Face au «printemps arabe», les chrétiens sont dans l’expectative

Fribourg: Clôture du symposium sur le christianisme en Mésopotamie

Fribourg, 15 mai 2011 (Apic) Face au «printemps arabe» qui se lève du Maghreb à la Péninsule arabique, les chrétiens locaux sont dans l’expectative. «La région prend feu et les chrétiens ne savent pas sur quel pied danser, mais les musulmans également ont peur, ils tentent eux aussi d’émigrer», témoignent les responsables chrétiens irakiens présents à Fribourg pour le 1er Symposium sur le christianisme en Mésopotamie qui s’est tenu à l’Université les 13 et 14 mai.

A l’heure du bilan, la joie était sur les visages des hôtes irakiens et des organisateurs de la Faculté de théologie. Un seul regret: l’absence quasi-totale des étudiants en théologie de Fribourg qui auraient pu partager de riches moments avec la délégation des chrétiens d’Irak. Certains d’entre eux étaient partis durant le week-end à Brigue, en Valais, pour la préparation des Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ) qui se tiendront en août prochain à Madrid.

La rencontre académique n’a pas fait l’impasse sur la situation dramatique des minorités chrétiennes d’Irak, dont les deux tiers ont fui le pays depuis l’invasion américaine de 2003. L’instabilité dans le monde arabe n’épargne pas la Mésopotamie. Les intervenants ont dit leur inquiétude quant au sort des réfugiés irakiens en Syrie, dont une minorité non négligeable est chrétienne.

Ces réfugiés sont près d’un million et demi et peuvent difficilement rentrer au pays en cas d’effondrement du régime du président Bachar el-Assad: ils ont souvent vendu leurs biens pour émigrer et ils sont considérés comme des sympathisants du parti Baath de feu le dictateur Saddam Hussein. «Beaucoup préfèreraient encore mourir en Syrie !»

«Pour moi, il n’y a pas de guerre de religions en Irak»

Dans son exposé sur la Sainte Vierge dans la liturgie chaldéenne (*), Mgr Jacques Isaac a souligné la piété de ses compatriotes pour la mère de Jésus. Le recteur du Babel College à Ankawa, le quartier chrétien d’Erbil, au Kurdistan irakien, a relevé qu’en Irak, de nombreux musulmans prient dans les sanctuaires dédiés à la Vierge Marie, pour laquelle ils ont une grande dévotion. «Ils viennent lui demander des intercessions, en particulier durant le mois de Marie. Ils pensent que la Sainte Vierge peut intercéder pour eux auprès d’Allah…Pour moi, il n’y a pas de guerre de religions en Irak !»

Dans le conflit qui ensanglante l’Irak, déclare à l’Apic le Père Yousif Thomas Mirkis, dominicain de Bagdad, beaucoup de musulmans sont choqués quand il y a des attentats contre les chrétiens, comme l’attaque sanglante du 31 octobre dernier contre la cathédrale syro-catholique de Sayidat al-Najat (Notre-Dame du Perpétuel Secours), à Bagdad. Des terroristes ont massacré une cinquantaine de fidèles – dont deux jeunes prêtres, ainsi que des femmes et des enfants.

«Nombre de musulmans nous disent que l’islam, ce n’est pas cela… La période de fanatisme que nous traversons ne touche pas seulement les chrétiens, et les victimes musulmanes sont proportionnellement plus nombreuses. Les musulmans ont peur pour leurs enfants, la même peur que la nôtre !».

Rédacteur en chef du magazine «Al-Fikr Al-Masihi» (La Pensée chrétienne), détenteur d’un doctorat en théologie à Strasbourg et d’un master en ethnologie à Nanterre, près de Paris, le Père Yousif Thomas Mirkis déplore également que les chrétiens irakiens, pourtant de plus en plus minoritaires, restent très divisés. «Le dialogue interchrétien est encore faible, sinon inexistant…Nos évêques semblent paralysés».

Menacée dans sa survie, l’Eglise chaldéenne se ferme sur elle-même

Alors qu’elle est menacée dans sa survie, l’Eglise chaldéenne, avec son très riche héritage spirituel et historique, se ferme sur elle-même. «L’Eglise chaldéenne est dans un état de chaos, à l’image du chaos qui règne au plan politique en Irak … Elle est appauvrie, isolée, il manque une ouverture courageuse vers les autres Eglises, vers l’islam modéré», déplore pour sa part le Père Salim Saka. Originaire de Batnaya, dans la Plaine de Ninive, près de Mossoul (nord de l’Irak), ce professeur de droit canonique au Babel College, est également curé de paroisse à Bagdad.

Unique intervenante durant le symposium, Suha Rassam, une catholique chaldéenne née à Mossoul, a travaillé comme médecin à Bagdad puis jusqu’à sa retraite dans les hôpitaux londoniens. Spécialiste des chrétiens d’Orient, diplômée de l’école des études orientales et africaines de l’Université de Londres, elle estime que la crise d’identité des chrétiens d’Irak reflète la crise d’identité générale que connaît la population irakienne, qui souffre de sectarisme et de tribalisme, une société où prévalent plus que jamais les réflexes ethniques.

Les politiciens chrétiens minent eux aussi l’identité chrétienne

«Malheureusement, les leaders politiques chrétiens en Irak ont adopté les mêmes principes, renommant les chrétiens selon des critères ethniques et politiques, ce qui mine l’identité chrétienne et exclut certains secteurs de la communauté chrétienne qui ne sont pas assyro-chaldéens, comme par exemple les chrétiens arméniens, latins, grecs, coptes, protestantes ou arabes», déplore-t-elle. Suha Rassam espère que la minorité chrétienne, malgré les dures réalités auxquelles elle est confrontée et bien que drastiquement réduite, va rester sur cette terre et qu’elle pourra continuer à y apporter sa contribution comme l’a fait depuis les temps apostoliques.

(*) Principale confession chrétienne d’Irak, l’Eglise chaldéenne (catholique) est, avec l’Eglise apostolique assyrienne, l’héritière de la grande Eglise d’Orient qui envoya dès le VIe siècle ses missionnaires jusqu’en Chine. (apic/be)

15 mai 2011 | 14:29
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
Fribourg (631), Université (85)
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