Extraterrestres et foi chrétienne: une religion vraiment universelle?
Un nombre croissant de scientifiques considèrent aujourd’hui comme hautement probable l’existence de civilisations extraterrestres. Si tel était le cas, quelles en seraient les implications pour la foi chrétienne? Petit exercice de théologie-fiction.
Christophe HERINCKX, journal DIMANCHE
Nathalie Cabrol est directrice scientifique du Seti institute qui, depuis la Californie, pointe d’immenses radiotéléscopes vers l’espace, à la recherche de signaux technologiques d’intelligence extraterrestre. Dans son livre A l’aube de nouveaux horizons, paru le 6 janvier dernier, l’astrobiologiste affirme: «Avec un minimum de 300 millions de planètes potentiellement habitables situées dans notre galaxie, penser que nous sommes seuls dans cet océan cosmique est une absurdité statistique. Compte tenu des statistiques, il est non seulement probable que des civilisations extraterrestres existent, mais aussi qu’elles soient très nombreuses et sûrement très diverses.»
«Penser que nous sommes seuls dans l’univers est une absurdité statistique»
Nathalie Cabrol
Interviewée par le journal belge La Libre, Nathalie Cabrol ne croit pas à la théorie de la «Terre rare», selon laquelle »il faut énormément d’accidents et de hasard pour amener à la vie telle qu’on la connaît». Une conception qui a longtemps prévalu en astrophysique. Pour la scientifique, »les hasards ont modelé l’évolution pour amener à ce que nous sommes, mais cela ne fait pas grand-chose dans la possibilité de la vie sur une planète». Car »les éléments qui composent notre vie (la biochimie basée sur l’eau, le carbone etc.) sont des éléments extrêmement communs.
Ces éléments sont produits par les étoiles de type solaire depuis dix milliards d’années, notre soleil étant apparu il y a cinq milliards d’années. Cela voudrait dire «qu’il y a déjà la possibilité pour une ou deux générations de civilisations extraterrestres, même avant nous, dans la galaxie. Même par accident, les modèles les plus conservateurs disent qu’il y a la possibilité d’une douzaine de civilisations avancées dans notre galaxie. Et des galaxies, il y en a 125 milliards!», souligne la directrice du Seti.
Rencontre interreligeuse du troisième type
Voilà pour ces quelques arguments, rapidement évoqués, issus de cette science interdisciplinaire récente qu’est l’exobiologie ou l’astrobiologie. Même si elle progresse très rapidement, notre technologie terrestre ne nous permettra sans doute pas, dans un avenir proche, de confirmer l’éventuelle existence de civilisations extraterrestres. Néanmoins, tentons une petite approche de théologie-fiction: si les humains devaient effectivement rencontrer des êtres intelligents, conscients, spirituels, vivant ailleurs dans l’univers, qu’est-ce que cela impliquerait pour la foi chrétienne?
Imaginons que cette rencontre se passe bien, et que des ambassades soient envoyées de part et d’autre pour développer les contacts. Dans la délégation terrestre, il y auraient bien sûr des représentants politiques, mais aussi des scientifiques, des anthropologues, des philsosophes, des artistes et des responsables religieux, parmi lesquels, bien sûr, des chrétiens. Ayant surmonté l’obstacle de la communication et de la compréhension mutuelles (au prix d’un gros travail préalable de traduction), quelles questions ces délégués chrétiens – des évêques, des maîtres en spiritualité, des théologiens – poseraient-ils à leurs interlocuteurs venus d’une autre planète? Un beau dialogue interreligieux en perspective!
Questions extravagantes
Une première série de questions pourrait concerner leur appréhension de la vie: quel est le sens de l’existence? Peut-être auraient-ils trouvé des réponses à cette question? Peut-être leur supériorité scientifique et technologique, leur compréhension beaucoup plus avancée de l’univers et de la vie aurait-elle favorisé, chez eux, une réelle sagesse? Peut-être vivraient-ils en paix, et en harmonie avec l’univers? Et qu’en serait-il de la question de Dieu? Auraient-ils une forme de connaissance, peut-être bien plus développée que la nôtre, d’un Mystère ultime, et une forme de foi en une divinité? Peut-être vivraient-ils, davantage que nous, en communion avec cette Transcendance? Seraient-ils des mystiques?
«Le salut apporté par le Christ concernerait-il aussi des être extraterrestres?»
D’autres questions plus spécifiques se poseraient immanquablement aux chrétiens, en rapport avec le coeur de leur foi: dans quelle mesure ces êtres spirituels non humains seraient-ils concernés par »l’événement Jésus-Christ»? Sont-ils, eux aussi, sauvés par la mort et la résurrection du Christ? Est-il, pour eux aussi, le «seul médiateur entre Dieu et les hommes» (cf. 1 Tim 2,5)? Est-ce par lui, avec lui et en lui que, eux aussi, sont appelés à être divinisés? Au premier abord, ces interrogations pourraient sembler extravagantes
Comment imaginer sérieusement qu’une civilisation vieille peut-être de plusieurs milliards d’années aurait besoin de «passer» par Jésus pour entrer en relation avec «Dieu», alors qu’elle serait sans doute bien plus avancée que l’humanité en termes de spiritualité? Ne serait-ce pas faire preuve d’une incroyable arrogance anthropo-christo-centrique?
Un dessein universel
A vrai dire, ces questions ne seraient pas nouvelles, car elles se sont posées, certes sous une autre forme, dès les premières années du christianisme. Alors que la foi chrétienne commençait à se répandre en dehors de Jérusalem et de la Judée, les chrétiens, issus du judaïsme, ont été confrontés à l’arrivée de croyants issus du monde païen. Devaient-ils se convertir au judaïsme pour pouvoir être baptisés?
