François et les 'vieilles dentelles': les relations difficiles avec les tradis
«La tradition, c’est la foi vivante des morts. Et le traditionalisme, c’est la foi morte de quelques vivants.» Cette phrase choc, prononcée en 2022, illustre bien le rapport difficile qu’a entretenu le pape François avec le monde de la tradition. Mais au-delà des mots durs, il a aussi adopté une attitude pastorale plus souple envers les ›tradis’, l’enjeu restant pour le pontife l’unité de l’Église.
Les rapports du pape François avec le monde de la tradition ont toujours été complexes, ils ont constamment oscillé entre une condamnation formelle confinant au mépris pour les ›vieilles dentelles’ et une attitude pastorale plus souple envers les fidèles attachés à l’ancien rite.
Les quelques paragraphes consacrés aux traditionalistes dans la dernière biographie de 2025 Espère n’ont pas manqué de faire grincer des dents les tenants de l’ancien rite: «C’est curieux, cette fascination pour ce que l’on ne comprend pas, qui a un air un peu occulte, et qui semble parfois intéresser même les générations les plus jeunes. Souvent, cette rigidité s’accompagne de toilettes recherchées et coûteuses, de dentelles, de rubans, de chasubles. Ce n’est pas un goût pour la tradition, mais une ostentation de cléricalisme, qui n’est rien d’autre que la version ecclésiastique de l’individualisme.»
«Non pas un retour au sacré, mais tout le contraire: une mondanité sectaire. Parfois, ces déguisements dissimulent des déséquilibres, des déviations affectives, des problèmes comportementaux, un malaise personnel qui peut être instrumentalisé…»
Suppression d’Ecclesia Dei
Si l’on se penche sur son pontificat, un premier coup de semonce arrive en janvier 2019. Le pape François décide de supprimer la Commission pontificale Ecclesia Dei pour confier ses tâches à une section spéciale au sein de la Congrégation pour la doctrine de la foi.
Cette commission, créée en 1988, était jusqu’alors chargée du dialogue avec la Fraternité Saint-Pie X de Mgr Lefebvre (FSSPX) et gérait les relations avec les communautés traditionalistes. En mettant fin à ce régime d’exception, le pape montrait sa volonté de faire rentrer les ›tradis’ dans le rang. Plusieurs communautés traditionalistes, en particulier françaises, dépendaient de la Commission Ecclesia Dei où elles avaient souvent bénéficié de la mansuétude de ses responsables.
Le nœud de Traditionis custodes
Mais les tensions se sont surtout cristallisés autour du motu proprio Traditionis custodes de juillet 2021, par lequel le pape François restreint l’usage de la célébration de la messe dite tridentine, selon le rite préconciliaire, révoquant les larges concessions accordées par Benoît XVI en 2007. La mesure a provoqué un tollé chez les ›tradis’. Cette petite minorité dans l’Église, très bruyante, compte dans ses rangs quelques personnalités connues.
Après une enquête auprès des conférences épiscopales, François déplorait «une situation qui me chagrine et m’inquiète, me confirmant dans la nécessité d’intervenir», étant donné que le désir d’unité a été «gravement méprisé» et que les concessions offertes avec magnanimité ont été utilisées «pour accroître les distances, renforcer les différences, construire des oppositions qui blessent l’Église et entravent son chemin, l’exposant au risque de la division».
Un enjeu qui va bien au-delà de la messe en latin
Pour le pape François, l’enjeu allait bien au-delà de la question de la célébration de la messe en latin. Il dénonçait «une instrumentalisation du Missale Romanum de 1962, de plus en plus caractérisé par un rejet croissant non seulement de la réforme liturgique, mais aussi du Concile Vatican II, avec l’affirmation infondée et insoutenable qu’il a trahi la Tradition et la ›vraie Église’».

Il répétera à maintes reprises cette vision des choses, face à une résistance tenace de l’aile conservatrice de l’Église, en particulier dans le monde nord-américain. Les opposants «voulaient que l’Église soit une Église moralisatrice, un refuge contre la modernité, que l’Église soit une forteresse d’où elle émettrait des condamnations et des édits et s’opposerait au soi-disant programme progressiste», analysait Christopher Lamb, correspondant à Rome de l’hebdomadaire catholique britannique The Tablet.
«Quand on recule, on forme quelque chose de fermé, de déconnecté des racines de l’Église et on perd la sève de la révélation. Si l’on ne change pas vers le haut, on recule», expliquait de son côté le pape François aux jésuites du Portugal.
Bienveillance pastorale
Si le pape François est resté très dur sur les principes, cela ne l’a pas empêché de montrer aussi une souplesse pastorale envers les ›tradis’. Ainsi en février 2022 il signe un décret autorisant la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre (FSSP) à utiliser le rite tridentin et exemptant les prêtres de la Fraternité traditionaliste en communion avec le Saint-Siège des dispositions de Traditionis Custodes. Les dirigeants de la principale dissidence de la Fraternité Saint Pie X de Mgr Lefebvre parleront même d’un ›climat très cordial’ lors de leur rencontre avec le pape.
«J’ai désiré d’un grand désir’
Toujours désireux de jouer l’équilibre, le pape publie, en juin 2022, une nouvelle lettre apostolique Desiderio desideravi, (J’ai désiré d’un grand désir) qu’il définit comme un complément à Traditionis custodes.
