Fribourg: Les exceptions au célibat des prêtres

Des cas dont la rareté justifie tout de même un «oeil prudentiel»

Apic Interview

Valérie Bory, Agence Apic

Fribourg, 3 juillet 2007 (Apic) L’Eglise catholique romaine accepte en son sein certains prêtres mariés, ou qui l’ont été, exception à la règle vaticane du célibat des prêtres. Cette brèche, minime, s’entrouvrira-t-elle un jour pour faire place à l’ordination de prêtres mariés? Ces derniers sont très rares, mais s’ils devenaient plus nombreux, la question deviendrait alors aiguë. Nicolas Betticher, chancelier de l’évêché de Lausanne Genève et Fribourg et ordonné diacre dimanche 1er juillet dernier, explique comment sont justifiées ces situations, qui apparaissent parfois ambiguës à l’opinion publique.

Les prêtres mariés existent, mais ils sont rares. Il existe des catholiques veufs devenus prêtres, de même que des pasteurs protestants, luthériens ou anglicans, mariés qui, convertis au catholicisme romain, sont reçus comme prêtres catholiques. Sans parler des prêtres maronites, qui peuvent prendre femme.

Apic: Comment l’Eglise catholique qui exige le célibat des prêtres, justifie-t-elle ces différences entre une minorité de prêtres mariés et les autres. Comment sont-elles fondées, théologiquement?

Nicolas Betticher: Le mariage, comme l’ordination presbytérale, sont des vocations. Les deux sont également des sacrements: le sacrement de l’ordre et le sacrement du mariage.

L’Eglise a toujours préconisé que l’on devait ordonner les gens dans l’état de vie dans lequel ils avaient choisi d’être, d’une manière définitive. Un homme marié peut par exemple demander le diaconat permanent, donc une ordination diaconale. Il doit remplir des conditions, dans ce cas, avoir été marié un certain temps, avoir fait preuve d’une capacité matrimoniale respectueuse des exigences ecclésiales et puis avoir un âge reconnu. Donc, l’Eglise demande d’être dans un état de vie stable, célibataire ou marié.

Et après, vient l’approche de la vocation à l’ordre, à l’ordination. Et pour ce qui est du sacerdoce, on demande effectivement, dans la tradition latine, que le candidat soit célibataire. Mais il est célibataire parce que d’abord il a choisi cet état de vie. Puis il se présente devant l’évêque avec sa vocation sacerdotale et après un discernement, l’évêque l’appelle au sacerdoce.

Apic: Le mariage empêche la prêtrise.

Nicolas Betticher: C’est la même chose pour le mariage. Il s’agit d’abord d’un état de vie. La personne qui choisit le mariage sait qu’elle ne deviendra jamais prêtre. Il y a un empêchement dirimant à devenir prêtre, c’est le mariage. Mais il est clair, et l’Ecriture sainte le dit, que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni, et que donc seule la mort sépare les époux. Or, le mariage est rompu, si je puis dire, par la mort d’un des 2 conjoints. L’indissolubilité matrimoniale tombe alors. Le veuf n’est plus tenu par le lien matrimonial, il se retrouve en situation de célibataire, si l’on veut, et dès lors, il peut se mettre en disponibilité pour une ordination.

Apic: Un pasteur protestant ou luthérien ou anglican qui se convertit au catholicisme alors qu’il est encore marié peut aussi devenir prêtre catholique.

Nicolas Betticher: Il s’agit de cas différents, en l’occurrence. Les trois appartiennent à des Eglises chrétiennes qui relèvent du même baptême. Ce qui veut dire que nous catholiques, reconnaissons le mariage entre deux protestants, entre deux anglicans ou deux luthériens, comme étant indissoluble. Lorsque le pasteur protestant, l’anglican ou le luthérien se convertit au catholicisme, on l’accueillera dans la pleine communion, puisqu’il en demande l’adhésion. Il deviendra catholique.

Apic: Le mariage est donc considéré là aussi comme indissoluble?

Nicolas Betticher: Oui, on ne va pas dire qu’il ne vaut plus. Dès lors il est un ex pasteur devenu catholique et marié. S’il répond aux exigences doctrinales, s’il vit a le credo de l’Eglise catholique, on peut à certaines conditions l’admettre au presbyterium. Son état de pasteur sera entre guillemets transformé, par son adhésion à la pleine communion de l’Eglise catholique, en un ministère catholique de prêtre. On ne va pas lui demander de se séparer de sa femme, puisqu’on reconnaît l’union comme indissoluble. Dès lors, on a un prêtre marié.

