Mgr Joseph Doré, archevêque émérite de Strasbourg, entouré de Mariano Delgado, doyen de la Faculté de Théologie (à g.) et du professeur François-Xavier Amherdt | © Bermard Litzler
Suisse

Fribourg: 13e Forum Eglise dans le monde

Le 13e Forum Fribourg Eglise dans le monde, réuni le 13 octobre 2022, s’est penché sur le changement de paradigme dans la mission suite à l’invitation du pape François de devenir une Eglise «en sortie».

L’année 2022 marque de nombreux jubilés missionnaires: 400 ans de la fondation de la Propaganda Fide devenue dicastère pour l’évangélisation, 200 ans de la propagation de la foi et 100 ans des Oeuvres pontificales missionnaires (OPM).

Les divers invités de la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg ont abordé la question de la mission sous de nombreux aspects: théologique, historique, sociologique, oecuménique, ou encore celui du témoignage de grandes figures missionnaires.

Une mission en tension

Rappelant que l’Eglise est par essence missionnaire, le professeur Mariano Delgado, vice-doyen de la Faculté de théologie, a évoqué l’évolution de la pratique missionnaire depuis la fondation de la Congrégation de la Propaganda Fide en 1622 à nos jours.

La tension est permanente entre la mission de ›patronage’ soumise à la conquête coloniale et qui exporte le pouvoir, la culture et la civilisation européenne et la mission de ›propagande’ au sens premier du terme, c’est-à-dire qui vise à propager la foi en Jésus-Christ dans le respect des peuples et des cultures.

En 1622, lorsque le pape Grégoire XV fonde la Propaganda Fide, il veut reprendre la main sur le travail missionnaire de l’Eglise catholique dans le monde entier. En effet, depuis la découverte de l’Amérique en 1492, la mission est passée sous le contrôle des puissances coloniales en particulier de l’Espagne et du Portugal.

A côté des compromissions avec les pouvoirs terrestres, notamment dans le cadre de l’esclavage, la mission développe aussi un réel respect pour les peuples et les cultures, notamment à travers l’étude des langues puis la formation d’un clergé indigène.

Il faudra attendre le Concile Vatican II pour un réel changement de paradigme avec  la possibilité du salut hors de l’Eglise, le dialogue avec les autres confessions et religions et le principe de la liberté de religion. Pour certains, cela signifiait un ›défaitisme missionnaire». Aujourd’hui le pape François place l’Eglise comme gardienne de la famille humaine et promotrice de l’évangélisation.

Mission ou démission

L’abbé Raphaël Buyse est un spécialiste de Madeleine Delbrêl | © Maurice Page

Sous le titre «Mission ou démission», l’abbé Raphaël Buyse, prêtre du diocèse de Lille a évoqué figure de Madeleine Delbrêl (1904-1964). Cette Française n’a jamais été missionnaire au loin, mais avec quelques compagnes elle a oeuvré dans son milieu ouvrier d’Ivry-sur-Seine en banlieue parisienne au contact du communisme.

Eblouie par Dieu, brûlée par l’Evangile, marquée par les figures de Thérèse d’Avila, de Charles de Foucauld et de la petite Thérèse de Lisieux elle vit «au coude à coude» avec les gens. Sans développer de théorie missionnaire, elle veut partager l’amour qui la porte.

Pour cela elle insiste sur quatre postures que Raphaël Bruyse résume en quelques mots: être là – écouter et obéir – se tenir pauvrement  et simplement – ne rien vouloir conquérir.

La fille qui faisait des plans

L’historienne Catherine Masson, biographe de Pauline Jaricot | © Maurice Page

Un siècle plus tôt à Lyon, Pauline Jaricot (1799-1862) fondatrice de la Propagation de la foi, a vécu dans un sentiment semblable d’abandon à Dieu, a relevé sa biographe Catherine Masson. Attentive à toutes les misères qu’elle rencontrait proches ou lointaines, cette jeune femme a été d’une créativité et d’une générosité qui étonnent encore aujourd’hui. Dans un XIXe siècle traversé de conflits et de révolutions sociales, elle affronte les difficultés avec force et endurance, développant une vocation de femme laïque inédite à l’époque.

Les défis de l’Afrique

Pierre Diarra, enseignant à l’Institut catholique de Paris, a fait un saut dans l’espace et dans le temps, pour évoquer les défis actuels de la mission en Afrique de l’Ouest. L’ancien responsable de l’Union pontificale missionnaire en France constate que souvent l’Evangile n’a pas encore pénétré les mentalités et les coeurs selon l’adage: «40% de chrétiens, 60% de musulmans, 100% de païens.» Partout où l’Evangile arrive, il bouscule et exige une conversion notamment face à la sorcellerie ou aux conflits ethniques. L’inculturation ne doit pas être une échappatoire, souligne-t-il.

Pierre Diarra a évoqué les défis de la mission en Afrique | © Maurice Page

Le second défi concerne l’auto-prise en charge et la bonne gouvernance qui font souvent défaut dans les Eglises en Afrique, reconnaît Pierre Diarra. Le dialogue interculturel et interreligieux sont également des enjeux majeurs, qui exigent une éducation et une formation missionnaire solides.

Enfin Pierre Diarra prône un Evangile annoncé par les femmes dont la sensibilité à la paix et à justice est souvent bien supérieure à celle des hommes.

Le pape François remet la mission au centre

Erwin Tanner, directeur de Missio Suisse, a clos la commémoration en soulignant que par la nouvelle constitution apostolique Praedicate Evangelium, le pape François remet au centre la mission évangélisatrice de l’Eglise. Dans une Eglise suisse oscillant entre effondrement et renouveau, il plaide pour une prise de conscience renouvelée de la responsabilité de tous les baptisés. Avant de conclure avec l’injonction des Actes des Apôtres: «Vous serez alors mes témoins (…) jusqu’aux extrémités de la terre.» (cath.ch/mp)

Mgr Doré: revenir au mystère de l’homme
«Pour accéder au mystère de Dieu, revenons au cœur du mystère que chaque homme est à lui-même», a relevé Mgr Joseph Doré, archevêque émérite de Strasbourg.
Le spécialiste de christologie et théologien renommé, a introduit, par une brillante conférence d’une heure trente, le 13e Forum Fribourg Eglise dans le monde. 
Devant un public intéressé, il a repris les thèses de son dernier livre: Le salut de l’Eglise est dans sa propre conversion (Ed. Salvator) paru en novembre 2021. La question de l’avenir de l’Eglise, voire de son existence même, est posée avec gravité, suite aux affaires d’abus révélées ces derniers temps. Une interpellation radicale est adressée à l’Eglise, appelée à la «nécessité d’une conversion». Pour le théologien, il faut «revenir au cœur de la foi chrétienne en la pensant davantage pour mieux la proposer». Et ensuite «remettre l’amour chrétien au centre, en le vivant davantage et en y invitant mieux».
A la suite du pape François, l’évêque sulpicien soutient la démarche synodale engagée depuis un an, convaincu que l’Eglise est réformable. Il plaide en faveur d’une institution appelée à faire communauté à travers ses trois aspects de vue (la foi commune), de vie (les sacrements) et de voie (l’élément relationnel-organisationnel). Car «aujourd’hui, plus que jamais, l’Eglise en peut fonctionner qu’en régime de synodalité». BL

Mgr Joseph Doré, archevêque émérite de Strasbourg, entouré de Mariano Delgado, doyen de la Faculté de Théologie (à g.) et du professeur François-Xavier Amherdt | © Bermard Litzler
14 octobre 2022 | 12:17
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 4  min.
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