France: Les Frères de Saint-Jean vont élire le successeur du Père Marie-Dominique Philippe
Le fondateur des «petits gris» va passer la main
Paris, 8 février 2001 (APIC) La Communauté des Frères de Saint-Jean va élire en avril prochain un nouveau prieur général pour succéder au Père Marie-Dominique Philippe. Le Père Philippe, dominicain, est le fondateur et le prieur général de cette congrégation dont les membres sont surnommés les «petits gris» – ou en Suisse les «souris grises» – en raison de la couleur de leur habit. La congrégation qui, en 25 ans, a recruté 514 frères, est accusée de «dérives sectaires». Le fondateur s’en défend.
Le Père Marie-Dominique Philippe annonce, dans une interview accordée au quotidien catholique français «La Croix» du 8 février qu’il compte passer la main à un successeur. Le religieux dominicain, bien connu à Fribourg – il y enseigna la philosophie durant 4 décennies et y fut le «maître» et père spirituel de nombreux étudiants qui allaient le suivre – est le fondateur de la Congrégation Saint-Jean, dont il est le prieur général. Saint-Jean regroupe aujourd’hui quelque 800 religieux et religieuses vivant dans de petits prieurés répandus dans le monde entier. En Suisse, ils sont connus sous le nom de «souris grises», en France, on les appelle volontiers les «petits gris».
Une communauté née à l’Université de Fribourg
La Communauté des Frères de Saint-Jean naît le 8 décembre 1975, quand cinq étudiants qui suivent le cours du Père Marie-Dominique Philippe à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg, en Suisse, et qui lui ont demandé de devenir leur père spirituel, se consacrent à Marie à l’abbaye cistercienne de Lérins (Var).
Vingt-cinq ans après, la congrégation est présente dans 53 couvents, dont plus de la moitié en France et deux en Belgique, à Libramont (depuis 1992) et à Banneux (depuis 1997), 8 en Amérique (dont 3 aux Etats-Unis et 3 au Mexique), 7 en Afrique et 4 en Asie. Elle compte actuellement 514 frères, dont la plupart sont prêtres – un recrutement qui dépasse de loin celui des séminaires diocésains de France. Reconnue par le pape Paul VI en 1978, la Communauté est une congrégation de droit diocésain, liée au diocèse d’Autun.
Religieux dominicain aujourd’hui âgé de 88 ans, le P. Marie-Dominique Philippe ne s’explique pas ce succès. «Je n’ai fait qu’enseigner la philosophie toute ma vie et n’ai aucune capacité pour être fondateur», confie celui qui enseigna la théologie à Fribourg durant près de 40 ans, jusqu’en 1983. A moins que ce soit justement la philosophie qui explique ce succès, à un moment où cette discipline «souffrait de grandes carences dans l’Eglise de France», suggère-t-il.
Ni recrutement, ni sélection: guidés par la providence
Le Père Philippe s’exprime aussi sur les soupçons de «dérives sectaires» émis à l’encontre de sa communauté, dont la croissance record suscite des questions au sein de l’Eglise. Quand «La Croix» lui demande s’il a été suffisamment prudent dans son recrutement, le fondateur avoue ne s’être jamais posé la question en termes de recrutement, et encore moins de sélection: le Christ n’a pas choisi des intellectuels, dit-il mais de simples pêcheurs. Il ajoute que les Frères de Saint-Jean, qui assument des responsabilités en paroisse à la demande d’évêques, restent avant tout des religieux: «Notre vocation, c’est de maintenir l’équilibre entre vie contemplative et vie apostolique».
Le Père Philippe précise que les Frères de Saint-Jean reçoivent une formation pour devenir non pas des prêtres diocésains, mais des religieux. «J’y tiens beaucoup, insiste-t-il, car sinon nous serions des séminaires parallèles ! Etant moi-même dominicain, c’est d’abord à la vie religieuse que j’ai pensé pour ces étudiants de Fribourg qui me demandaient de m’occuper d’eux. L’appel à assumer des paroisses est venu ensuite. Ne possédant ni abbaye ni couvent, nous avons accepté d’être logés dans des presbytères inoccupés. De plus, nous sentions que nous n’avions pas le droit de nous enfermer dans une vie monastique alors que tant de prêtres avaient besoin d’aide. A la différence d’autres communautés monastiques, qui choisissent leurs lieux d’implantation, nous n’avons jamais eu le moindre plan. De même, nous n’avons jamais fait que répondre à la demande d’un évêque : nous sommes sûrs ainsi d’être guidés par la providence.»