C’est très rare, je connais un cas, c’est l’abbé Patrick Balland, qui est maintenant curé en Belgique, étant marié et ayant des enfants à la cure. Il était auparavant pasteur réformé à Genève, puis s’est converti et a demandé à pouvoir exercer le ministère de prêtre catholique. L’autorisation a été donnée par le Saint Siège. L’évêque a été prudent, pour qu’il n’y ait pas de confusion. En effet, l’insertion pastorale aurait pu poser problème au niveau de la compréhension des fidèles. Pas au niveau doctrinal, au niveau pastoral. On l’a connu comme pasteur d’une famille calviniste, tout comme son épouse. Un pasteur protestant à Genève qui tout d’un coup devient curé catholique dans la cité de Calvin.

Apic: Et pour les maronites?

Nicolas Betticher: C’est encore différent. L’Eglise maronite est rattachée à Rome. Dans l’Eglise maronite, l’Eglise autorise les prêtres (non pas les évêques) à se marier. Mais quand un maronite vient dans notre Eglise, et qu’il veut exercer un ministère chez nous, on lui demandera de choisir, car il y a la biritualité. Nous avons eu un cas: l’ordination a eu lieu dimanche 24 juin. Un jeune, bientôt vicaire à Nyon, maronite libanais. Il a fini sa formation à l’Université de Fribourg. L’évêque lui a demandé de choisir entre le rite maronite et le rite latin. Ce jeune avait fait le choix du célibat avant, il a été ordonné prêtre dans le rite latin. Il aurait pu être prêtre marié, en tant que maronite.

Apic: Au niveau des charges qu’occupent ces prêtres, peuvent-ils occuper les mêmes charges que les autres prêtres ayant opté pour le célibat, être curé?

Nicolas Betticher: Il n’y a pas de mini curé, il n’y a pas de mini prêtres. Quand on est ordonné, on est prêtre entièrement. Et dès lors, on a les 3 ministères (munera), les trois services, les trois charges, que l’évêque confère au prêtre quand il l’ordonne. Et ça c’est la totalité de son cahier des charges. Enseigner, conduire, cela veut dire gouverner et rassembler dans la pleine communion, donc, c’est le pasteur, le berger.

A partir de là, il n’y a rien de plus, il n’y a rien de moins. Donc que le veuf devienne prêtre, que le protestant devienne curé catholique, que le maronite choisisse en tant que marié d’être prêtre de rite latin, ils accomplissent la charge presbytérale dans son intégralité. Tel prêtre veuf pourrait même être évêque. Néanmoins il est évident que l’évêque aura un oeil prudentiel quand il lui confiera une charge. Par exemple il ne mettra pas forcément le curé de rite maronite dans une communauté latine. Il le mettra plutôt dans la communauté maronite de Paris ou de Berlin.

Apic: Par rapport au voeu de célibat de leurs collègues prêtres catholiques, un prêtre marié, concrètement, doit il observer la chasteté par rapport à son épouse?

Nicolas Betticher: Non! Parce que ce qui détermine sa vie intime, c’est l’état dans lequel il est entré dans le sacerdoce. Celui qui devient prêtre en étant marié est marié. Celui qui entre dans le sacerdoce en étant célibataire sera appelé à être chaste. C’est l’état de vie qui prédomine par rapport à l’entrée dans l’ordre. Il est évident qu’on ne peut pas demander à tel prêtre marié, qui a une épouse, des enfants, de ne pas vivre une vie normale de couple. Cela serait totalement inhumain. Par contre on demande à un prêtre veuf de ne pas se remarier.

Apic: Les gens se demandent parfois si le prêtre marié devrait vivre avec son épouse comme frère et soeur!

Nicolas Betticher: Non. C’est tout à fait faux. C’est un problème qui touche les divorcés -remariés. A eux, l’on demande de vivre en frère et soeur. On touche là à un autre problème. Par contre au niveau de la prudence pastorale, quand vous avez un homme marié qui devient prêtre par les chemins que nous avons décrits, il est clair que l’évêque aura une certaine observance prudentielle. S’il y avait dans la paroisse A un prêtre curé, marié avec des enfants et dans la paroisse B, à 10 km, un curé célibataire, les gens se demanderaient pourquoi celui-là doit-il vivre tout seul et pas son confrère

Apic: Le jour où il y aura davantage de cas cela posera des problèmes à l’oeil prudentiel.

