Franz Hürth, l’éminence grise de Pie XI et Pie XII
A l’instar des puissants de ce monde, les papes ont tous eu leurs ‘éminences grises’. Leurs noms, et encore moins leurs visages, n’apparaissent que rarement. Le jésuite allemand Franz Hürth a été le conseiller secret de Pie XI puis de Pie XII.
Quelle influence les conseillers du pape ont-ils sur le chef de l’Église? Dans une interview au site katholisch.de, l’historien de l’Église Matthias Daufratshofer explique comment le jésuite Franz Hürth a joué le rôle d’»écrivain fantôme» pour deux papes.
Comment naissent les encycliques et à qui un pape s’adresse-t-il lorsqu’il est lui-même à bout d’idées ou d’arguments? C’est à ces questions que répond la thèse de doctorat de Matthias Daufratshofer. L’historien de l’Église a centré ses recherches sur le jésuite Franz Hürth qui fut un des proches conseillers de Pie XI puis de Pie XII.
«C’est à moi qu’il revenait s’assembler les différents éléments de preuve comme les pièce d’un puzzle.»
Un travail de détective
«Je me suis parfois senti comme le personnage de Robert Langdon dans le thriller Illuminati de Dan Brown, même si les archives du Vatican décrites dans le film n’ont pas grand-chose à voir avec les conditions réelles», rigole M. Daufratshofer. Mais sérieusement: la recherche au Vatican est vraiment un travail de détective. Il existe près d’une centaine de kilomètres de dossiers. Outre les archives secrètes du Vatican (dites aujourd’hui apostoliques), il y a les archives de la Secrétairerie d’État et de la Congrégation pour la doctrine de la foi etc. J’ai fait mes découvertes les plus importantes dans les archives de la Maison généralice des Jésuites et de l’Université Pontificale Grégorienne.
Trouver les «bons» documents demande beaucoup de minutie et de temps. Pour aggraver les choses, il n’existe pas d’inventaires en ligne au Vatican. «C’est à moi qu’il revenait d’assembler les différents éléments de preuve comme les pièces d’un puzzle.»
Expert en écriture
Il faut déchiffrer les gribouillages manuscrits dans les dossiers, avoir une très bonne connaissance du latin, la langue de l’Eglise, mais aussi des langues modernes, notamment l’italien. Il faut non seulement de la persévérance et de la patience, mais aussi de la chance, admet M. Daufratshofer. «J’ai fait une incroyable découverte fortuite qui a été une véritable mine d’or: le ›Fondo Hürth’, le domaine privé du jésuite allemand Franz Hürth.»
«Pie XII et Pie XII disposaient d’un réseau informel de collaborateurs, principalement des jésuites allemands.»
Un illustre inconnu
«Je dois avouer qu’avant de commencer ma thèse de doctorat, je n’avais jamais entendu ce nom» note l’historien. Franz Hürth est né à Aix-la-Chapelle en 1880, a rejoint la Compagnie de Jésus et a suivi la formation classique d’un jésuite. Il devient maître de conférences en théologie morale au collège jésuite de Valkenburg, aux Pays-Bas, puis se rend à Rome comme professeur à l’université grégorienne en 1936. En même temps, il devient consultant auprès du Saint-Office, l’actuelle Congrégation pour la doctrine de la foi. Il y était chargé des affaires de censure de livres, mais aussi de la préparation de documents magistériels tels que les encycliques.
Une ›germanocratie’ jésuite au Vatican
A ce titre, Hürth a travaillé pour les papes Pie XI et Pie XII. On a voulu parfois croire que les papes ont écrit tous leurs textes eux-mêmes, parce qu’ils seraient les seuls à être inspirés par le Saint-Esprit, mais bien sûr, c’est loin d’être le cas, sourit le chercheur. Les autorités curiales, comme la Secrétairerie d’État, le Saint-Office ou d’autres congrégations travaillent pour le pape. Mais chose plus étonnante, Pie XI et Pie XII disposaient en outre d’un réseau informel de collaborateurs. Il s’agissait principalement de jésuites allemands qui n’avaient aucune fonction officielle dans la curie.
Eugenio Pacelli (Pie XII) connaissait ces pères pour avoir été nonce apostolique à Munich et Berlin. On pourrait donc même parler d’une «germanocratie jésuite» au Vatican. Aux côtés de son secrétaire privé Robert Leiber, du bibliste Augustin Bea et de l’éthicien social Gustav Gundlach, Franz Hürth fait également partie de ce cercle.
Plus papiste que le pape
Sous Pie XI, Hürth avait déjà été le rédacteur ›fantôme’ de l’encyclique sur le mariage Casti connubii, datant de 1930. Pie XI voulait que l’amour personnel entre les époux ait plus de poids dans l’enseignement du magistère. Mais Hürth rejeta rigoureusement cette proposition et exigea le maintien de la doctrine classique de la finalité du mariage, ancrée dans le code de droit canonique de 1917. Le but principal du mariage devait être uniquement la procréation et l’éducation d’une progéniture. Peu avant Noël 1930, une violente dispute éclata à ce sujet entre le pape et son écrivain fantôme au Palais apostolique. Et Hürth l’emporta sur Pie XI. Il était plus papiste que le pape !
«Hürth jouissait de la confiance absolue de Pie XII. Après tout, ils se connaissaient depuis trente ans!»
Pour l’historien l’impact de ce conflit est énorme. Si le pape avait commencé à ancrer l’amour personnel dans la doctrine catholique du mariage dès 1930, peut-être qu’Humanae vitae de Paul VI n’aurait pas vu le jour. Selon lui, ce bétonnage d’une morale rigide du mariage et de la sexualité continue d’avoir des effets aujourd’hui.
Il conseille Pie XII sur l’eucharistie
Sous Pie XII, l’influence du jésuite allemand n’est pas moins grande. Dans les archives, M. Daufratshofer a fait une autre découverte surprenante. En 1956, Pie XII avait, en très peu de temps, soutenu deux points de vue différents sur la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. L’ayant remarqué, il a vu la foi catholique en danger. Il envoie sa gouvernante, Mère Pascalina Lehnert, avec la Mercedes de service, traverser le Tibre pour se rendre à l’Université Grégorienne, où Hürth vit. Le pape lui demande de lui confirmer quel est l’enseignement de l’Église à ce sujet. La réponse formulée par Hürth est immédiatement remise à Soeur Pascalina. Et Pie XII se rallie à l’expression de son éminence grise.
Hürth jouissait de la confiance absolue de Pie XII. Après tout, ils se connaissaient depuis 30 ans , explique l’historien. En outre, en tant que théologien, Hürth était un talent complet: il était non seulement très versé dans la théologie morale, mais aussi très au fait du droit canonique et de toutes les questions concernant le ministère de l’enseignement. Il a été l’agent de continuité du magistère des deux papes Pie XI et Pie XII, conclut l’historien. (cath.ch/katholisch.de/mp)
Matthias Daufratshofer a obtenu en 2020 son doctorat de l’université de Münster avec une thèse sur le jésuite Franz Hürth.