Femmes de la Bible, leur engagement inspire les luttes actuelles
Les combats menés par les femmes dans la Bible ont encouragé de nombreuses femmes au cours de l’histoire de l’Eglise. En 2021, elles demeurent une source d’inspiration. Analyse du bibliste Philippe Lefebvre, à l’occasion de la 100e Journée internationale des femmes, inscrite dans le 50e anniversaire de l’obtention du droit de vote des femmes en Suisse.
Courageuses et anticonformistes, prophétiques et agissantes. Dans la Bible, la lutte pour la justice et la vie marque l’existence d’un grand nombre de femmes. De Abigaïl, femme de David (1 S 25) à Zipporah, femme de Moïse (Ex 2, 21), on y trouve au moins 158 figures féminines. Plusieurs d’entre elles sont engagées en faveur de leurs droits ou de ceux des plus faibles.
Malgré un contexte historique qui leur est défavorable, elles réussissent – en puisant dans leur intelligence et leur sensibilité – une entreprise audacieuse: changer les choses. «Même si elles n’étaient pas considérées égaux à l’égard des hommes, dans la Bible les femmes sont souvent des leaders», constate d’emblée Philippe Lefebvre op, professeur d’Ancien Testament à l’Université de Fribourg.
Femmes (in)visibles?
«Il ne faut pas oublier que, dans les récits bibliques, il y a toujours plus de femmes que l’on ne pense. Ça déborde!, précise le professeur. Certes, de nombreuses femmes sont explicitement nommées. Mais on retrouve également des collectifs, comme celles qui suivent Jésus, par exemple».
Cette présence féminine passe souvent inaperçue aux yeux des hommes de l’époque. Mais pas à ceux du Christ.
«Les femmes bibliques incitent souvent les hommes de mettre en œuvre ce que Dieu leur a recommandé de faire.»
«Dans l’Évangile de Marc (Mc 12), Jésus appelle ses disciples à regarder les femmes. Apprendre à voir les femmes dans le paysage qui les entoure, c’est une forme d’éducation permanente qu’on retrouve dans toute la Bible», rappelle le frère dominicain.
Engagées pour leurs peuples
Parmi ces figures féminines engagées, Philippe Lefebvre évoque la prophétesse Débora (Jg 4). «Elle est une figure emblématique des femmes de la Bible qui luttent pour faire vivre les autres», poursuit le bibliste fribourgeois. «Elle interroge notamment un homme, Barak, à propos du message qu’il a reçu du Seigneur et de la raison pour laquelle il n’a pas fait ce qu’il lui avait ordonné. Après avoir confessé qu’il n’avait pas eu le courage, Barak lui répond: ‘Si tu viens avec moi, je le ferai’.»
Selon l’exégète, cet exemple est éclairant de la manière dont la parole d’une femme change la donne dans la Bible.
«Débora témoigne aussi du retournement complet de la figure féminine, comme elle était conçue dans la tradition de l’époque. Elle interpelle les hommes, elle sort de la maison, où les femmes restaient en attendant leurs maris, et elle lutte. Et ce n’est pas un cas isolé: les femmes importantes incitent souvent les hommes à mettre en œuvre ce que Dieu leur a recommandé de faire», rappelle Philippe Lefebvre
Agir plutôt que revendiquer
Le Nouveau Testament poursuit dans cette même veine. La Vierge Marie est une figure emblématique d’une vie donnée pour les autres, qui va modifier pour toujours la place de la femme.
«Aux yeux de ses contemporains, Marie est contre la loi biblique, vu qu’elle se retrouve enceinte, n’étant pas encore mariée. Pour les voisines de Nazareth, ce n’était certes pas simple à comprendre… Mais pour l’ange, elle est ‘bénie entre toutes les femmes’. Marie se place ainsi dans la continuité de ces femmes bibliques qui ont lutté. Une caractéristique qu’aujourd’hui on a souvent évacuée: Marie est devenu parfois un peu nunuche. En revanche, elle incarne l’héritage de ces femmes bibliques qui rappellent certains droits», précise le frère dominicain.
Le courage de la parole
Des récits bibliques montrent que les femmes sont bel et bien là. Mais elles agissent sans démonstrations ni révolte, et sans remettre en cause ouvertement la société. Elles la travaillent plutôt de l’intérieur.
«Même si elles ne militent pas pour l’égalité, par leur action et leurs paroles, c’est ça qu’elles font!»
