France: des personnalités religieuses désobéissent pour la planète
Emmenées par l’ONG Greenfaith, des personnalités religieuses, dont un évêque français, ont manifesté illégalement le 29 novembre 2022 à Paris pour dénoncer un projet anti-écologique du groupe TOTAL. Les participants mettent en avant la nécessité pour tous les croyants de s’unir dans l’engagement en faveur de la planète.
«Notre action est légitime, parce que la cause de la planète est urgente», affirme à cath.ch Mgr Marc Stenger. L’ancien évêque de Troyes, âgé de 76 ans, joint par téléphone, était la seule personnalité catholique partie prenante de l’occupation d’une station-service du groupe pétrolier français TOTAL, dans le XV arrondissement de Paris
C’était la première fois en France que des personnalités religieuses manifestaient pour l’environnement dans le cadre d’une action non autorisée, assure Greenfaith. L’ONG interreligieuse née aux États-Unis, lutte pour la justice environnementale depuis les années 1990. Elle a organisé, sans en avertir les autorités, l’action du 29 novembre avec Extinction Rebellion Sprititualités, une branche du mouvement écologiste connu pour ses actions spectaculaires.
Pipeline «chauffé»
A leur appel, une trentaine de militants écologistes ont donc brandi banderoles et pancartes dans la station-service. Parmi eux, des croyants et des représentants des grandes religions présentes en France, mais aussi des activistes non religieux.
Ensemble ils ont dénoncé les activités de TotalEnergies en Afrique de l’Est. En cause, deux projets pétroliers connectés: le premier, dénommé Tilenga, est un forage de 419 puits en Ouganda, dont un tiers dans le parc naturel des Murchison Falls. Le second est le projet EACOP (East African Crude Oil Pipeline), qui serait construit en Tanzanie sur près de 1’500 km, à travers plusieurs zones naturelles protégées. Une infrastructure d’autant plus problématique qu’elle devrait devenir le plus long pipeline «chauffé» au monde. Le pétrole ougandais étant très visqueux, il doit en effet être soumis à une température de plus de 50 degrés celsius pour être véhiculé, affirme Greenfaith.
TotalEnergies a été assigné en justice par plusieurs ONG environnementales à propos de ces activités. Le groupe français doit en référer le 7 décembre 2022 devant le tribunal judiciaire de Paris.
«Délivrez nous de TOTAL»
10,9 millions de tonnes de pétrole seront transportées via l’oléoduc EACOP lors du pic de production. Une fois ce pétrole utilisé ou brûlé, cela équivaudra à 34,5 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an, soit plus de six fois le dégagement de CO2 de l’Ouganda par an, assure Greenfaith.
Avec des slogans tels que «Délivrez nous de TOTAL», ou encore «Réchauffez les coeurs, pas les oléoducs», les militants ont fait entendre leur opposition à ces projets pendant quelques heures dans la station-service. Après un temps interconfessionnel coanimé par six personnalités religieuses, a eu lieu une méditation de contemplation pour le Vivant. Un cercueil a été amené sur lequel était peint des paysages d’Afrique. Des objets symbolisant ce que TOTAL met en danger y ont été déposés. Une fresque a ensuite été déployée, représentant «notre avenir désirable».
Célébrer ensemble le Vivant
Les personnalités religieuses ont pris la parole à tour de rôle pour dénoncer l’inaction politique face à la destruction de l’environnement et la nécessité pour les membres de toutes religions et les personnes de bonne volonté de s’engager ensemble pour la création. «Nos traditions et nos religions nous poussent à ne pas rester silencieux», a déclaré le rabbin Yeshaya Dalsace. La pasteure Caroline Ingrand-Hoffet, Anouar Kbibech, président du Rassemblement des musulmans de France, le maître bouddhiste Olivier Reigen Wang-Genh et Mgr Stenger se sont également exprimés.
«Les objectifs étaient à la fois de célébrer ensemble le Vivant, de faire connaître plus largement à l’opinion public les projet de TOTAL, ainsi que d’envoyer un message aux décideurs que les croyants sont capables de s’unir et de se mobiliser pour protéger le bien commun, que constituent la biodiversité et le climat, ainsi que les droits humains.»
