Mgr Gustavo Gabriel Zurbriggen en visite à la Fazenda da Esperança "Las Canteras" | © Jacques Berset
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Fazenda da Esperança: «Ce lieu où l’on renaît»

A 120 km de la capitale de la province argentine de Cordoba, la Fazenda da Esperança «Las Canteras», une institution dédiée à la réhabilitation, accueille des jeunes dépendants aux drogues et à l’alcool. Trois fondements soutiennent la thérapie: la spiritualité, le travail et la vie communautaire. Reportage.

En apercevant les premières maisons de la Fazenda da Esperança, Mgr Gustavo Gabriel Zurbriggen retrouve son optimisme: cette institution dédiée à la réhabilitation de la dépendance aux drogues et à l’alcoolisme est un dynamique foyer de vie chrétienne. Ce lieu «où l’on renaît» a pour «carburant principal» une spiritualité basée sur l’Evangile, le travail et la coexistence.

En quittant la route asphaltée en provenance de la petite ville de Deán Funes, nous empruntons une route de terre sur trois kilomètres, en pleine campagne. «Voici la Fazenda da Esperança «Las Canteras», annonce notre guide, un évêque de lointaine ascendance haut-valaisanne. C’est un projet soutenu financièrement par l’œuvre d’entraide catholique internationales Aide à l’Eglise en Détresse (ACN).

Un dynamique foyer de vie chrétienne

«Ici, dans ces campagnes, nous avons seulement 5% de pratique religieuse pour une population baptisée catholique à plus de 90%, explique Mgr Zurbriggen, évêque de Deán Funes. Personne ne se marie, nombreuses sont les familles recomposées… sans parler de la crise économique qui frappe la majorité de notre population, surtout nos jeunes, laissant la porte ouverte à l’abandon des villages, au travail précaire et aux addictions».

C’est pourquoi l’évêque de cette prélature territoriale d’une superficie proche de celle de la Belgique pour moins de 65’000 habitants, met beaucoup d’espoir dans le travail évangélisateur de la communauté de Las Canteras. Car dans ces zones rurales, si la religiosité populaire est très forte – tout le monde va embrasser la statue de la Vierge lors de la fête patronale -, le prélat regrette un certain manque de cohérence avec une foi concrètement vécue au quotidien.

Un village propret, aux demeures bien ordonnées

Nous voici arrivés dans ce qui semble un village propret, aux demeures bien ordonnées. La Fazenda da Esperança «Las Canteras», une propriété installée dans d’anciennes carrières – d’où son nom – est une communauté de 82 personnes. Y cohabitent dans un esprit de famille des jeunes «adictos recuperados” [toxicomanes, alcooliques et dépendants de médicaments guéris], des éducateurs – eux-mêmes d’anciens toxicos, deux religieuses franciscaines et un évêque émérite.

A l’entrée de la Fazenda da Esperança «Las Canteras» | © Jacques Berset

Ainsi Sœur Sarah, de la province argentine de Salta, Maria del Carmen, qui vient du Chaco paraguayen, et Mgr Aurelio José Kühn, prélat émérite de Deán Funes, partagent la vie de cette communauté bigarrée. L’évêque franciscain fut, en 2005, l’initiateur de ce projet de réhabilitation de jeunes personnes dépendantes et put acquérir à un bon prix ce domaine de plus de 90 hectares.  

Spiritualité, travail et vie communautaire

«La thérapie que nous proposons ici est très simple, expliquent les éducateurs, elle repose sur trois fondements: la spiritualité, le travail et la vie communautaire. Ici vivent des hommes et des femmes qui ont décidé d’abandonner les drogues et les addictions. Nous accueillons des jeunes seuls, des mères avec leurs enfants».

Pour maintenir le centre économiquement, mais aussi dans une démarche thérapeutique, ces «adictos recuperados» travaillent dans le jardin, dans les ateliers d’artisanat, cuisent des biscuits, préparent des conserves de viande, s’occupent des animaux de la ferme: cochons, poules, lapins… Ils confectionnent aussi des «canastas» (paniers) de produits divers, dont de l’artisanat, qui sont commercialisés à l’extérieur, notamment auprès des familles des «recuperados», commente José, un Brésilien de Recife, qui vient du mouvement des Focolari.

Dans les allées paisibles de la Fazenda da Esperança «Las Canteras» | ©

Lorsque la famille vient voir les «pensionnaires» une fois par mois, ces derniers lui remettent une «canasta» pour être consommée ou revendue, fournissant ainsi une contribution pour son séjour à la Fazenda. Le traitement dure douze mois et l’engagement de la famille et de l’entourage immédiat du détenu est fondamental pour la réussite de la récupération de la personne dépendante.

«Candidat à être un homme nouveau»

«Une personne qui entre chez nous n’est plus un drogué, mais un candidat à être un homme nouveau». L’éducateur brésilien qui nous l’assure sait de quoi il parle. Comme 90% des responsables des Fazendas dans plus d’une vingtaine de pays en Amérique latine, en Europe, en Afrique et en Asie, les éducateurs sont eux-mêmes d’anciens toxicomanes.    