Le fondateur sait les reproches formulés à l’encontre de certaines de ses communautés en France: «Nous sommes parfois confrontés à des difficultés, car nous ne sommes pas là pour remplacer les curés. Nous sommes là par amour d’eux et de l’Eglise. Notre vocation, c’est de maintenir l’équilibre entre vie contemplative et vie apostolique, comme le faisait saint Dominique. C’est d’être de saints prêtres dans un esprit religieux. «Certains évêques le comprennent très bien, dit-il, d’autres ont de la peine à concevoir que les Frères de Saint-Jean, s’ils acceptent de s’occuper de paroisses, restent d’abord des religieux.»
Accusations de dérives sectaires
Des dérives sectaires ? (*) Pour le Père Philippe, cette suspicion ne peut provenir que d’un regard très extérieur: «Tous, nous avons le désir de rechercher la vérité et d’être fidèles à Rome. On ne peut empêcher, hélas ! les fausses rumeurs…» On a dit ainsi, lors de l’arrivée de la Communauté en France en 1981, que le Père Philippe était proche des intégristes d’Ecône, alors qu’il n’y a jamais mis les pieds.
Des erreurs, néanmoins ? «Nous n’avons peut-être pas toujours suffisamment pris le temps de comprendre les choses…, admet le dominicain. Certains jeunes frères ont peut-être eu des paroles trop rapides ou trop dures. Mais je ne crois pas que nous ayons jamais commis d’impairs graves vis-à-vis d’un évêque, d’un prêtre ou d’une communauté chrétienne. «
Néanmoins, la congrégation suscite toujours une méfiance chez certains dans l’Eglise de France. «Parce que nous faisons quelque chose que d’autres ne font pas, répond le fondateur à la journaliste Claire Lesegretain, à savoir maintenir un enseignement solide de la doctrine chrétienne. Or en France, on se méfie de la doctrine ! Heureusement, j’ai toujours reçu un grand soutien du Saint-Père !»
Jean Paul II, que le Père Philippe a rencontré pour la première fois lors d’un congrès sur la philosophie thomiste en 1974 alors qu’il n’était que cardinal archevêque de Cracovie – «nos petits déjeuners duraient plus d’une heure !» -, l’a d’ailleurs à plusieurs reprises confirmé dans l’enseignement de la «vraie métaphysique», car l’Eglise en a besoin. En avril prochain, le chapitre général de la congrégation aura à élire le nouveau prieur général. Conformément au vœu unanime des Frères du Conseil, le Père Philippe restera présent «comme fondateur et comme Père». «C’est d’ailleurs beaucoup plus ma mission», commente-t-il. Il continuera donc d’enseigner la philosophie et la théologie. Mais une fois que le nouveau prieur général sera élu, il dit être prêt à se retirer complètement si nécessaire.
Le chapitre précisera aussi les statuts de la congrégation (rédigés par le fondateur en 1978), qui sont très larges, comme ceux des dominicains, «mais nous désirons coûte que coûte maintenir une vie religieuse, insiste le Père Philippe, qui annonce déjà: «Là-dessus, le nouveau prieur général ne modifiera rien !» Le Père Philippe définit ainsi les priorités de sa communauté: «La charité fraternelle et l’évangélisation ! Qu’un frère soit curé ou enseignant en séminaire, qu’il ait ce double souci dans tout ce qu’il fait.»
Les perspectives de la congrégation
Après un quart de siècle à la tête de la congrégation, il en dessine les perspectives: «Mon seul désir, c’est que les prieurés soient de petites oasis spirituelles et doctrinales où les Frères contribuent à faire mieux connaître l’Evangile selon saint Jean et à maintenir, au sein de l’Eglise, l’enseignement des trois sagesses : sagesse philosophique, sagesse théologique et sagesse mystique.» (apic/cip/lacroix/be)