Car l’ancien évêque de Troyes souligne aussi les menaces que font peser les projets pétroliers sur les populations locales. Des milliers de personnes devraient en effet être déplacées pour faire place à l’oléoduc. Des expulsions censées être compensées financièrement par l’entreprise française, mais qui sont certaines de causer d’importants dégâts sociaux. «TOTAL se défend en affirmant que la manne financière issue de cette exploitation sera partiellement reversée aux gouvernements concernés en faveur de l’éducation, note Mgr Stenger. Mais si les habitants ne peuvent pas s’acquitter des frais de scolarisation, c’est souvent parce que leurs ressources, notamment agricoles, sont détruites par le réchauffement climatique.»
Un projet à contresens
Le prélat français s’engage depuis plus de 20 ans pour la justice et la protection de l’environnement dans le monde. En 2005, soit 10 ans avant l’encyclique Laudato si’ du pape François, il a dirigé l’ouvrage collectif Planète vie, planète mort: l’heure des choix, où il resituait l’écologie dans une perspective chrétienne.
Celui qui fut évêque de Troyes de 1999 à 2020, souligne l’aberration que représente le projet de TOTAL, alors que la COP27, qui vient de se terminer à Charm-el-Cheikh, en Egypte, a réaffirmé l’objectif d’un réchauffement au maximum de +1,5°C. Le GIEC, et la communauté scientifique dans son immense majorité, ont signalé que plus aucun nouveau projet pétrolier et gazier ne devait démarrer après 2021 si l’on voulait garder l’espoir d’atteindre cet objectif.
«Cela va à l’encontre de toutes les conclusions de la COP21 [qui s’était rassemblée à Paris en 2015, ndlr]», relève le co-président de Pax Christi international. Il note aussi la contradiction avec le fait que l’Union européenne est en train de négocier un moratoire international pour interdire l’exploitation des gisements fossiles dans l’Arctique. «Nous avons besoin d’un changement politique radical. Et la stratégie climatique des gouvernements est pour le moment incohérente.»
L’environnement, un défi culturel et sociétal
Pour l’évêque, il est naturel que les religions, et en particulier les chrétiens, s’engagent dans ce combat. «L’Eglise catholique est fondée de s’impliquer dans la politique, si c’est de la bonne politique, c’est-à-dire, si elle promeut le bien commun. Les défenseurs de cette cause sont en droit d’utiliser les moyens efficaces pour se faire entendre tant que cela reste dans la non-violence. Car au final, ce n’est pas nous qui désobéissons, mais TOTAL qui désobéit à la morale, à la science et aux droits humains».
Finalement, la manifestation n’a pas créé de perturbations excessives. La police est arrivée alors que les participants pliaient déjà bagage, et aucun heurt n’a été enregistré. Pour les organisateurs, il s’agissait surtout de mobiliser et de sensibiliser les croyants au-delà des frontières confessionnelles. Une nécessité, alors que «la question climatique a débordé depuis longtemps du cadre économique, politique et scientifique, pour devenir un défi culturel et sociétal», note Alix Bayle, attachée de presse à Greenfaith. Elle relève le besoin d’une ‘alliance sacrée’ entre les divers mouvements de la société engagés dans la lutte pour la planète.
David contre Goliath
Un credo également confessé par Martin Kopp, chargé de mobilisation à Greenfaith. Si le théologien protestant se réjouit de la multiplication des liens entre les divers groupes de militants pour l’environnement, il pointe que le chemin à parcourir est encore long. «Il existe deux attitudes en France: beaucoup d’activistes écologistes non religieux montrent une ouverture et un intérêt pour l’engagement ‘spirituel’. D’autres, qui viennent peut-être de milieux avec un héritage anticlérical, se montrent souvent très méfiants. Pour nous, chrétiens, il est important de respecter les autres façons de penser.» Afin de bâtir une confiance mutuelle, l’essentiel est d’apprendre à se connaître, juge Martin Kopp. «Pour cela, la rencontre personnelle, comme lors de la manifestation du 29 novembre, est à favoriser. Le fait qu’elle soit interreligieuse, donc pas menée par une tradition en particulier, facilite les choses et décrispe les relations.»
Si pour Greenfaith, il s’agissait de la première action effectuée en désobéissance civile, l’organisation entend poursuivre dans cette voie. Elle est encouragée en cela par Mgr Stenger. «Je suis prêt à participer à toute nouvelle démarche, assure-t-il. Nous sommes comme des ‘David’, et de grands efforts sont encore nécessaires pour venir à bout du ‘Goliath’ du culte du profit.» (cath.ch/rz)