Saint Paul a clairement répondu «non» à cette question, en expliquant: le mystère révélé dans le Christ, c’est que «les païens sont admis au même héritage, membres du même corps, associés à la même promesse, en Jésus Christ, par le moyen de l’Evangile” (Ep 3,6). Autrement dit, pas besoin de passer par la circoncision, ce serait une régression.. La révélation ultime de Dieu et le salut sont accomplis en Jésus Christ, non seulement pour les Juifs, mais pour toutes les nations. Y compris, par conséquent, pour celles qui appartiendraient à des civilisations bien plus développées que la société juive, à certains égards, comme l’était la civilisation gréco-romaine au début de l’ère chrétienne.
Bien des siècles plus tard, une question similaire a été rencontrée: les peuples découverts par les Européens en Amérique et ailleurs étaient-ils concernés par la révélation chrétienne? La réponse fut affirmative, et des missionnaires furent envoyés pour leur annoncer l’Evangile, dans le contexte colonial et esclavagiste qu’on sait… Bref, selon le projet de Dieu, tous les peuples de l’humanité sont destinés à recevoir le salut en Jésus Christ, quelles que soient leur culture, leurs connaissances, leur spiritualité et même leur religion. Bien plus, la création tout entière, l’univers entier, tel qu’il s’ouvre progressivement à notre connaissance, est appelé à être transfiguré dans la résurrection du Christ.
«Selon la foi chrétienne, la résurrection de Jésus concerne le cosmos tout entier»
Il n’y a donc aucune objection fondamentale à considérer que d’autres créatures conscientes que nous soient également appelées à entrer dans ce dessein universel de Dieu, bien au contraire. Par rapport à la situation actuelle, où l’Evangile est répandu sur l’ensemble du globe, il n’y aurait en somme qu’une différence d’échelle.
Portée cosmique de l’Incarnation
Une autre objection adressée au christianisme pourrait recevoir une réponse similaire: n’est-il pas déraisonnable de penser, comme l’affirme la foi chrétienne, que la destinée spirituelle de l’humanité dépende tout entière d’un événement ponctuel, d’un message unique, situé en un point déterminé de l’espace et du temps, surgi, qui plus est, au sein d’un peuple insignifiant? A l’échelle de l’univers comprenant 125 millards de galaxies comptant chacune 400 milliards d’étoiles, le paradoxe semble encore plus vertigineux.
Or, ce qui est en jeu dans cet événement unique, c’est la révélation du Mystère ultime de l’univers, qui s’est fait chair, être spirituel identique à n’importe quel autre être spirituel, vivant forcément en un lieu et un temps déterminé. A l’échelle de l’univers, l’humilité de Dieu manifestée dans l’Incarnation de son Fils, qui »porte l’univers par la puissance de sa parole” (He 1,3) n’en ressort qu’avec plus de force.
Quant à sa mort sur la croix et sa résurrection, qui se produisent une seule fois dans l’histoire du cosmos, elles embrassent ce cosmos tout entier, et tous ceux qui l’habitent.
Et si…
Et si, parmi les peuples des étoiles, il existait quelques sages qui, depuis des millions d’années, scrutent l’espace à la recherche de cette étoile unique qui annonce la naissance de Dieu? Un jour, l’un d’entre eux voit apparaître l’étoile, née dans un coin périphérique de la galaxie. Cette étoile, c’est notre soleil. Avec d’autres sages et un équipage, il embarque dans un vaisseau spatial. Arrivés sur Terre, les sages vont trouver le chef d’Etat le plus puissant de la planète et lui demandent: «Où est le Dieu qui vient de naître?« (cath.ch/dimanche/mp)
Sommes-nous seuls dans l’univers?
Cette question taraude l’humanité depuis qu’elle a découvert que le cosmos ne se limite pas à notre terre plate, et qu’il existe d’autres soleils que le nôtre… Dans un livre paru en janvier dernier, Nathalie Cabrol fait le point sur cette question.
Née à Bagneux en 1963, l’astrobiologiste dirige des projets de recherche pour la NASA depuis 1998, et a été nommée directrice scientifique du Centre de recherche Carl Sagan de l’Institut SETI (Search for Extraterrestrial Intelligence – Recherche d’intelligence extraterrestre) en 2015.
Dans A l’aube de nouveaux horizons, elle aborde tour à tour l’exploration de notre système solaire, la recherche des exoplanètes, celle des signaux extraterrestres et les types de civilisations ou vies qu’on espère y trouver. L’astrobiologiste nous invite à participer à cette odyssée extraordinaire que nous vivons actuellement, et dont les images du télescope James-Webb ne sont qu’un infime reflet.
Dans un langage clair et didactique, elle partage son enthousiasme devant l’ampleur de certaines découvertes, à la manière de Poussières d’étoiles de Hubert Reeves. De Titan à la planète 55-Cancer-e, de l’équation de Drake au paradoxe de Fermi, des typologies de niveaux de civilisations extraterrestres à la théorie de Gaïa, c’est un univers fascinant qui s’ouvre à nous.
Une invitation au voyage d’un nouveau genre, à la recherche d’une vie ailleurs dans l’Univers dont »l’absence de preuves n’est pas la preuve de l’absence«, selon les mots de Carl Sagan.
Nathalie Cabrol: »A l’aube de nouveaux horizons», Editions du Seuil, 2023, 352 pages.