Nicolas Betticher: Oui, mais les conversions de pasteurs au catholicisme, qui demandent à être prêtres catholiques sont très rares. Tant mieux d’une certaine façon, car cela poserait des problèmes d’ordre pastoral et humain. Les gens qui souhaitent aujourd’hui le mariage des prêtres se diraient qu’avec ces hommes mariés et prêtres catholiques, on est déjà en train de vivre ce que Rome n’a pas autorisé.

Apic: On parlerait d’une brèche dans les règles que Rome impose?

Nicolas Betticher: Absolument. Et on doit être prudent, bien sûr. Je constate encore une fois qu’il n’y a pas de demande en Suisse romande actuellement de convertis mariés aspirant à la prêtrise.

Apic: Pensez-vous que si les cas se multipliaient cela ferait fortement

avancer la réflexion sur l’ordination d’hommes mariés?

Nicolas Betticher: Si on peut déboucher un jour sur la question des viri probati – et à mon avis, c’est l’une des réponses à toutes ces questions – finalement faire tomber en amont l’obligation disciplinaire du célibat. Qui n’est pas doctrinal, mais de tradition.

L’Eglise pourrait réfléchir à la question: pourquoi ne laisserait-on pas choisir l’homme, si il veut être marié ou pas ? Et ensuite quand il a fait son choix de vie, on l’ordonne prêtre, s’il le demande et si une vocation réelle est constatée.

Les évêques suisses ont d’ailleurs déposé cette requête à Rome en demandant au Saint-Siège de bien vouloir, avec les évêques du monde entier, bien sûr, réfléchir à cette question, pour arriver à trouver une réponse commune, dans la communion universelle. Ce sont des demandes réitérées, et qui sont déposées à Rome. Je crois que c’est une bonne chose: non pas de casser la communion par une décision qui serait arbitraire, mais de réfléchir ensemble à une réponse adaptée. A mon avis peut-être qu’un jour un Concile y arrivera. Les Eglises d’Orient vivent cela, et elles sont rattachées à l’Eglise universelle. En Roumanie les prêtres byzantins sont mariés, prêtres et rattachés à Rome. VB

Apic Témoignage

Suisse: La riche expérience de vie de l’abbé Camenzind

«Mon grand-papa est prêtre catholique»

Valérie Bory, Agence Apic

Lausanne, 12 juillet 2007 (Apic) Ils ne sont pas nombreux les enfants qui peuvent dire: «Mon grand-papa est prêtre catholique». L’abbé Erich Camenzind est père, grand-père et prêtre. Son église? Une paroisse qui s’étend aux frontières du canton de Vaud. Son passé professionnel? Professeur, missionnaire, rédacteur en chef. Son passé privé? Un grand deuil qui le laisse veuf il y aune quinzaine d’années, et quatre enfants adultes, l’un étant décédé à 21 ans.

Ce Suisse alémanique, qui a fait une partie de sa carrière professionnelle laïque à Fribourg, est aujourd’hui prêtre à Lausanne. L’abbé Erich Camenzind s’occupe d’une paroisse «un peu spéciale», comme il dit, la paroisse St-Michael à Lausanne. Ses paroissiens? Des Allemands ou des Suisses alémaniques qui épousent un ou une Romande, ou des cadres catholiques de langue allemande. Son église? Pas d’église, mais une chapelle, aménagée au sous-sol d’un locatif de l’Avenue Vinet. Sa paroisse? «Une paroisse personnelle» qui, bien que sans église, touche tout de même 1000 à 1’200 personnes, le Père Camenzind se déplaçant d’une église à l’autre: là où les catholiques de langue allemande habitent, dans tout le canton de Vaud , sauf la partie concernée par le diocèse de Sion.

Enterrements, baptêmes, mariages. Un samedi, il est à un mariage mixte à Bursins, le samedi suivant, tout près du bourg fribourgeois d’Attalens, pour un autre mariage. Pas d’église donc, mais une chapelle, St-Michael, à l’Avenue Vinet, où il donne des services réguliers, dans la langue de Goethe ou bilingues. Ses paroissiens viennent d’horizons professionnels divers. Un noyau d’une vingtaine de jeunes parents avec des enfants petits, qu’il a pu baptiser pour la plupart, sont venus en Suisse romande, envoyés par des entreprises internationales. Souvent de jeunes universitaires. Des fidèles itinérants qui, après quelques années de contacts chaleureux dans la foi avec leur abbé, sont mutés dans une autre ville.

