La théologienne Anne Soupa (à g.) et Anne-Marie Pelletier, exégète et lauréate du prix Ratzinger 2014 | © Corinne Simon/CIRIC
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Femmes en Eglise: comment briser le plafond de verre?

Deux styles et deux approches pour un même combat: celui contre les discriminations faites aux femmes dans l’Eglise catholique. Comment briser le plafond de verre auquel elles se heurtent? Regard croisé des théologiennes françaises Anne-Marie Pelletier et Anne Soupa.

Alors que le Mouvement «MeToo» a libéré la parole des femmes et que l’on s’apprête à dresser le bilan de la grève nationale des femmes, qui avait mobilisé le 14 juin 2019 plus d’un demi-million de personnes en Suisse, les revendications d’égalité s’intensifient au sein de l’Eglise catholique. Les femmes y dénoncent avec toujours plus de vigueur la misogynie et les discriminations auxquelles elles sont confrontées. Comment briser le plafond de verre auquel elles continuent de se heurter? Regard croisé d’Anne-Marie Pelletier et Anne Soupa, deux théologiennes catholiques françaises qui font l’actualité, l’une comme membre de la nouvelle commission sur le diaconat féminin, l’autre comme candidate au poste d’archevêque de Lyon (voir encadré).

Anne Soupa, cette candidature est-elle juste un coup médiatique, un gag ou une provocation?
Anne Soupa: Mon but est de faire comprendre une question majeure: comment se fait-il que des interdictions de ce genre subsistent en 2020, dans une Eglise qui est par ailleurs en crise et qui cherche de meilleurs moyens de se gouverner? Comment se fait-il qu’elle ose se priver de la moitié de l’humanité? Le droit canon a été écrit par des hommes pour des hommes. Il n’est plus possible de gouverner sans les femmes, aujourd’hui. L’Eglise catholique va dans le mur si elle ne change pas.
Mon geste n’est pas un geste de défi, mais de salut. C’est une main tendue pour que nous changions. Mais ce qui est fou, c’est justement que ça paraisse fou, alors que ça ne l’est pas. Ce qui est fou, c’est de ne pas oser penser librement «Et pourquoi pas des femmes?». On m’a dit: «Enfin quelqu’un toque à la porte du plafond de verre». L’accès aux responsabilités est autorisé aux femmes, dans la société civile, mais l’Eglise catholique reste la dernière forteresse de résistance à leur émancipation. Il faut qu’elle leur ouvre ses portes.

«L’Eglise catholique va dans le mur si elle ne change pas.»

Anne Soupa

Anne-Marie Pelletier, que pensez-vous de sa démarche?
Anne-Marie Pelletier: je suis d’accord avec Anne Soupa sur certaines de ses remarques, mais j’ai du mal à souscrire à l’idée d’un geste de salut, d’une main tendue. Sur le fond, est-ce un idéal pour une féministe de prétendre accéder à l’archevêché de Lyon? Enfin, pour moi, pas trop… Le fond du problème n’est pas seulement d’investir ces rôles masculins, mais de décléricaliser ces fonctions et d’éviter de les magnifier en les désignant comme des rôles tellement désirables qu’ils devraient concentrer notre combat.

Anne Soupa sait par ailleurs qu’elle revendique l’impossible, mais elle le fait d’une manière qui me gêne, parce que dans l’Eglise, on ne s’auto-désigne pas, on ne peut qu’être appelé par la communauté et sa démarche ne tient pas compte de cette grande loi fondamentale. En définitive, le point d’application de son combat n’est selon moi pas juste. Il y a bien sûr un problème de gouvernance dans l’Eglise, mais le problème est plus vaste et j’ai peur que cette démarche, avec tout son poids d’éclat médiatique, occulte le reste.

La candidature-défi d’Anne Soupa
Journaliste, théologienne et bibliste, Anne Soupa a jeté un véritable pavé dans la marre, en annonçant le 25 mai dernier, sa candidature pour succéder au cardinal Barbarin à la fonction d’archevêque de Lyon. Militante de longue, elle a fait de la promotion des femmes dans l’Eglise son principal combat. C’est notamment la cofondatricedu Comité de la jupe, qui lutte contre la discrimination des femmes dans l’Eglise et de la Conférence catholique des baptisé(e)s de France, qui invite les catholiques francophones à devenir acteurs de la vie de l’Eglise et à inventer celle de demain. CP

Que pensez-vous de la nouvelle commission sur le diaconat féminin?
AMP: J’avoue que je ne suis pas d’un optimisme phénoménal sur ses chances de succès. Je vais y plaider en faveur des femmes, que j’interroge actuellement sur le sujet. En France, elles ne sont pas dans une attente très ardente, à l’opposé des religieuses d’Amazonie, pour qui le diaconat serait une reconnaissance, puisqu’elles sont de facto déjà leaders de communautés. Mon idée sur ce diaconat est donc partagée. J’aimerais surtout pouvoir poser la question du diaconat féminin dans un cadre plus vaste, en l’incluant à des questions comme celles de l’identité de l’Eglise, de l’égalité baptismale, de la relation entre clercs et laïcs et entre hommes et femmes.

AS: Le pape avance à très petits pas sur la question des femmes. On a déjà eu une commission qui n’a pas abouti (lancée en 2016 par le pape François, ndlr), alors que signifie une seconde commission? Il y a de quoi se poser des questions… Et donner le diaconat aux femmes, alors qu’on ne leur donne rien d’autre… c’est un strapontin! Les femmes sont compétentes pour tout! Ce serait indigne d’elles de se limiter au diaconat. Tant mieux, donc, si elles peuvent l’obtenir, mais la question du diaconat ne réglera pas tout.

