«Fidicia supplicans», les évêques d'Afrique du Nord disent «oui»
La réception à travers le monde de la déclaration Fiducia supplicans du pape François dépend pour beaucoup des us en vigueur … mais pas que. La prise de position en sa faveur, communiquée le 16 janvier 2024 par les évêques d’Afrique du Nord, tranche sur les coutumes habituelles du continent.
La Conférence des évêques d’Afrique du Nord (Cerna), qui réunit les évêques de Rabat, de Tripoli et d’Alger notamment, a invité ses Églises à se mettre au diapason de la déclaration Fiducia supplicans du pape François. Loin d’une révolution dogmatique, le texte, à ses yeux, est une invitation à relire et évaluer la pratique du discernement, comme l’a expliqué Mgr Jean-Paul Vesco, archevêque d’Alger.
Pour une pastorale de la réconciliation
Dans un communiqué publié le 16 janvier 2024 à l’issue de leur Assemblée plénière, les évêques d’Afrique du Nord se sont déclarés ouverts à la bénédiction des couples irréguliers et ceux de même sexe.
«Quand des personnes en situation irrégulière viennent ensemble demander une bénédiction, on pourra la donner à condition que cela n’entraîne pas de confusion pour les intéressés eux-mêmes ou pour d’autres.» Il s’agit aussi pour eux «d’approfondir les chemins concrets d’une pastorale de la réconciliation et de la communion».
Un continent africain non monolithique
Ce faisant, la Cerna se dissocie du refus exprimé le 11 janvier par le Symposium des conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar (Sceam) dont elle fait partie. Le cardinal Fridolin Ambogo, archevêque de Kinshasa et président du SCEAM, avait en effet déclaré quelques jours plus tôt que «les bénédictions extra-liturgiques proposées dans la déclaration Fiducia supplicans ne pourront pas se faire en Afrique sans s’exposer à des scandales», car elles rentrent «en contradiction directe avec l’ethos culturel des communautés africaines».
Les différentes Conférences des évêques d’Afrique avaient jusqu’à la deuxième quinzaine de janvier pour s’exprimer et travailler à une réponse commune à la publication de la déclaration du pape, rappelle le journal La Croix. Mais «la Sceam n’a manifestement pas attendu de recevoir les réflexions de l’Église d’Afrique du Nord».
Il ne faut néanmoins pas s’attendre à de grandes retombées en Afrique du Nord, le contexte y étant défavorable aux unions homosexuelles. Comme l’a dit à La Croix le Père Michel Guillaud, secrétaire général de la Cerna, la réception positive de Fiducia supplicans dans les Églises du Magrehb «est donc davantage théorique que pratique».
L’influence des pratiques de bénédiction
De manière plus générale, la réception de Fiducia supplicans dépend en effet tant de conceptions doctrinales, pastorales que de la culture des pays dans laquelle elle s’insère. La familiarité avec le mode des bénédictions a sa part d’influence. Le cardinal Oswald Gracias, archevêque de Bombay, a ainsi déclaré en début d’année que la déclaration Fiducia supplicans ne posera pas de problème en Inde, où demander et donner des bénédictions est une coutume largement acceptée.
Ce même regard peut être porté en Amérique latine. «Hormis des notes individuelles et éparses d’inquiétude, il n’y a pas eu à ce jour de véritable réaction impliquant des groupes entiers de membres du clergé ou d’évêques» à l’encontre de la déclaration du pape, remarque le site américain Crux. Cela reflèterait en partie la conviction de nombreux catholiques latino-américains que Fiducia supplicans n’implique pas de réel changement, puisque la pratique d’offrir des bénédictions dans pratiquement toutes les circonstances est déjà largement répandue sur le continent.
«Les bénédictions peuvent être données à n’importe qui et par n’importe qui, comme un guérisseur, par exemple», a déclaré à Crux Fortunato Mallimaci, professeur de sociologie à l’Université de Buenos Aires.
L’influence de la théologie du peuple
Ce document serait même étroitement lié à la religiosité populaire latino-américaine, si chère au pape François, analyse-t-il. En Amérique latine, «les gens ne sont pas trop préoccupés par la norme. Ils considèrent que tout le monde a droit à la sacralité, qui est plus grande que n’importe quelle institution», précise le professeur Mallimaci.
Un avis partagé par Maria Cristina Furtado, professeure de théologie à l’Université catholique pontificale du Minas Gerais, au Brésil, pour qui il est clair que, dans son pays, ces bénédictions ne correspondent pas à un sacrement. «Peut-être sommes-nous plus proches du pape François que d’autres peuples, en ce sens qu’il souhaite lui aussi une Église qui accueille tout le monde avec un amour inconditionnel.»
«Tout le monde a droit à la sacralité, qui est plus grande que n’importe quelle institution»
Fortunato Mallimaci
Des peuples indigènes plus tolérants
La présence de populations indigènes sur le continent contribuerait également à une vision plus tolérante des thèmes liés au sexe et au genre. «Dans de nombreuses nations indigènes, l’homosexualité est acceptée sans conflit. Ces groupes ont même des fonctions sociales spéciales pour les homosexuels», déclare le Père jésuite Sergio Cobo, qui travaille au Mexique avec les peuples Nahua, Tepehua et Otomi.
Les critiques restent individuelles en Amérique latine
Les critiques à l’égard de la déclaration Fiducia supplicans tiennent donc finalement plus du mode individuel que collectif en Amérique latine. Mgr Rafael Escudero López-Brea, évêque de Moyobamba au Pérou, a déclaré par exemple que Fiducia Supplicans «portait atteinte à la communion de l’Église, car ces bénédictions contredisent directement et gravement la révélation divine ainsi que la doctrine et la pratique ininterrompues de l’Église catholique».
L’archevêque de Montevideo, en Uruguay, le cardinal Daniel Sturla, a également rejeté l’idée de bénir les couples de même sexe, affirmant que Fiducia supplicans n’est pas assez claire, étant donné qu’elle dit qu’elle ne change pas la doctrine de l’Église mais qu’en même temps elle permet de bénir un couple dans une situation de péché. (cath.ch/la croix/crux/lb)