Durant l’année, des membres de la Fazenda se rendent dans les écoles et les paroisses, faire un travail de prévention. Chaque matin, ils participent à une méditation de la parole, tirant son inspiration du mouvement des Focolari, «un moteur pour notre récupération», nous confie un ex-toxicomane devenu éducateur au sein de la communauté. «Nous devons réfléchir à chaque fois à ce que nous avons fait pour les autres». Après la messe, tous se rendent au travail, avant de participer à un temps réservé pour divers sports, comme le football. «Il ne faut pas oublier que l’on est ici au pays de Maradona!»

Le pape argentin: «Il s’appelle Francisco, comme moi!»

Dans une des maisons qui sert d’atelier, un jeune venant de Mendoza, au coeur de la région viticole argentine, au pied des Andes, confectionne des croix destinées à la vente. Il nous dit sa fierté d’avoir à Rome un pape argentin: «Il s’appelle Francisco, tout comme moi!»

Dans les ateliers de la Fazenda da Esperança, des «adictos recuperados» fabriquent des croix | © Jacques Berset

L’atmosphère des lieux est paisible et tout a l’air parfaitement huilé, mais rien n’est donné d’avance. Mgr Aurelio José Kühn, reconnaît qu’il n’est pas toujours facile de travailler avec ceux qui entrent volontairement dans la colonie dans le but de se rétablir. «Vous devez être avec eux tout le temps, les comprendre et les contenir, car ils ont généralement des problèmes familiaux difficiles à résoudre».

Personne n’est obligé de rester

Le prélat assure que, dans la Fazenda, «on vit dans un climat de famille, d’amitié». Il souligne que les jeunes sont venus ici de leur propre gré, dans une liberté absolue: «personne n’est obligé de rester».

Les éducateurs sont clairs: pas question de perdre du temps, les gens qui viennent ici connaissent d’emblée les règles et pas question de prendre la tangente. La condition est que la personne qui veut se récupérer de son addiction doit exprimer son adhésion personnelle à la démarche.

«La direction connaît la situation judiciaire de la personne qui vient chez nous. Certains ont un certificat d’un bureau du Ministère de la Justice, des psychologues donnent leur avis, nous recevons des indications de la police locale… Le séjour est de douze mois, et quand ils sortent de la Fazenda, les «recuperados” sont suivis par un groupe d’appui. 65% de ceux qui viennent terminent l’année. C’est un beau succès!» (cath.ch/be)

L’histoire a commencé au Brésil en 1983
L’histoire des communautés thérapeutiques Fazenda da Esperança a commencé en 1983 dans la ville brésilienne de Guaratinguetá – à 160 kilomètres de Sao Paulo. C’est une intuition du Père franciscain Hans Stapel et du jeune catholique Nelson Giovanelli Rosendo dos Santos, qui voulait mettre en pratique la phrase de l’Evangile de l’apôtre Paul: «Je me suis fait faible avec les faibles pour gagner les faibles», un idéal paulinien qui a inspiré le charisme d’unité du mouvement des Focolari, fondé par Chiara Lubich en Italie à la fin de la seconde guerre mondiale. Lui-même faisait partie du Mouvement Gen (la deuxième génération du Mouvement des Focolari).

Le charisme de saint François et de la spiritualité du Mouvement des Focolari
Les «fermes de l’espoir», des centres de réhabilitation s’inspirant du charisme de saint François et de la spiritualité du Mouvement des Focolari, permettent à des candidats au «retour à la vie» suffisamment motivés, d’être accueillis pour un an gratuitement et accompagnés individuellement. Nourris de la Parole de Dieu, ils réapprennent à vivre en société et à acquérir le sens des responsabilités. A la fin de leur séjour, les jeunes peuvent poursuivre l’expérience au sein de groupes «Vive Espérance» implantés localement. Les toxicomanes réhabilités et leurs familles vendent les produits fabriqués au centre pour subvenir à leurs besoins et collaborer avec l’institution.
Aujourd’hui, des dizaines de Fazendas da Esperança, qui accueillent séparément hommes et femmes, se sont multipliées dans quatre continents et assurent une importante action de récupération de la rue et de renaissance à partir de l’enseignement de l’Evangile, à un tel point qu’un évêque brésilien les a définies «un sanctuaire de la ‘nouvelle évangélisation’!»

Une Fazenda en Suisse
En Suisse, une Fazenda da Esperança s’est installé dès 2012 dans une maison de l’ancien couvent de capucines de Sainte Marie des Anges à Wattwil, dans le Toggenburg saint-gallois. Le quartier d’habitation peut accueillir 12 résidents. La communauté s’occupe d’un centre spirituel ouvert dans le monastère historique, gère une petite ferme et s’occupe des terrains et des bâtiments du monastère. Le grand jardin du monastère est cultivé et les fruits sont transformés en confitures, fruits secs, etc. «Nous sommes actuellement 8 personnes, pas seulement des récupérants, mais cela change tous les jours «, confie Thomas Strahm, lui-même un ancien toxicomane, en charge de l’administration du «Klösterli Wattwil».  JB

Mgr Gustavo Gabriel Zurbriggen en visite à la Fazenda da Esperança «Las Canteras» | © Jacques Berset
11 mai 2020 | 19:05
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 6  min.
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