Forum Caritas 2016 "La famille n'est pas un luxe"
Suisse

Forum Caritas: «La famille n'est pas un luxe»

«Avoir des enfants ne doit pas être un risque de pauvreté. C’est un scandale dans notre riche Suisse», a souligné Mariangela Wallimann-Bornatico, présidente de Caritas Suisse lors du forum réuni à Berne le 29 janvier 2016. Quelque 200 personnes, venues de l’ensemble de la Suisse, ont débattu du thème «La famille n’est pas un luxe».

Si pratiquement personne ne remet en question la valeur individuelle de la famille, sa valeur sociale est très contestée. La plupart des mesures proposées se brisent contre le mur des coûts. Le constat est clair Suisse, beaucoup de familles, monoparentales ou non, sont menacées par la pauvreté.

La Suisse reste en effet à la traîne par rapport aux pays voisins, en matière de la politique familiale. On considère, de manière encore assez générale, que la famille est une affaire privée dont l’Etat n’a pas à se mêler. Ce constat se vérifie par exemple dans le refus d’introduire au plan national un système de prestations complémentaires pour les familles pauvres. La politique familiale dépendant des cantons, de nombreuses lacunes subsistent en matière de soutien de la famille. Réduire la pauvreté de familles doit être un objectif prioritaire pour la Suisse, a noté la présidente de Caritas Suisse.

On ne choisit pas sa famille

«On choisit ses amis, on ne choisit pas sa famille.» C’est autour de cet aphorisme que Barbara Bleisch, du Centre d’éthique de l’Université de Zurich, a réfléchi à la définition de la famille. La famille a pour chacun une valeur personnelle. On pourrait ainsi parler d’un ‘droit à la famille’. Dans le même temps elle a une valeur sociale et sociétale que l’Etat doit soutenir. Elle porte aussi une dimension morale. La définition minimale est aujourd’hui celle d’une communauté de vie entre personnes de diverses générations qui portent la responsabilité des enfants mineurs. A parti de ce minimum, il faut s’interroger sur la nature des liens et des devoirs familiaux. Pour l’éthicienne zurichoise, si les devoirs envers les enfants sont incontestés et incontestables, il n’est pas de même pour les devoirs envers les parents ou les frères et soeurs adultes. Barbara Bleisch plaide pour une éthique de la relation plutôt que de la ‘dette’ que les enfants contracteraient envers leurs parents. Cette vision d’un devoir de reconnaissance domine le discours, mais il faudrait passer d’un modèle de transaction à un modèle de relation. L’identité du lien est la première question posée. Les membres de ma famille sont parties de mon existence. Cette réalité appartient à la biographie de chacun. L’exclusivité du lien entre parents et enfants est le deuxième aspect essentiel. Cette relation reste en effet unique même en cas de séparation ou de mort. Enfin, le caractère ‘public’ n’est pas à négliger. C’est sur cela que se fonde le contrat social et légal. En ce sens la famille n’est pas un luxe mais une constante biographique.

83% des familles monoparentales dépendent des femmes

Il existe plus de 200’000 familles monoparentales en Suisse dont 83% sont sous la responsabilité de femmes, relève Anna Hausherr de la Fédération suisse des familles monoparentales. Ce sont elles qui sont le plus exposées à la pauvreté. Pour elles, la conciliation de la vie familiale et professionnelle est particulièrement difficile.

Monika Pfaffinger, de la Commission fédérale de coordination pour les questions familiales (COFF), remet en cause l’arrangement assymétrique’ que constitue aujourd’hui le mariage et la famille. Dans la pratique, sinon dans le droit, la femme subit toujours une discrimination évidente. Le manque de valorisation du travail familial accentue encore les inégalités. Les mécanismes de l’économie et de la société, souvent incohérents quand il s’agit de la famille, font que la Suisse reste en retard. L’image de la famille, où papa apporte l’argent et maman fait le ménage, imprègne encore profondément les pratiques, même si le travail a temps partiel progresse et si le partage des tâches se fait plus fréquent. Monika Pfaffinger plaide pour une vision centrée sur le bien-être de l’enfant et où le père prenne pleinement ses responsabilités.

Le modèle genevois

Esther Alder, maire de Genève, a présenté les efforts du canton et de la ville de Genève pour lutter contre la pauvreté des familles. La mesure la plus décisive a été l’introduction en 2012, par le canton, de prestations complémentaires pour les familles, selon le modèle de ce qui se fait pour les rentiers AVS et AI. Ce système a permis en quelques années de sortir des centaines de familles de l’aide sociale.

«La pauvreté n’est pas une fatalité, elle peut être éradiquée si la volonté politique existe»

En 2014, 3’825 personnes ont été aidées de cette manière pour un montant de 14,5 millions. La ville de Genève, en collaboration avec de nombreuses associations, y a ajouté diverses mesures concrètes comme une allocation de rentrée scolaire, des aides éducatives, un espace parents-enfants, l’école des mamans, la prise en charge des frais de cantine scolaire ou encore des aides pour remplir les déclarations d’impôts. «La pauvreté n’est pas une fatalité, elle peut être éradiquée si la volonté politique existe», a conclu la politicienne genevoise.

Lutter contre la pauvreté par l’emploi

Seul homme et seul représentant de l’écomonie, Roland Müller, directeur de l’Union patronale suisse, était doublement minoritaire. S’il partage dans les grandes lignes le constat posé sur la pauvreté des familles, la solution qu’il propose passe par l’emploi. Puisqu’en bonne logique plus une personne travaille, moins elle a de risque de pauvreté. Pour que l’écomomie puisse tenir son rôle et offrir de bons emplois, il faut de bonnes conditions-cadres, parmi lesquelles des mesures en faveur de la famille. Selon le représentant de l’Union patronale, un grand nombre de femmes en particulier seraient prêtes à travailler davantage, pour autant qu’elles bénéficient de conditions adéquates pour concilier vie familiale et vie professionnelle. Pour lui, la question est plus structurelle qu’économique. Il défend la mise en valeur du potentiel intérieur, entre autres par l’augmentation du travail à temps partiel, le partage du travail, le retour à l’emploi des femmes et de la formation continue. Mais il relève que les conditions-cadres pour le soutien aux familles dépendent essentiellement des cantons, voire des communes, d’où une réelle difficulté de mise en œuvre.

Si le constat dressé lors du Forum Caritas de Berne reste assez sombre, l’œuvre d’entraide relève néanmoins des progrès, puisqu’une bonne moitié des cantons suisses ont élaboré ou préparent des stratégies de lutte contre la pauvreté et que l’on dispose aujourd’hui d’une analyse de la situation nettement plus complète. Une mise en œuvre de mesures cohérentes constituera la prochaine étape. (cath.ch-apic/mp)

Forum Caritas 2016 «La famille n'est pas un luxe»
29 janvier 2016 | 17:16
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 4  min.
Caritas Suisse (199), Famille (147), Pauvreté (215)
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