Faire face aux pandémies hors de «l’alternative Etat-marché»
Remise de la dette, salaire universel, inquiétude vis-à-vis de l’économie: nombreuses ont été les références à la situation économique dans le monde faites par le pape François au cours de la Semaine Sainte. La crise sanitaire est en effet l’occasion d’opérer un changement de société, a estimé Stefano Zamagni, professeur d’économie politique à l’université de Bologne et président de l’Académie pontificale des sciences sociales, interrogé au cours d’une vidéo-conférence, le 14 avril 2020.
C’est une certitude pour le professeur Zamagni, le monde affrontera dans les prochaines années de nouvelles pandémies. Il s’agit donc dès maintenant de tirer des enseignements de la crise actuelle.
Lorsqu’elles font face à une épreuve, estime le professeur Zamagni, les sociétés occidentales s’en remettent seulement à l’Etat et au marché financier. Or, tandis que les marchés financiers «se bloquent» par manque de travailleurs et de consommateurs, l’Etat démontre pour sa part ses limites dans la prise en compte des réalités de terrain.
La solution ne peut donc dépendre uniquement de ces deux acteurs de la société. Troisième élément tout aussi incontournable, la «communauté organisée» (réseaux d’entraide, associations, organisations non-gouvernementales, fondations privées etc.) a démontré son efficacité depuis le début de la crise provoquée par le Covid-19. Ces structures, réactives et productives, «indépendantes de l’Etat et du marché», sont la clef selon le professeur italien. La société doit donc apprendre à faire «interagir» ses trois acteurs: communauté, marché et Etat.
«Tout a été misé sur la santé»
Ces dernières années, la société s’est reposée essentiellement sur le développement des structures sanitaires, déplore-t-il. Pourtant, pour Stefano Zamagni, la bonne santé des individus dépend de cinq variables: des conditions sanitaires, du style de vie, mais aussi des conditions de travail, de l’environnement et de la famille.
Dans cette crise, «tout a été misé sur la santé, s’indigne le président de l’Académie pontificale, sans tenir compte des autres facteurs». On ne peut pas seulement travailler sur la santé et les hôpitaux, devenus une «totale institution». Nombreux sont en effet ceux qui sont touchés par le virus et qui restent à leur domicile.
Ce phénomène est dû en partie à la médecine occidentale, «trop cartésienne». Descartes estimait en effet que pour un médecin «seule existe la maladie, pas le malade». Certes, comme dit le pape François «nous ne sommes pas notre maladie», souligne l’universitaire. Mais il est «crucial de changer l’organisation des hôpitaux pour se concentrer sur le malade». «On ne peut continuer sur ce modèle cartésien, c’est un des enjeux de la crise», affirme-t-il.
Le territoire a été «laissé pour compte», abandonnant notamment les médecins de proximité. C’est une des erreurs de la Lombardie, explique-t-il, qui dispose d’hôpitaux d’excellence, mais qui a laissé les individus à leur sort sur le territoire. Des structures intermédiaires sont donc indispensables, c’est une leçon majeure de cette crise.
«Retrouver un supplément d’âme» en Europe
Autre enseignement, «l’Europe a montré son incapacité à affronter les situations extraordinaires». Alcide De Gasperi, Konrad Adenauer, Robert Schuman, Jean Monnet, «tous catholiques», les pères fondateurs de l’Europe avaient pourtant intégré des principes de solidarité à leur projet initial.
Cependant, l’adoption du traité de Maastricht a remplacé le principe de solidarité par un principe d’assistance. Tout repose désormais sur des traités qui impliquent une logique de contrat. Cela entraîne dès lors des insuffisances en terme de solidarité de la part de pays qui n’interviennent plus auprès des autres en dehors des traités. L’Europe a donc besoin de retrouver un «supplément d’âme, en valorisant les principes fondateurs».
Créer un fonds de garantie pour les travailleurs
«Sans doute est-il temps de penser à un salaire universel qui reconnaisse et rende leur dignité aux nobles tâches irremplaçables que vous effectuez, un salaire capable de garantir et de faire de ce slogan, si humain et chrétien, une réalité : pas de travailleur sans droits». C’est ce qu’a déclaré le pape François dans une lettre adressée le 12 avril aux mouvements populaires.
La proposition faite par le pape François d’instituer un salaire universel mérite d’être retenue pour l’économiste. Il ne s’agit pas là de verser un salaire à tous et tout le temps mais plutôt de créer «un fonds de garantie, comme il en existe déjà pour les banques faisant face au risque».
Ne voyant dans cette épreuve que des opportunités de se développer, le professeur se veut optimiste. La crise a créé selon lui de nombreuses occasions de rendre possible ce qui ne l’était pas il y a quelques temps. Cours universitaires en vidéo-conférence, télétravail, actes de solidarité: nous entrevoyons déjà la société de demain. (cath.ch/imedia/ah/rz)