Fribourg: La pauvreté touche 3% de la population, 10% est en situation de risque
Le taux de pauvreté dans le canton de Fribourg s’élevait, en 2011, à 3% de la population, soit 7’577 personnes, mais le risque de pauvreté concerne quelque 10% de la population. C’est ce que révèle le premier Rapport sur la situation sociale et la pauvreté dans le canton de Fribourg, présenté à la presse vendredi 23 septembre 2016 par la direction de la santé et des affaires sociales (DSAS).
Présentant ce rapport, qui sera publié une fois par législature, la conseillère d’Etat Anne-Claude Demierre, cheffe de la DSAS, a relevé que la pauvreté touche fortement les femmes: 16% des familles monoparentales (tenues à plus de 93% par des femmes) sont dans cette situation.
La pauvreté des enfants est une véritable ‘bombe à retardement’
«Mais pire encore, a-t-elle insisté, la pauvreté des enfants est une véritable ‘bombe à retardement’. Nous devons trouver les remèdes pour effacer les stigmates de la pauvreté, éviter qu’elle ne parasite toute une vie!» C’est, pour la conseillère d’Etat, «une responsabilité de toute la classe politique».
Ce rapport doit par conséquent inciter les responsables politiques à mieux prendre en compte les besoins des personnes les plus fragiles de la société, car au-delà des apparences et des idées reçues, la Suisse est tout autant concernée par la pauvreté que les autres pays développés. Dans le catalogue de mesures pour combattre la pauvreté dans le canton, la DSAS et les autres directions concernées préconisent toute une série d’actions à entreprendre.
Des prestations complémentaires pour les familles
Parmi elles, des «prestations complémentaires pour les familles». A ce propos, souligne la conseillère d’Etat, un rapport sur les PC familiales est à bout touchant, et correspondant à un principe inscrit dans la Constitution fribourgeoise.
La DSAS montre, dans son rapport exhaustif de 122 pages – une véritable «photographie» de la réalité sociale fribourgeoise – que la pauvreté est multidimensionnelle et qu’elle envahit toutes les sphères de l’existence. Les restrictions dues à la pauvreté touchent en effet des domaines fondamentaux de l’existence comme l’alimentation, l’habillement, le logement, la culture, les loisirs, etc. Ainsi, elle ne peut pas être combattue uniquement par des mesures d’aide matérielle: il faut agir également à l’aide d’autres leviers, à différents niveaux et par une collaboration à la fois entre les directions au sein de l’Etat, entre les secteurs privé et public, et en collaboration avec les communes.
«Le taux de pauvreté n’est pas alarmant»
Avec 3% de la population, estiment Sarah Mariéthoz et Jean-Claude Simonet, les principaux auteurs du Rapport, le taux de pauvreté du canton de Fribourg «n’est pas alarmant». Ils soulignent que le système social actuellement en vigueur en Suisse et dans le canton de Fribourg «produit les résultats escomptés: il réduit les inégalités et limite la pauvreté».
Si le taux de pauvreté indiqué par l’étude de la DSAS est plus de la moitié inférieur aux données de Caritas Suisse, cela est dû au fait qu’elle prend notamment en compte la fortune des personnes et se base sur les données fiscales disponibles.
Des indices avant-coureurs préoccupants
La DSAS remarque que si l’on ne tenait pas compte de la fortune, un millionnaire, qui pourrait ne pas avoir de revenus, pourrait être enregistré comme «pauvre». Son étude a pu disposer de toutes les déclarations fiscales anonymisées des personnes imposées dans le canton. «Cela a été un combat de trois ans, en raison de la protection des données», note Anne-Claude Demierre.
Les auteurs de l’étude insistent sur l’importance de préserver et d’entretenir les investissements sociaux dans des proportions au moins équivalentes à celles d’aujourd’hui en tenant compte de l’évolution démographique du canton. Car ils notent certains indices avant-coureurs plus préoccupants, notamment le fait que 10 % de la population fribourgeoise est considérée comme à risque de pauvreté.
10% de la population sur le fil du rasoir
Ce sont un peu plus de 25’500 personnes (sur quelque 255’000 personnes, chiffres de la population de 2011) qui vivent avec des moyens fortement limités pour assurer leurs besoins vitaux, engendrant une incertitude quotidienne. «Cette précarité peut devenir le lit du développement à moyen ou long terme de situations de pauvreté».
L’étude souligne qu’un bas niveau de formation débouche généralement sur une faible rémunération, signifiant des cotisations réduites aux assurances sociales et donc une couverture moindre en cas de difficulté ou au moment de la retraite. En 2014, 58% des bénéficiaires de l’aide sociale du canton de Fribourg n’avaient aucune formation professionnelle. Ce taux s’élève même à 71% des bénéficiaires de l’aide sociale de nationalité étrangère.
Le risque du handicap
Les auteurs du rapport notent également qu’une atteinte à la santé implique une participation amoindrie au marché du travail et ne permet pas de dégager un salaire suffisant pour pouvoir offrir à une famille un lieu de vie de taille convenable. «L’espace insuffisant aura alors un impact sur les chances de développement des enfants et leurs performances scolaires. Ainsi, les personnes en situation de pauvreté se retrouvent face à des limitations dans leurs possibilités de choix (d’un logement, d’un emploi, d’un mode de vie…)
La situation des personnes confrontées au handicap est emblématique de la ressource essentielle que constitue la santé. Les limitations avec lesquelles elles doivent composer au quotidien, et en particulier les restrictions dans leur activité professionnelle, rendent leur situation particulièrement précaire. Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), les personnes en situation de handicap sont quasiment deux fois plus nombreuses à vivre dans un ménage à risque de pauvreté que les personnes sans handicap.
