Game of Thrones: l'union du trône et de l'autel
Le religieux occupe une place de choix dans Game of Thrones, dont l’ultime saison est diffusée dès le 15 avril 2019 en Suisse. Émergence du fanatisme, mysticisme politique, ou encore besoin de maîtrise: la fiction se nourrit du réel. Pour le frère Jacques-Benoît Rauscher, dominicain et Docteur en sociologie, cette série dit quelque chose de notre monde contemporain.
Tout au long des sept premières saisons, on ne se soucie guère de la nature des dieux qui patronnent les cinq religions de Game of Thrones. Leur influence, en revanche, est prépondérante. Les morts ressuscitent, le fanatisme s’intensifie, l’omniprésence de la guerre et la menace d’une apocalypse imminente attisent les peurs et réveillent le besoin de transcendance.
Confusion et bricolage
Autant d’aspects susceptibles d’intéresser un frère dominicain. Pour autant, ce n’est pas la première raison qui a poussé Jacques-Benoît Rauscher, du couvent Saint-Hyacinthe de Fribourg, à s’intéresser à la série. «Game of Thrones est un phénomène de société qui rassemble des millions de personnes. Cette série dit quelque chose de notre monde contemporain, de ce pouls du monde qu’il s’agit de ressentir». Il va même plus loin: «la Constitution conciliaire Gaudium et Spes rappelle que la voix de Dieu s’exprime aussi à travers des réalités qui ne sont pas chrétiennes. Force est de constater que l’on écoute peu ces voix».
S’il pose un regard critique sur la surenchère de sexe et de violence, il souligne la capacité de cette série à retranscrire des phénomènes religieux contemporains. «Il y a un côté très fragmentaire dans Game of Thones. Il n’y a pas un grand héros qui se démarque clairement des autres, ou un grand dieu qui domine tout. Au contraire, la série nous confronte à une forme confusion et de bricolage. On ne sait pas bien qui est le ‘bon’ dieu, celui qui tire les ficelles, ni comment il agit».
Besoin d’ordre
Des dieux qui prennent de plus en plus d’importance à mesure que la détresse s’accroît. Qu’est-ce à dire? Que la misère exacerbe le besoin d’un rédempteur? «Il s’agit moins d’un rédempteur que d’un besoin d’ordre social, nuance le dominicain. Dans la série, l’avènement du fanatisme à travers les ‘moineaux’ de la foi militante, s’inscrit dans un contexte d’hypocrisie généralisée et de pouvoir ultra corrompu. On a besoin d’une organisation sociale qui repose sur un pouvoir auquel on peut faire confiance. On a besoin d’ordre, d’où la tentation de vouloir unir le trône et l’autel».
«S’il fallait relier cela à un phénomène contemporain, on pourrait penser à toutes les formes de mysticismes politiques qui ont émergé au XXe siècle. Des pouvoirs qui, tout en repoussant – pour certains – le religieux, s’adossent à une forme de sacré pour fonder leur autorité. On retrouve cette pratique aujourd’hui du côté des populismes qui parfois se servent du religieux pour renforcer des valeurs communes, intangibles, ou fédérer un groupe.»
L’union du trône et de l’autel n’est pas sans conséquences. «La séparation des pouvoirs est incluse dans la matrice intellectuelle du christianisme», rappelle Jacques-Benoît Rauscher. L’enjeu? «Quelque chose de l’ordre du garde-fou. «La foi est garante d’une totalité de l’homme à laquelle le politique ne peut pas prétendre. Il est frappant en ce sens de constater que souvent, lorsque le politique devient totalitaire, les églises deviennent des lieux de résistance. Dans la série, les castes religieuse et politique se servent l’une de l’autre pour assoir un pouvoir. On le voir clairement lorsque le jeune roi Tommen, retrouve une assise en s’associant avec le Grand Moineau, chef des fanatiques.»
Ces croyants intransigeants, qui ne ménagent pas leurs efforts pour purger de ses vices une humanité décadente, émergent dans un contexte apocalyptique. Là aussi, ce n’est sans doute pas un hasard. «Leur monde change. Un cycle s’achève et on ne sait pas très bien ce qui va renaître. C’est une période déstabilisante où les repères se perdent. Il y a donc une volonté de s’appuyer sur une tradition, des rites – qui, par définition, célèbrent la répétition. C’est aussi une caractéristique de notre temps. On se focalise sur un discours assez simple, qui se donne la forme d’une tradition, ou sur des choses à faire pour se donner l’illusion d’être en sécurité».
Héros déboulonnés
Autant de liens qui rendent la fiction si réelle, malgré son univers créé de toute pièce. Jacques-Benoît Rauscher souligne un ultime aspect qui le renvoie au texte fondateur du christianisme. «L’absence de héros est frappante dans Game of Thrones. On est dans une période où l’on déboulonne les héros. Voyez le dernier James Bond. On les présente de manière beaucoup moins glorieuse. C’est aussi le cas dans la Bible: il y a peu de personnages lisses. Paul, Pierre, le roi David, pour ne citer qu’eux: on prend toujours soin de souligner leurs failles».
Parmi les personnages complexes que présente la série, une figure christique: Jon Snow. «Un barbu au longs cheveux, ressuscité, dont la généalogie est marquée par ‘le péché originel’ et dont le père n’est pas vraiment son père. C’est un peu téléphoné. Va-t-il accéder au trône? Je l’espère. Mais l’absence d’horizon eschatologique propre à la série pourrait réserver bien des surprises». Réponse dans quelques semaines. (cath.ch/pp)