Frère Johannes: Renoncer pour être libre
Le documentaire «Héritier» s’intéresse au parcours de vie singulier de Johannes de Habsbourg, banquier issu d’une des plus grandes dynasties européennes devenu religieux suite à une conversion renversante.
Une nouvelle fois, Christophe Giordani s’est immergé durant une longue période dans la communauté fondée par le Père Nicolas Buttet. Après «Baisse la garde«, qui s’intéressait à Philippe, un jeune à la dérive accueilli par la Fraternité Eucharistein, le réalisateur haut-savoyard s’est approché de Frère Johannes, à l’humble quotidien de ce jeune prêtre qui a renoncé à la promesse de toutes les ascensions sociales pour servir le Christ. »Héritier» sera diffusé le 11 novembre 2019 sur la chaîne française KTO.
Pourquoi Frère Johannes?
Christophe Giordani: C’est un personnage entier. Quelqu’un qui ne prend pas de gants pour dire ce qu’il a à dire dans un monde où règne un véritable conformisme. Je me sens attiré par ce genre de personnages. Son parcours de vie contredit les valeurs dominantes du paraître, de la performance, de l’ascension sociale, de la richesse ou du pouvoir. Tout, chez Frère Johannes, le destinait à l’élite, à commencer par son background familial. Mais il a fait le choix du dépouillement et de la sobriété. Pour aborder cet itinéraire singulier, je me suis immergé dans la communauté. J’avais besoin de filmer au plus près des corps, de sentir leur énergie pour restituer ce que ces gens portent au fond d’eux-mêmes. J’y ai découvert de la sincérité, du courage, de l’abnégation.
Johannes est un homme jovial, qui ne triche pas, libre du choix qu’il pose.
Pour autant, pousser la porte d’une communauté religieuse ne signifie pas la mort définitive du conformisme et de la performance. Ils peuvent y subsister de manière plus subtile.
Des règles strictes encadrent la vie communautaire et liturgique. Des gestes d’abnégation très forts sont posés, notamment au moment de l’ordination où les futurs prêtres s’allongent de tout leur long durant la célébration. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, je pense qu’on peut être libre au milieu de toutes ces contraintes. Et je crois que Johannes est un homme libre. C’est un homme jovial, qui ne triche pas, libre du choix qu’il pose. Son renoncement, son lâcher prise le conduit à une liberté nouvelle, me semble-t-il. A ceux qui regarderont le film d’en juger.
Il y a une forme de radicalité, au sens étymologique du terme, dans un tel choix de vie.
Si vous lisez les évangiles, vous verrez assez rapidement qu’il n’est pas vraiment question de gentillesse tiède. Il est question d’un combat fondamental où la vie se nourrit de la mort. Et cette lutte se dit à travers des paraboles extrêmement concrètes: un grain de blé qui meurt pour porter du fruit, par exemple. La vie de Johannes reflète ce don aux formes concrètes. Dans le film, il évoque sa famille, son ancien métier, la santé de ses interlocuteurs ou encore son engagement de manière très concrète et entière.
On devine une certaine tendresse de votre part pour le personnage.
Je suis bienveillant avec les personnes que je filme, qu’il s’agisse d’un religieux, d’un pêcheur ou d’un boxeur. Aimer les gens que je filme fait partie de mon travail, sans pour autant être toujours entièrement d’accord avec eux.
Que cherchez-vous à transmettre à travers ce film?
J’ai été interpellé par la trajectoire de Johannes. Je souhaite partager cette interpellation, ouvrir un débat. Que l’on soit pour ou contre, en accord avec son choix de vie ou critique: là n’est pas la question. J’espère simplement offrir une possibilité de débattre. Les gens auront à se positionner par rapport à cette histoire de vie singulière sur des questions religieuses, certes, mais surtout sociales: à quoi se mesure une vie pleine, en somme. (cath.ch/pp)
Christophe Giordani,
réalisateur, est originaire de Haute-Savoie. Diplômé en Bachelor Réalisation à l’ECAL et en Master Scénario à l’ECAL, il a réalisé plusieurs courts-métrages de fiction. Après «Baisse la garde» (2019) son premier long-métrage documentaire, il signe «Héritier», une nouvelle fois réalisé au sein de la Fraternité Eucharistein.