Transformation des modes de vie
L’étude signale également les transformations des modes de vie apparues dans les 15-20 dernières années, qui posent de véritables défis à la société. La tertiarisation du marché du travail et la diminution du nombre de places pour les personnes faiblement qualifiées, la présence accrue des femmes sur le marché du travail, la divortialité, la mobilité (intra- et internationale) ou les réformes des assurances sociales sont autant de réalités qui gagnent en importance et entraînent la population vers un nouveau modèle de société.
«Celui-ci engendre ses propres risques socio-économiques face auxquels les instruments de réponse actuels ne sont plus adaptés. Le système social est en effet construit à partir de biographies considérées comme ‘normales’ – autrement dit une carrière professionnelle basée sur un emploi à plein temps sans interruption – qui aujourd’hui existent de moins en moins, voire plus du tout.
Les femmes plus exposées
De plus, les solidarités conçues en d’autres temps n’offrent plus forcément de réponses aux nouveaux risques sociaux tels que la divortialité ou le chômage de longue durée et exposent de ce fait une partie de la population au risque de pauvreté.
Les femmes subissent plus particulièrement les conséquences d’un système social basé sur un modèle de famille dite traditionnelle, car elles assument encore aujourd’hui une plus grande part du travail domestique et familial, situation qui se traduit généralement par une insertion à temps partiel sur le marché du travail. «Or, non seulement travailler à temps partiel réduit les opportunités de formation, de promotion et de carrière professionnelle, mais conduit de plus à une moindre protection au niveau des assurances sociales».
Pauvreté cachée
Le seuil de pauvreté adopté par le Rapport est fixé à partir des normes de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS). Parmi les 7’577 personnes en situation de pauvreté, note le Rapport (*), 2’020 sont également bénéficiaires de l’aide sociale. Parmi les 5’557 personnes en situation de pauvreté qui ne reçoivent pas de soutien de la part de l’aide sociale, 4’636 tirent leurs revenus d’autres prestations de transfert (ex. assurance-chômage, AVS-AI, PC AVS-AI…).
Le seuil de risque de pauvreté correspond aux 60% du revenu disponible équivalent médian (2’376 francs par mois pour une personne seule pour le canton de Fribourg en 2011) A l’instar du taux de pauvreté, une limite de fortune a également été ajoutée au calcul de ce taux. Le Rapport constate que «bénéficier de prestations de transfert ne protège pas forcément de la pauvreté», car la plupart des prestations ne visent pas la garantie du minimum vital. Il relève enfin que 921 personnes vivent sans aucun transfert social, et que la situation vécue par ces dernières peut être qualifiée de «pauvreté cachée».
Le logement, un problème lancinant
Il apparaît également que les chefs-lieux des districts présentent une densité plus marquée de personnes en situation de pauvreté, vraisemblablement attirées par la concentration d’infrastructures et d’opportunités disponibles en ville. Cet effet d’attraction est particulièrement visible autour de la ville de Fribourg et dans son agglomération (**).
L’étude montre encore que la situation du marché du logement dans le canton de Fribourg constitue une importante menace pour les situations à risque de pauvreté et péjore encore davantage les situations de pauvreté. La principale difficulté réside dans le manque de logements avec des loyers à des prix abordables pour les ménages ne disposant que d’un faible revenu. Au niveau de l’aide sociale, la part des dépenses dédiées à la couverture des frais de logement n’a cessé d’augmenter et représente aujourd’hui pratiquement la moitié des charges totales.
Un rapport «qui fera date»
Là aussi, la conseillère d’Etat Anne-Claude Demierre a reconnu la nécessité pour les collectivités publiques d’agir en concertation avec tous les acteurs dans le domaine de l’immobilier. Elle voit dans ce premier rapport «une boussole qui dirigera l’action du Conseil d’Etat dans la lutte contre la pauvreté». Pour François Mollard, directeur du Service de l’action sociale (SASoc) – qui prend sa retraite fin septembre – ce rapport «qui fera date» fournit des données très fiables sur la pauvreté dans le canton. Quand des actions seront proposées, les responsables politiques ne pourront plus dire: sur quels chiffres vous basez-vous ?» JB
(*) La députée Andrea Burgener Woeffray, conseillère communale de la Ville de Fribourg, avait déposé au Grand Conseil fribourgeois un postulat, avec son collègue Bruno Fasel, en mars 2010. Il demandait au Conseil d’Etat de produire, au cours de chaque législature, un rapport détaillé concernant la pauvreté et ses conséquences dans le canton. Ce premier Rapport sur la situation sociale et la pauvreté dans le canton de Fribourg fournit une vue d’ensemble sur la situation sociale globale du canton. C’est une première dans l’histoire fribourgeoise: les autorités disposent enfin d’un outil avec une vue de la distribution des revenus – anonymisés – de tout le canton. Il doit servir de base pour vérifier et réajuster les décisions à prendre en matière notamment de politique sociale.
(**) Alors que le taux de pauvreté dans le canton de Fribourg est en moyenne de 3 %, il est à Fribourg de 4,8 %, à Romont de 4 %, à Estavayer-le-Lac de 3,3 %, à Bulle de 3,1 %, à Morat de 3,1 %, à Tavel de 2,8 %, et à Châtel-Saint-Denis de 2,6 %. (cath-ch.apic/be)