F.X. Amherdt: «Les temps sont mûrs pour un Vatican III»
Le processus synodal engagé dans l’Eglise universelle pose beaucoup de questions. Comment la démarche est-elle accueillie en Suisse, quelles sont les attentes et les enjeux? François-Xavier Amherdt, professeur de théologie pastorale à l’Université de Fribourg, décrypte la situation.
Pourquoi le pape a-t-il choisi, selon vous, de lancer ce chemin synodal?
F.X. Amherdt: «Église et synodalité sont synonymes», dit le Père de l’Église Jean Chrysostome, cité dans le document préparatoire. En fait, le pape désire renouer avec la pratique de l’Église du premier millénaire, que Vatican II a remise à l’honneur: synodalité et principe hiérarchique en Église servent à la communion «catholique».
L’itinéraire synodal 2021-2023 se propose donc comme une étape décisive de la réception de Vatican II et particulièrement de sa constitution pastorale Gaudium et spes. Le pape François a dit: «Le chemin de la synodalité est justement celui que Dieu attend de l’Eglise du 3e millénaire» (discours pour le 50e anniversaire du synode, le 17 février 2015). Le processus se présente également comme un kairos (un moment de rupture, de basculement) au moment où la crise des abus sexuels a très profondément entamé la crédibilité de l’Église entière, voire de l’Évangile.
Quels points tiennent particulièrement à cœur au pontife?
Il y en a deux. Le premier est de prendre en compte la voix de l’ensemble du peuple de Dieu à qui est confiée la mission de l’évangélisation, d’entendre le «bon sens de la foi des fidèles», le sensus fidei fidelium.
«Si chacun disait: ‘Ce n’est pas avec une goutte d’eau qu’on fait une rivière’, il n’y aurait jamais de fleuve ni d’océan!»
Le second est de parvenir à une légitime diversité régionale dans la communion, selon l’ecclésiologie de Lumen gentium (1964). Avec par exemple des responsabilités plus importantes confiées aux Conférences épiscopales régionales et continentales. On l’a déjà senti à l’occasion du Synode sur l’Amazonie et dans l’exhortation Querida Amazonia (2020), où le pape sud-américain, sans apporter les modifications ministérielles et structurelles que d’aucuns espéraient, a souligné le rôle des instances locales. Ce qui a déjà été réalisé en partie avec la création toute récente de la «Conférence ecclésiale de l’Amazonie» (CEAMA).
Il s’agit de «fils conducteurs» du pontificat…
Oui, la preuve en est la puissante Lettre au peuple de Dieu de l’été 2018, où François invitait tous les baptisés à penser un modèle d’Église qui écarte toute forme de «cléricalisme», comme source des abus de pouvoir, de conscience et d’intégrité physique.
Dans son ouvrage Un temps pour changer de 2020, le pape précisait aussi: «La synodalité commence par l’écoute de tout le peuple de Dieu. Une Église qui enseigne doit d’abord être une Église qui écoute […]. Dans la dynamique du Synode, les différences sont exprimées et polies jusqu’à ce que l’on parvienne sinon à un consensus, du moins à une harmonie qui conserve les fines nuances de ses différences.» On peut donc affirmer que François a de la suite dans les idées!
Qu’est-ce que le pape et le Vatican attendent de cette démarche? Que vont-ils faire avec les réponses obtenues?
Je ne puis évidemment pas préjuger de ce que le pape et les instances vaticanes feront des réponses récoltées. Certes, les expressions locales ne constitueront que des gouttes d’eau dans l’immense «synthèse des synthèses des synthèses». Mais si chacun disait: «Ce n’est pas avec une goutte d’eau qu’on fait une rivière», il n’y aurait jamais de fleuve ni d’océan!
Ensuite, c’est à une expérience spirituelle que François convie les communautés ecclésiales, autant les laïcs que les ministres ordonnés. Car ce n’est qu’en se mettant ensemble à l’écoute de la Parole et de l’Esprit que les antagonismes peuvent être dépassés et des voies inédites mises au jour, au service du bien commun.
«Le désir est fort que la conduite ecclésiale soit plus fraternelle et horizontale»
Ce n’est pas un exercice démocratique au sens politique du terme, fondé sur l’émergence de majorités, qui nous est proposé, mais un processus de recherche de communion, selon la volonté de Dieu pour le Royaume.
Et puis, le pape veut sentir abondamment «l’odeur des brebis», selon cette comparaison pastorale qu’il affectionne, de manière à pouvoir asseoir les éventuelles réformes qu’il pourra suggérer sur une large expression de la collégialité, entre fidèles et évêques. Faisons confiance!
Observez-vous un grand engagement en rapport au chemin synodal en Suisse romande?
