France: Il y a 100 ans «l’affaire Dreyfus». Emile Zola publie son «J’accuse»

«La Croix» se repent d’avoir été le journal le plus antijuif de France

Paris, 13 janvier 1998 (CIP) Quand, le 13 janvier 1898, Emile Zola sort de sa réserve dans l’affaire Dreyfus en signant son retentissant «J’accuse», il sait qu’il va avoir affaire à des ennemis acharnés parmi lesquels les catholiques sont en première ligne. Mis à part le petit «Comité catholique pour la défense du droit», le monde catholique et sa presse vont en effet se déchaîner, à commencer par «La Croix» et «Le Pèlerin», fondés par les Assomptionnistes. Dans son édition de lundi, «La Croix» se repent de ses propos «haineux» que rien ne saurait excuser, écrit en éditorial Michel Kubler.

«Oui, nous avons écrit cela», avoue d’emblée Michel Kubler. De Dreyfus: «C’était l’ennemi juif trahissant la France». De Zola défendant l’innocent: «Etripez-le! ” Des juifs: «Contre le Christ qui les a maudits, et dont ils demeurent les ennemis farouches, ils voudraient pouvoir soulever toutes choses: leur haine va jusqu’au délire.» C’est ce qu’on pouvait lire il y a cent ans dans «La Croix». «Il faut s’en souvenir. Il nous faut nous en repentir», écrit l’éditorialiste.

Le journal le plus antijuif de France

Relevant que les hommes qui signèrent ces lignes «mortifères» sont «nos grands frères», l’éditorialiste dénonce une attitude que «rien – ni l’antisémitisme général, parfois plus excessif encore, ni l’anticléricalisme odieux d’en face – ne saurait excuser». En criant «A bas les juifs !» et en se proclamant «le journal le plus antijuif de France», ajoute M. Kubler, «La Croix» ne voyait pas qu’elle «trahissait le crucifix arboré alors si fièrement en première page». Outre l’éditorial, le journal consacre un dossier de trois pages à l’anniversaire du «J’accuse» de Zola. Il donne la parole à l’historien René Rémond, qui, après avoir relevé que l’Eglise en tant qu’institution n’est pas compromise dans l’affaire, souligne combien l’affaire Dreyfus a bouleversé de fond en comble le paysage idéologique français, «comme après une explosion». C’est d’ailleurs de cette époque, relève-t-il, que date la création des premiers partis modernes.

Charles Monsch raconte «l’histoire d’une longue conversion» – celle de «La Croix» -, en rappelant qu’avec la révision du procès, la direction du journal devra subir les contrecoups de ses engagements anti-dreyfusards, même si «l’antisémitisme ne disparaîtra pas tout de suite de ses colonnes».

Deux tronçons avec un Zola

L’historien René Pierrard illustre le déchaînement des catholiques contre Zola, «proxénète des lettres», «romancier stercoraire», «le pornographe des juifs», «nouveau Judas», un «Italien» (son père était vénitien) vendu à «La Canglia» (la canaille: les Prussiens).

«La Croix» fait donner le jeune Pierre l’Ermite (l’abbé Edmond Loutil), dont on admire déjà le style «enlevé», qui signe l’éditorial «Etripez-le!». Il se fend un an plus tard d’un long article – «Toujours là !…», où il explique à ses lecteurs que, ayant décidé de continuer «la lutte pour le Caïn moderne (Dreyfus), les «Grands Sémites» allèrent trouver Zola, «dont les livres, fleurs immondes, s’épanouissaient partout dans la boue chaude du fumier démagogique», et lui offrirent trente deniers pour écrire son «J’accuse», des pièces qui «durent être superbes, car jamais romancier ne bava avec autant de ténacité et d’abondance hideuse».

René Pierrard a trouvé pire dans «La Croix»: un poème signé Vulcain, au moment où le «Cyrano de Bergerac» de Rostand triomphait: «Si, d’un bond, Cyrano, revenant à la vie/Voyait régner les juifs et la France asservie/De sa voix mâle et fière, il crierait: /Puis, tirant du fourreau la lame inoccupée,/Son bras ferait gaiement, d’un simple coup d’épée/Deux tronçons avec un Zola.»

Purifier la mémoire

Il aura fallu cent ans, la Shoah, un concile, un pape visionnaire (Jean-Paul II à la synagogue de Rome en 1986) pour que «La Croix» se souvienne que les juifs sont nos «frères aînés», note encore Michel Kubler. Mais il reste, ajoute-t-il, «le devoir de la mémoire, qui réside dans notre rapport à une double histoire: celle de nos origines chrétiennes, vitalement enracinées dans le judaïsme, et celle, indissociable, des blessures infligées par le christianisme au peuple dont le Christ est issu. Nulle personne, nulle communauté n’a d’avenir tant qu’elle rejette le peuple dont elle est née».

Et l’éditorialiste de conclure: «Notre mémoire ne peut-elle être purifiée, face aux juifs, qu’au prix de fondateurs reniés ? Il faut cesser de mépriser les premiers, sans pour autant juger les seconds, mais en tirant les leçons du lourd passé qu’ils nous ont légué. Ainsi notre avenir sera-t-il libéré. Dans une fidélité clarifiée aux uns et aux autres de nos frères aînés.» (apic/cip/mp)

10 avril 2001 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 3  min.
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