En Zambie avec toute sa famille

Ce prêtre, natif de Schwytz, a une vie derrière lui. Une vie professionnelle, d’époux, de père et grand-père de 8 petits-enfants aujourd’hui. Il choisit le sacerdoce après la mort accidentelle et brutale de sa femme, et en 1994, il devient l’abbé Camenzind, après des études de théologie, déjà presque achevées dans sa jeunesse.

Durant son passé laïc, il fut Secrétaire général du Conseil missionnaire catholique (regroupement de toutes les congrégations suisses – une centaine d’institutions représentant environ 2000 missionnaires actifs dans le monde), pendant 13 ans, puis professeur à l’Université de Fribourg, à Bâle Campagne et enfin, rédacteur en chef des Freiburger Nachrichten.

Mais auparavant, un autre jalon a aussi marqué sa vie, l’Afrique. «J’avais demandé au Conseil missionnaire catholique d’aller dans un pays de mission». Ce fut la Zambie. «L’Afrique a été une expérience qui a marqué toute ma famille; la cadette avait 4 ans et demi, l’aîné 12 ans».

Les paroissiens ont très bien accueilli ce prêtre qui avait été marié. «Quand j’ai commencé ici, à la paroisse, j’étais encore laïc et 9 jours plus tard, diacre. Les proches paroissiens ont vécu avec moi l’ordination diaconale le 9 octobre 1994 et 4 mois plus tard, mon ordination de prêtre». A son ordination à Fribourg, son 1er petit-fils de 3 ans – «c’était impressionnant que le petit-fils d’un prêtre soit là» – .courait partout!, se souvient-il.

Une connaissance vécue des laïcs dans l’Eglise

Il affirme que son vécu d’homme marié et père de famille l’aident dans son ministère. Son expérience de laïc engagé également. «Je sais ce que sont les laïcs dans l’Eglise. J’ai toujours eu le même respect pour les qualifications des laïcs, pour les compétences. Je n’ai jamais eu l’orgueil que le prêtre décide tout. Nous cherchons ensemble les solutions à toutes les questions qui se posent à l’intérieur d’une paroisse. J’ai connu des prêtres autoritaires, je m’y suis opposé, et ce fut une expérience fructueuse pour moi».

Pourquoi Lausanne? «En tant que prêtre, l’évêché propose», et l’abbé Camenzind, «un peu étonné tout d’abord, car je connaissais bien le canton de Fribourg y compris la Singine», s’est retrouvé au bord du Léman, «et c’était la meilleure des choses», reconnaît-il. L’Eglise Notre-Dame du Valentin lui est précieuse. «Pour moi le ministère était nouveau, le canton aussi. Comme laïc, un quart de mon temps était destiné aux tâches à Notre-Dame et cela dure toujours. Je fais régulièrement la messe, les confessions et les prédications. Intégré dans le groupe des 6 prêtres, j’ai beaucoup profité de leur connaissance de l’Eglise catholique dans le canton. On et toujours un apprenti.»

Et ses enfants? «Quand je suis avec eux – trois d’entre eux sont à Fribourg et une fille à Berne – là, je suis vraiment papa et grand-papa! Je vais les trouver chaque mois. J’ai même eu la chance de baptiser deux de mes petits-enfants «Quand j’ai baptisé la soeur de l’un des petits, il a réalisé que j’étais prêtre. Après notre réunion de Noël dernier, je les ai quittés en disant que j’avais une messe. Il m’a dit Ah, tu vas prêtriser! Je ne pourrais pas m’imaginer ne pas avoir une famille. Je rencontre des prêtres qui me disent: «Ne pas avoir d’enfants, c’est aussi un sacrifice, pour un prêtre célibataire». «Je remercie Dieu d’avoir ce bonheur». Malgré ces deuils qui l’ont marqué, l’abbé est un homme serein. Même s’il confie: «J’aurais voulu vieillir avec ma femme… «. Après des années de vie professionnelle hyperactive, le ciel n’en a pas voulu ainsi.

Comment voit-il le célibat des prêtres? «Le célibat, comme l’obéissance, et comme les voeux que Jésus a conseillés à ses disciples, cela est toujours valable. Mais il me semble que les prêtres, dans le ministère des paroisses, dans le ministère du peuple, devraient avoir le choix. Ou de rester célibataires, avec toutes les valeurs que cela représente, ou bien faire le choix, au fond, d’avoir une famille. Avoir vécu ma propre expérience fait que je partage tellement les valeurs que l’on peut vivre en famille, en couple. C’est une richesse pour la pastorale». VB.

Des photos de l’abbé Camenzind sont disponibles à l’agence Apic à Fribourg (apic/vb)

12 juillet 2007 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 11  min.
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