Exposition: à Estavayer-le-Lac, le sacré se fait insaisissable
Qu’est-ce que le sacré? Comment le perçoit-on? Quelles formes prend-il autour de nous? Autant de questions posées par Sandrine Devaud et Stéphane Cusin, à partir d’une série de collages et de photographies, à l’occasion d’une exposition faisant partie de ‘l’itinéraire des crèches’ à Estavayer-le-Lac (FR).
Le cimetière juif de Tanger, au Maroc. Un encombrement de dizaines de sarcophages de pierres, tous semblables. La photographie de Stéphane Cusin est le témoin muet mais terrible de la persécution subie par cette communauté en 1912. Mais que vient faire cette image un brin morbide dans ‘l’itinéraire des crèches’ d’Estavayer-le-Lac, où l’on vient plutôt s’émerveiller autour du thème de la naissance? L’exposition sobrement intitulée «sacré» veut justement susciter ce genre de réflexion. Car le «sacré» présenté dans la galerie BiseArt interroge, étant à la fois où on l’attend et où on ne l’attend pas.
Un champ infini de possibles
Arrangements d’orbes, de personnages, de croissants (islamiques?), d’anges à ailes de papillons et de monuments religieux, les collages de Sandrine Devaud donnent au sacré une dimension surréaliste. «Pour moi, le sacré a un sens très large, explique l’artiste à cath.ch. C’est la sensation de ce quelque chose qui nous dépasse, qui est plus grand que nous et auquel nous n’arrivons pas à donner un nom.»
Pour Sandrine Devaud, le sacré est un espace où «tout est relié par des liens invisibles». Nature, relations humaines, architecture, musique… c’est sur la base de ce «Beau» que se déploie son processus créatif. «Par ces collages, je transmets la façon dont je ressens ce sacré. C’est un art qui permet de détourner le sens premier des images, de retransformer les choses, d’ouvrir un champ infini de possibles.»
Pause et instantané
Une vision qui rejoint en grande partie celle de Stéphane Cusin, son partenaire d’exposition. Le photographe a demandé à son amie artiste de l’accompagner dans cette aventure sur une impulsion de Béatrice Bise, propriétaire de la galerie BiseArt, qui fait partie de ‘l’itinéraire des crèches’. «Elle savait que le sacré était un de mes sujets favoris, elle a donc pensé qu’un exposition sur ce thème collerait avec la traditionnelle manifestation de Noël», indique Stéphane Cusin. Pour ce faire, le Broyard a sélectionné une trentaine de photos «les plus inspirantes concernant le sacré», pour les «mettre en dialogue» dans les deux salles staviacoises.
L’ensemble est éclectique, car l’artiste a un champ d’intérêt très large. Il peut passer une journée entière avec son appareil près d’un arbre ou d’une église, prenant des centaines de clichés, afin de saisir pleinement l’essence de son sujet. Mais il peut aussi saisir une scène fugace, sur une intuition soudaine, dans un endroit public.
Son art se décline en deux modes: ‘l’instantané’ et la ‘pause’. L’instantané, avec ces religieuses qui regardent leur portable sur la place St-Pierre, au Vatican. Pause, avec les branches de ce mémorable séquoia qui trône au centre du village du photographe. Pause encore, avec ces vues majestueuses de l’intérieur de l’abbatiale de Payerne, qui invitent à la contemplation et à la méditation.
A la recherche des «phares»
Le religieux est très présent dans l’œuvre de Stéphane Cusin. Né dans une famille protestante de la Broye, il est, dans sa jeunesse, en permanence en contact avec le monde catholique, dans cette région où les confessions se côtoient si étroitement. Son objectif est ainsi tout autant attiré par la sobriété protestante que par le foisonnement catholique. Les somptueux clichés de l’abbatiale de Payerne font donc face, dans l’exposition, à des portraits de statues de la cathédrale de Soleure.
Arbre, église, rencontre, le sacré va également chez Stéphane Cusin, bien au-delà du religieux. «C’est un tout.» Dans les espaces qu’il aime parcourir, le photographe est toujours à la recherche du «Phare». Dans la nature, cela peut-être un arbre, un bord de mer, ou une ligne d’horizon. Dans les villes, une cathédrale, un monument ou… un cimetière. A côté de celui de Tanger, il a ainsi placé deux autres lieux de sépulture, à La Paz (Bolivie) et à Fès (Maroc). Trois photographies, trois religions, trois ambiances différentes qui entrent en dialogue pour interroger la perception de la mort dans différentes cultures.
Le sacré en nous
Une thématique qui interpelle puisque près de 200 personnes ont arpenté l’exposition depuis son vernissage, le 30 novembre dernier. Cinq classes de la région l’ont déjà visitée. «Et les réactions sont nombreuses», assure Stéphane Cusin. Des discussions profondes s’engagent avec les visiteurs ou avec les étudiants. «J’ai demandé à une classe d’adolescents ce que signifiait le terme ‘sacré’. Grand silence. Je leur ai demandé alors si la table qu’il voyait était ‘sacrée’. Ils m’ont répondu: ‘bien sûr que non, c’est une table’. Je leur ai rétorqué: ‘Mais si cette table a été faite par votre grand-père qui était ébéniste, que cela lui a permis de gagner sa vie…?’ Réponse: ‘Alors ce qui est sacré, c’est ce qui est rare, ce qui a de la valeur pour nous?’. Et c’était une bonne piste, je pense: oui, le sacré est tout autour de nous, mais c’est peut-être en regardant en nous que l’on peut réellement découvrir ce qu’il est.» (cath.ch/rz)
Exposition «sacré», de Sandrine Devaud et Stéphane Cusin, jusqu’au 22 décembre 2024 à la galerie BiseArt, à Estavayer-le-Lac.
Née en 1971, Sandrine Devaud vit et travaille à Fribourg, où elle ouvre en 2015 ‘la parenthèse créatrice’, un espace de création, de réflexion et de transformation. Si elle explore régulièrement de nouvelles techniques, le collage, le dessin et l’écriture restent ses moyens d’expression privilégiés.
Passionné de jazz, de photographie et d’écriture, Stéphane Cusin se décrit comme un «chercheur d’or et réalisateur de projets». Ses œuvres sont inspirées par des thèmes tels que le sacré, la musique, les paysages et l’architecture. En 2023, il inaugure ‘la petite dépendance’, son espace d’exposition. En août de la même année, un photo-reportage sur le musicien Leonard Cohen à Montréal donne naissance à Lettres à Léonard Cohen – Road Trip à Montréal, un projet littéraire en cours.