«C’est l’art de la Bible: on ne fait pas une nouvelle société avec la révolution, mais dans l’action concrète. On hérite d’une société patriarcale, au sein de laquelle on agit, en témoignant qu’on ne peut plus envisager l’absence d’une collaboration à part égale avec les femmes. Cela donne des textes très surprenants. Car même si elles ne militent pas directement pour l’égalité et leurs droits, de fait, par leur action et leurs paroles, c’est qu ce’elles font!», révèle le bibliste.
Dans cette optique, il évoque les quatre sœurs du livre des Nombres (Nb 27 1-7) qui demandent leur héritage. «C’est une sorte d’expérience pilote dans la société de l’époque. Et elle aboutit. Des femmes prennent courageusement la parole pour exprimer leur volonté d’avoir une égalité dans le droit d’héritage. Et Dieu confirmera leur revendication».
Au commencement, des femmes
Dans la Bible, des figures féminines sont très souvent au commencement des récits bibliques. Cela n’est ni un hasard, ni anodin. «Pourquoi le serpent parle à Eve? s’interroge Philippe Lefebvre. Parce qu’il sait que lorsqu’il y a une décision à prendre, c’est à la femme qu’il faut s’adresser. Et qui annonce pour la première fois la venue du Messie, dans le livre de Samuel (1S 2,10)? C’est à nouveau une femme. C’est en effet Anne qui proclame que le Seigneur donnera la force à son Messie».
«Dans la Bible, les grandes nouvelles sont amenées par les femmes.»
Une parole prophétique et courageuse incarnée par des femmes, on la retrouve dans le Nouveau Testament. «Dans l’Evangile, ce sont aussi des femmes qui annoncent la venue du Messie: Marie, avec sa cousin Elisabeth, mais aussi la prophétesse Anne. La nouveauté biblique du commencement est toujours liée à des femmes qui comprennent», remarque Philippe Lefebvre.
Porteuses de nouveauté
Un exemple remarquable de ce rôle de précurseur est donné dans le récit de la Résurrection. «Qui est-ce qui annonce que le Christ est ressuscité? s’interroge le bibliste. Ce sont des femmes, d’abord! Elles qui n’avaient pas participé à sa Passion (tout en l’accompagnant). Le matin de Pâques, elles ont compris. Car elles ont une intimité toute particulière avec Jésus», explique le frère dominicain.
Pour les hommes, en revanche, ce chemin de la compréhension est beaucoup plus long. «Les disciples pensent qu’il s’agit d’un radotage de femmes. Ils doivent voir, d’abord. Cela montre, dans la Bible, que les grandes nouvelles sont amenées par les femmes. Ce sont elles qui font entrer la nouveauté dans le monde et la société», précise le bibliste.
Voix de femmes
Actions et paroles sont donc les révélateurs de l’engagement de ces figures féminines de la Bible qui, selon le religieux, n’ont jamais arrêté d’inspirer.
«Je pense à Catherine de Sienne, au XIVème siècle. Plongée dans l’histoire très compliquée de la péninsule italique de l’époque et les guerres en Europe, elle décide d’aller voir le pape à Avignon, pour le faire revenir à Rome. Elle est la voix des femmes dans un monde où les hommes pensent qu’ils sont seuls.»
La même chose vaut aussi pour Jeanne d’Arc. «Dans une Europe ravagée par la guerre, elle a le courage de faire entende sa voix au cœur d’un milieu politique uniquement masculin».
Sources d’inspiration
Les femmes de la Bible interpellent jusqu’à nos jours. «Il y a une tradition biblique qui doit encore être exploitée et qui pourrait aujourd’hui encore inspirer bien des femmes, affirme le frère dominicain. La Bible nous aide à remettre en chantier une réflexion sur des figures de femmes qu’il est très important d’aborder».
«La journée du 8 mars est très importante. Ce sont des moments de réflexion qu’il faudrait aussi vivre en l’Eglise.»
Une réflexion qui n’est pas, selon lui, synonyme d’acceptation inconditionnelle des différentes théories contemporaines.
«L’inspiration biblique est bien plus novatrice que l’on peut penser. Elle amène à redécouvrir les dossiers au-delà de ce que l’on peut imaginer. De ce point de vue, je pense que la journée du 8 mars très importante. Ce sont des moments de réflexion qu’il faudrait aussi vivre en l’Eglise», conclut Philippe Lefebvre. (cath.ch/dp)