Le vicaire épiscopal du Jura pastoral, l’Abbé Jean Jacques Theurillat, se dit «emballé» par cette consultation. Et la partie francophone du diocèse de Bâle profite de l’élan unifié des trois diocèses alémaniques (avec St-Gall et Coire, ndlr.), à travers des documents, des questionnaires simplifiés et des démarches pédagogiques.
«L’Église ressemble à un immense paquebot, non à un petit esquif à voile»
Je constate un enthousiasme similaire de la part de l’évêque de Sion, Mgr Jean-Marie Lovey: lors du dimanche de lancement de l’itinéraire, il a invité les paroisses, les groupes, les mouvements, à une liturgie de la Parole à la cathédrale de Sion, suivie d’une marche jusqu’à la basilique de Valère, conclue par l’office des vêpres.
Et du côté de LGF?
Mgr Charles Morerod a préféré laisser l’initiative aux communautés locales. Un défi relevé diversement selon les quatre cantons et la partie germanophone du diocèse. Je signalerai entre autres – et ce n’est pas exhaustif! – les procédures très actives et créatives du canton de Vaud, soutenues par le Service de formation, le SEFA, avec une sensibilisation à l’importance de l’itinéraire proposé aux équipes pastorales.
Y’a-t-il des attentes particulières suivant les secteurs de l’Église (clergé, laïcs, fidèles)?
À côté de ceux qui n’attendent rien, sinon le maintien frileux du statu quo, les espérances placées dans le Synode sont élevées, autant auprès de fidèles, des laïcs engagés que dans le clergé ou chez les théologiens.
Elles concernent, d’une part, l’exercice de l’autorité, que ce soit au niveau de l’organisation de la gouvernance, de la mise en œuvre de pratiques de participation aux responsabilités, telles que la collégialité et la relecture. Elles touchent d’autre part à la valorisation d’attitudes appropriées, telles que l’écoute, le respect des personnes engagées, des cadres et des fonctions, la capacité de prendre du recul, ou encore le sens du bien commun.
Qu’est-ce que cela implique ?
La mise en œuvre d’un encadrement de cet exercice du pouvoir, notamment par rapport aux risques de débordements et d’abus, par l’établissement d’instances de supervision des activités et de voies de recours en cas de problème, lesquelles existent peu ou pas actuellement.
Le désir est fort que le fonctionnement de la conduite ecclésiale soit plus fraternel et horizontal, associant davantage les fidèles laïcs, y compris les femmes, et que les ministres ordonnés, et mandatés, exercent leur paternité spirituelle de manière fondamentalement fraternelle.
Quelles sont les autres attentes?
L’autre grande attente porte sur ce que les lecteurs du journal La Croix avaient déjà formulé lors des questionnaires intitulés «Réparons l’Église» au printemps 2019 (voire la synthèse de Dominique Greiner, Réparons l’Église. Scandales, abus, révélations, Paris, Bayard, 2020, ndlr.). Avec le cri du cœur: «Écoutez-nous!». C’est le désir qu’existent plus de lieux où formuler des idées pour «rebâtir l’Église», comme du temps de François d’Assise, et où faire entendre ces propositions auprès des responsables. C’est le souhait de différentes catégories de personnes qui éprouvent le sentiment de n’avoir ni leur place ni la parole dans l’Église, à savoir tous ceux et toutes celles qui ne s’y sentent pas vraiment les bienvenus.
«Les attentes sont très élevées et les risques de frustrations proportionnés»
C’est donc le défi de la fraternité et de l’amitié sociale, que tente de relever l’encyclique Fratelli tutti (2020), qui est lancé à l’ensemble de l’Église catholique à travers l’Itinéraire synodal, en faisant des groupes de consultation de petites communautés de partage, de prière et de solidarité, et en essayant de répondre aux requêtes des multiples chercheurs de sens, en notre société post-sécularisée et pluri-religieuse.
La démarche a-t-elle le potentiel de changer l’Eglise de façon profonde?
J’estime qu’elle a le potentiel de changer un certain nombre de réalités sur les terrains de la vie paroissiale et diocésaine, comme au niveau de la structure hiérarchique catholique-universelle, à condition de susciter de manière créative des biotopes de fraternité évangélique.
Les risques de déception sont nombreux…
Évidemment, les attentes sont très élevées et les risques de frustrations proportionnés, comme après Amoris laetitia (2016) et Querida Amazonia, ou après certains Synodes diocésains. Du reste, j’entends un peu partout des voix se lamentant: «À quoi sert-il de re-recommencer un tel processus? Celui sur la famille n’a rien changé en profondeur. Cela sera une fois de plus un coup d’épée dans l’eau. À quoi bon?»
«Cheminer ensemble dans l’Esprit, c’est être Église dans le monde»
Ces interpellations sont à prendre vraiment au sérieux. Mais c’est à petit pas que l’Église se réforme, Ecclesia semper reformanda, et que le Concile Vatican II se concrétise. Peut-être que le Synode 2023, ce serait mon attente personnelle, pourra donner le coup d’envoi à la convocation d’un nouveau Concile. Afin d’éviter des scissions internes comme celles que pourraient provoquer le «chemin synodal» allemand ou les réactions exacerbées de certains milieux traditionalistes au motu proprio Traditionis custodes.
