d’Iran qui ont très majoritairement voté pour le candidat modéré. Dès novembre 2013, le président fraîchement élu avait multiplié les signes d’ouverture, comme en témoignent ses échanges de tweets avec le pape François portant sur le dialogue interreligieux. Cela n’a pourtant pas entraîné de réels changements dans la vie quotidienne des chrétiens. (cath.ch/be)