«Fernando Lugo a libéré les Paraguayens»

Paraguay: La destitution du président Lugo est un ’coup d’Etat parlementaire’

Asuncion, 14 juillet 2012 (Apic) C’était le premier chef d’Etat de gauche de l’histoire du Paraguay. Arrivé au pouvoir en avril 2008 après 65 ans de parti unique, dont 35 ans de dictature, Fernando Lugo Mendez a été destitué le 22 juin dernier par le Sénat de ce petit état d’Amérique latine, coincé entre le Brésil et l’Argentine. Motif officiel ? Il a été tenu pour responsable de la mort de 17 personnes, un drame survenu le 15 juin lors d’une intervention des forces de l’ordre visant à expulser des paysans sans terre installés dans la propriété d’un homme d’affaires à Curuguaty, au nord-est d’Asunción, la capitale.

«Ce qui s’est passé au Paraguay n’est rien de moins qu’un coup d’état parlementaire et non un processus légitime qui ponctue une inaptitude de Fernando Lugo Mendez à la fonction présidentielle», relève Antonio Adrian Zena, membre de la Coordination Nationale de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC). Malgré cette destitution, rien ne pourra effacer le processus démocratique insufflé par Fernando Lugo.

Quelle image les paraguayens ont-ils du président destitué ?

Antonio Adrian Zena : Malgré les campagnes d’information mensongères orchestrées par la presse largement dominée par l’opposition, une large partie de l’opinion publique se rend bien compte que cette destitution n’a rien à voir avec une quelconque incompétence.

Il faut rappeler qu’en abandonnant en 2006 la vie ecclésiale pour servir le peuple, cet homme a pris une décision très importante et très symbolique. Force est de constater qu’aujourd’hui encore, une bonne partie de ces compatriotes lui font toujours confiance. Et ce, malgré les déceptions qu’il a pu générer. Je veux évidemment parler du fait que durant son mandat, il a reconnu la paternité de trois enfants conçus alors qu’il était encore prélat. Si ces affaires ont permis de relancer, au sein de l’opinion, l’inévitable débat sur le célibat et la sexualité des religieux, elle a également jeté sur Fernando Lugo une forme de discrédit quant à sa valeur éthique lorsqu’il était un homme d’Eglise.

Fernando Lugo aura passé quatre ans à la tête de l’Etat. Qu’en retenez-vous ?

A.A.Z : On peut toujours dire qu’il aurait pu et dû faire davantage. Mais il faut admettre que son bilan est positif. Il a incontestablement amélioré le secteur de la Santé en construisant de nombreux hôpitaux et des postes de santé à travers le pays et en développant une couverture maladie accessible aux plus démunis. Même chose dans l’Education, où de nombreuses écoles ont été construites et où l’accès aux études supérieures a été démocratisé. Pour les nombreux sans domicile que comptaient le pays, des efforts sensibles ont été faits en légalisant des logements et en développant des programmes d’accès la propriété pour les familles les plus modestes. Enfin, divers programmes sociaux ont été mis en place à l’attention des plus pauvres.

Evêque, Fernando Lugo revendiquait son inspiration de la théologie de la libération. Est-il resté cohérent avec ses convictions en devenant président ?

A.A.Z : Oui ! Non seulement il a développé en politique les mêmes valeurs qu’il défendait en tant qu’évêque, mais il a surtout permis de libérer les esprits de nombreux paraguayens. Il a amené aux plus démunis des services et des droits qu’ils méritent. C’est d’ailleurs ce qui a beaucoup dérangé la classe politique conservatrice. Il a initié un changement de mentalité que rien ne pourra faire revenir en arrière. S’il a fait beaucoup pour construire un pays plus juste, c’est aussi parce qu’il a aussi pu s’appuyer sur la société civile, en particulier sur les organisations paysannes, les mouvements d’éducation populaire et de défense des droits de l’homme.

Après cette destitution, comment voyez-vous le futur proche du Paraguay ?

A.A.Z : Il faut rester vigilants. Mais je crois que ce coup d’état ne pourra fondamentalement pas remettre en cause l’esprit démocratique qui existe désormais dans ce pays. Au contraire, je pense que Fernando Lugo a conforté le peuple dans l’idée qu’il doit lutter encore davantage pour un avenir plus juste. Ce qui s’est passé aura, j’en suis persuadé, l’effet contraire escompté de la part des politiques en place.

La réforme agraire en cause

La raison profonde du «coup d’Etat parlementaire» qui a chassé le président Lugo est liée à la réforme agraire. Dans un pays où une poignée de familles détient 80% des terres et où les multinationales agroalimentaires brésiliennes ont imposé une agriculture largement transgénique, en particulier le soja, c’est la politique agraire menée par l’ancien chef de l’Etat qui a vraisemblablement conduit à sa chute. Et si l’ancien évêque, n’a pas toujours été efficace en la matière, il avait cependant initié un nouvel équilibre dans la répartition des terres au sein de ce pays aux trois quarts rural.

JOC, un acteur incontournable pour la jeunesse rurale

Créée dans les années 1960, alors que le pays était (déjà) dirigé par un pouvoir autoritaire, la Jeunesse Ouvrière Chrétienne du Paraguay travaille depuis cette époque sur l’Education citoyenne des jeunes, en particulier dans le monde rural. S’appuyant sur un réseau de près de 500 bénévoles à travers le pays, la JOC est l’un des principaux acteurs de la société civile orienté vers la jeunesse, dans un pays où 80% des 6,5 millions d’habitants à moins de 30 ans.

Repères

Capitale : Asuncion

Population : 6,5 millions d’habitants

Développement humain : 89ème rang mondial (sur 177 pays)

Espérance de vie : hommes : 72,12 ans ; femmes : 77,29 ans

Religions : catholiques (90%) ; protestants (mennonites)

Taux d’alphabétisation : 94% (taux officiel)

Nature du régime : République. Régime présidentiel

Langues officielles : espagnol et guarani

(apic/jcg/mp)

14 juillet 2012 | 15:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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