Les temps sont mûrs pour un Vatican III, tant les crises sont profondes et nombreuses. L’Église catholique romaine ressemble à un immense paquebot, non à un petit esquif à voile. Pour que le cap change, selon le souffle de l’Esprit, il faut des kilomètres de navigation. Puisse le pontificat du pape François durer encore plusieurs années, et servir à la mise en œuvre «mystagogique» du Synode 2021-2023!
Certains disent que la démarche est trop «cadrée» et déplorent qu’elle exclue les questions de doctrine…
Ceux qui affirment cela font peu de cas des contenus proposés à l’échange selon le document initial, qui touchent bel et bien des éléments doctrinaux essentiels. Je citerai le principe des «compagnons de voyage», ou comment ne laisser personne de côté et intégrer les gens en périphéries. Ou, concernant l’exercice de l’autorité, comment développer la participation dans l’élaboration et la prise des décisions. Et encore sur le discernement, comment intensifier la transparence et la confiance pour que l’Église soit portée par des processus spirituels.
Si synode veut dire «marcher ensemble», la démarche n’est-elle pas plus importante que le but? Si on ne marche pas vers un but commun, ne risque-t-on pas de s’égarer?
Si le but est le Royaume de justice, de paix et de respect de la création, déjà inauguré ici-bas par des paroles d’amour et des gestes de réconciliation, si le Christ que nous sommes invités à rencontrer personnellement et communautairement EST le chemin, et donc la vérité et la vie, alors la méthode -dans laquelle on retrouve le mot odos, qui veut dire chemin à travers – correspond à l’objectif. Cheminer ensemble dans l’Esprit, c’est être Église dans le monde, c’est marcher avec Jésus comme les disciples d’Emmaüs, c’est déjà le Règne parmi nous. Cela en vaut donc la peine. J’y crois vraiment. (cath.ch/rz)
Le synode, comment ça marche?
Comme l’étymologie du terme «chemin ensemble» l’indique, le Synode se présente comme un véritable processus dans lequel tous les baptisés sont dès maintenant impliqués. Ce qui est nouveau! Il s’agit donc d’un authentique «itinéraire synodal» qui ne sert pas qu’à «préparer» l’assemblée des évêques délégués des Conférences nationales en octobre 2023 et où la méthode correspond au thème «Un synode sur la synodalité».
Groupes dans les paroisses
Par rapport à l’autre démarche par étapes du Synode sur le couple et la famille, ponctuée par deux assemblées épiscopales, celle-ci comprendra une phase continentale et régionale, suite à la première phase locale déjà lancée par le document préparatoire et les célébrations d’ouverture à Rome par le pape (9 octobre 2021) et dans les diocèses (17 octobre dernier). Dans un premier temps, la consultation par petits groupes de 5 à 10 personnes se vit dans les paroisses, unités pastorales et services, avec un rassemblement des réponses pour début 2022. Le diocèse de Bâle a prévu par exemple pour janvier 2022 une «assemblée présynodale» où des délégués délibéreront et prépareront la réponse adressée à la Conférence des évêques suisses.
Synthèse des réponses
Puis cette dernière regroupera toutes les réactions helvétiques pour les transmettre à la Secrétairie générale du Synode pour septembre 2022 (le délai vient d’être prolongé de 5 mois), présidée par le cardinal maltais Mario Grech, tout à fait dans la même ligne que François, et dont la sœur xavière francophone Nathalie Becquart est la numéro deux. Le Secrétariat général établira une première synthèse des réponses des Églises particulières (Instrumentum laboris, n. 1), qui servira de base aux «réunions présynodales continentales» tenues avant mars 2023.
Document préparatoire
Avec les 7 documents finaux issus de ces assemblées régionales, la Secrétairie générale préparera en juin 2023 un 2ème Instrumentum laboris en guise d’outil de travail pour le Synode à Rome qui couvrira tout le mois d’octobre 2023. De là sera issu un document final du Synode, dont le pape s’inspirera pour son exhortation apostolique postsynodale, afin que l’itinéraire puisse se continuer et se perpétuer!
Du reste, Mgr Felix Gmür souhaite profiter déjà de la consultation de la base pour, dès le printemps 2022, poursuivre sur la voie d’un renouveau de l’Église dans le diocèse de Bâle et en Suisse. FXA
A la veille de l’ouverture, par le pape François, le 10 octobre 2021, du Synode sur la synodalité, cath.ch a sondé les diocèses romands sur leur manière d’entamer cette «marche ensemble». Petit tour d’horizon de la mise en route d’un processus qui va durer deux ans.