Il y rappelle que «l’art de la célébration ne s’improvise pas». Chaque détail de la liturgie «est digne de la plus grande attention, non pas formelle ou simplement extérieure, mais vivante et intérieure.» Il pointe du doigt les dérives possibles: «une austérité rigide ou une créativité exaspérante, un mysticisme spiritualisant ou un fonctionnalisme pratique, une vivacité précipitée ou une lenteur exagérée, une insouciance négligée ou une minutie excessive, une amabilité surabondante ou une impassibilité sacerdotale». Pour remédier à ces mauvaises pratiques, le pape François invite les prêtres à se laisser «continuellement» éduquer par la liturgie elle-même.
«L’homme moderne est devenu analphabète» parce qu’il «ne sait plus lire les symboles», regrette le pontife. Sa lettre est une invitation à retrouver le goût de l’«émerveillement pour le mystère pascal».
Il s’en explique encore quelque temps plus tard devant l’association italienne des professeurs de liturgie. Il souhaite une liturgie qui ne se réduise pas à «des détails de rubrique», mais qui «fasse élever les yeux au ciel»… tout en gardant «les pieds sur terre», sans «tourner le dos au monde».
Un situation qui reste confuse
Sur le terrain, notamment aux États-Unis qui comptent le plus grand nombre de fidèles attachés à l’ancien rite, l’application de Traditionis Custodes est assez contrastée. Si de nombreux évêques ont développé des tactiques de contournement afin de laisser vivre l’ancienne liturgie, d’autres, à l’inverse, ont renforcé les obstacles et les interdits. Jusqu’à présent l’effet de Traditionis custodes n’a donc pas conduit à la suppression totale des messes de rite tridentin que certains redoutaient.
Les années 2020 ont, en outre, vu la montée en puissance de personnalités populistes qui lient elles-mêmes leurs préférences pour l’ancienne liturgie à une critique théologique de l’orientation de l’Église sous le pontificat de François, concernant la morale, l’écologie, les migrations ou l’économie. On peut penser à l’ancien nonce apostolique aux États-Unis, l’archevêque désormais excommunié Carlo Maria Vigano, au cardinal Raymond Burke, à l’évêque révoqué Joseph Strickland de Tyler, au Texas, au Père James Altman du diocèse de Lacrosse, dans le Wisconsin, suspendu de ministère, ou encore au vice-président J.D. Vance.
Des gestes et des mots
Au début 2024, le pape François revenait encore une fois sur la question avec la note Gestis verbisque. Dans ce document, approuvé par le pape et rendu public le 3 février, le Dicastère pour la Doctrine de la foi (DDF) rappelait aux prêtres qu’ils ne pouvaient modifier la liturgie de leur propre initiative, sous peine de rendre le sacrement «invalide». Rome affirmait que toute fantaisie était «toujours un acte gravement illicite et méritait une peine exemplaire».

Si la liturgie pouvait admettre des adaptations, suivant les cultures où elle se déroulait, elle restait cependant «une discipline à respecter». Les prêtres étaient appelés à conserver «les éléments essentiels des sacrements» dans la «pleine fidélité aux rites prescrits», pour assurer leur validité et l’unité de l’Église. Quelques jours plus tard, le pape répétait que «sans réforme liturgique, il n’y avait pas de réforme de l’Église».
Préserver l’unité de l’Église
En janvier 2025, le pape François invitait les fidèles à la «docilité» concernant la liturgie. Il s’exprimait ainsi dans un message pour le 150e anniversaire de la mort du moine français Prosper Guéranger (1805-1875), grand réformateur de la liturgie au XIXe siècle et rénovateur de l’Abbaye de Solesmes. Les travaux du bénédictin français ont permis la «redécouverte historique, théologique et ecclésiologique de la liturgie, comme langage de l’Église et expression de sa foi», relevait le pape.
Il espérait que son exemple inspirerait les fidèles à «une confiance filiale et une collaboration docile» avec le successeur de Pierre, pour préserver l’unité de l’Église. (cath.ch/mp)
Quand la Fraternité Saint Pie X donnait raison au pape François
Sous le pontificat du pape François les relations avec la Fraternité schismatique saint Pie X de Mgr Lefebvre (FSSPX) n’ont connu aucune évolution notable. Après l’échec des tentatives de rapprochement de Benoît XVI, le statu quo a prédominé.
Au moment de Traditionis custodes, la FSSPX n’a pas protesté à grand cris mais a été satisfaite de voir sa position renforcée, espérant pouvoir accueillir les fidèles rejetés par le pape François. Pour elle, comme pour le pape, «deux messes édifient deux cités».
Pourquoi la messe tridentine est-elle devenue un signe de contradiction à l’intérieur même de l’Église? s’interrogeait l’abbé Davide Pagliarani. Pour le supérieur général de la FFSPX, la réponse est claire: «La messe tridentine exprime et véhicule une conception de la vie chrétienne et, par conséquent, une conception de l’Église qui est absolument incompatible avec l’ecclésiologie issue du concile Vatican II. Le problème n’est pas simplement liturgique, esthétique ou purement formel. Le problème est à la fois doctrinal, moral, spirituel, ecclésiologique et liturgique. En un mot, c’est un problème qui touche tous les aspects de la vie de l’Église, sans exception: c’est une question de foi.» MP
La nouvelle de la mort du pape François a été annoncée à 9h45, par le cardinal Kevin Farrell, Camerlingue de la Chambre apostolique, depuis la Maison Ste Marthe. Le pape François est décédé en ce lundi de Pâques, 21 avril 2025.