La place des femmes dans l’Eglise progresse lentement. Comment aller plus loin?
AMP: En ne se décourageant pas, parce que la situation progresse. Je veux tabler sur ce mouvement qui s’est mis en marche, dans l’Eglise et dans la société, car il y a quelque chose d’irréversible qui s’est produit et qui fait que maintenant, c’est une question que l’on ne peut plus occulter. Il faut donc tabler sur ce dynamisme et continuer à pousser des portes, à élargir la vision, partout où c’est possible.

AS: On ne peut plus aller plus loin dans le cadre institutionnel actuel, parce que le plafond de verre non seulement interdit des grandes responsabilités, mais dissuade d’autres femmes de venir. Quand vous avez devant vous un mur, vous ne travaillez pas de la même manière que si vous avez devant vous un horizon dégagé. Donc, je crois que s’il ne passe rien, la contribution des femmes se réduira.

Anne-Marie Pelletier et le diaconat féminin.
Première femme lauréate du prestigieux Prix Ratzinger, Anne-Marie Pelletier vient d’être nommée membre de la commission d’étude sur le diaconat féminin, instituée le 8 avril dernier par le pape François. Professeure d’études bibliques et d’écritures saintes, elle a publié de nombreux ouvrages sur la question des femmes dans l’Eglise, dont récemment L’Eglise, des femmes avec des hommes, paru en 2019 aux éditions du Cerf, une réflexion qui fait le pari d’une lecture féminine-féministe des textes sacrés, pour refonder la relation entre hommes et femmes dans l’Eglise et faire évoluer les mentalités. CP

Que faire alors pour briser ce plafond de verre?
AMP: Bien sûr, il y a un plafond de verre. Mais va-t-on le faire sauter depuis la base, en forçant le passage en direction de ces postes à responsabilité et de gouvernance ou va-t-on plutôt essayer de le faire exploser en partant du haut? Il faut promouvoir la conscience que l’Eglise n’est pas d’abord une structure hiérarchique et de simples fidèles, mais une communauté, une fraternité.

AS: Il faut se donner la liberté de penser au-delà des cadres établis, comme je le fais par ma candidature. Il faut aussi que les femmes continuent à se lever pour dire ce qu’elles font. Il y a une Eglise des invisibles, celle des femmes et il faut la mettre en pleine lumière. Je souhaite qu’elles s’emparent de ma candidature pour la prolonger par leur propre action.

Que faudrait-il pour améliorer la promotion de l’égalité entre hommes et femmes dans l’Eglise catholique?
AMP: Il faut l’alliance des hommes, d’où le titre de mon livre L’Eglise, des femmes avec des hommes. Je ne suis pas pour militer pour les femmes, au nom des femmes, mais travailler à ce que cette relation hommes-femmes soit refondée dans l’Eglise. Je comprends le découragement d’Anne Soupa, mais il faut selon moi lui opposer la confiance. Il faut aller de l’avant et prendre acte qu’un certain nombre d’hommes, dans l’Eglise aujourd’hui, sont parfaitement conscients de la nécessité des changements à opérer.

«L’Eglise n’est pas d’abord une structure hiérarchique et de simples fidèles, mais une communauté, une fraternité.»

Anne-Marie Pelletier

AS: Il faudrait beaucoup de femmes comme moi qui demandent que les choses changent et il faut aussi l’appui des hommes. Ils sont nos alliés naturels et nous leurs alliées. Mais une institution qui ne répond même pas aux questions que je pose, c’est tragique. Cette situation explique aussi le désengagement des femmes. Bien sûr, certaines ont des responsabilités dans l’Eglise, mais le dynamisme que peuvent avoir des femmes compétentes reste entravé.

L’accès des femmes à plus de responsabilités est-elle une question de pouvoir?
AMP: Oui, mais le problème, c’est que personne ne doit rouler pour soi-même dans l’Eglise. Le fond de la vie chrétienne s’appelle le service. Je sais bien toutes les ambigüités de ce mot. Derrière la prétention au service peuvent se cacher toutes sortes de prétentions au pouvoir, mais c’est tout de même de cela qu’il s’agit: servir l’autre et la vie de l’Eglise. Et cela, les femmes le font très amplement. Il faut donc les regarder un peu plus, pour que toute l’Eglise, y compris l’Eglise magistérielle, retrouve le sens du service.

AS: La question du pouvoir est biaisée. Quand le pouvoir est exercé par des hommes, il est bon. Quand il est exercé par des femmes, il serait mauvais. Je voudrais qu’on mette des mots corrects sur les choses. Dans l’Eglise, on a beaucoup de mal avec le terme de pouvoir. On lui préfère comme moi le terme de service, parce que tout pouvoir doit se tourner vers le service, mais il y a toujours un peu de pouvoir qui s’insinue dans le service. Par conséquent, il faut mettre les choses à plat, sans faux semblants : oui, nous voulons servir, oui, nous exercerons un pouvoir. Les deux sont en général indissociables, mais faisons notre possible pour que la part de service croisse. (cath.ch/cp)

La théologienne Anne Soupa (à g.) et Anne-Marie Pelletier, exégète et lauréate du prix Ratzinger 2014 | © Corinne Simon/CIRIC
11 juin 2020 | 17:00
par Carole Pirker
Temps de lecture : env. 7  min.
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