Les membres de la Conférence des évêques suisses et les évêques émérites reçus par le pape François en 2018 | © CES Jean-Claude Gadmer
Dossier

Evêques suisses sous enquête pour dissimulation d’abus

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La Conférence des évêques suisses a confirmé le 10 septembre l’ouverture d’enquêtes ecclésiastiques préliminaires contre plusieurs évêques suisses émérites ou en exercice sur des soupçons d’abus et de dissimulation d’abus sexuels. Mgr Joseph Bonnemain, évêque de Coire, a été désigné comme directeur de l’enquête.

Dans une lettre datée de fin mai 2023 adressée au nonce apostolique en Suisse, Mgr Martin Krebs, des allégations ont été formulées à l’encontre de plusieurs membres émérites et en exercice de la Conférence des évêques suisses (CES) ainsi que d’autres membres du clergé dans la gestion de cas d’abus sexuels. À certains d’entre eux, il est reproché d’avoir eux-mêmes commis des abus sexuels par le passé, indique le communiqué de la CES.

Mgr Bonnemain nommé directeur d’enquête

Le président de la Conférence des évêques, Mgr Felix Gmür, a également pris connaissance de la lettre. Il s’est immédiatement assuré auprès du nonce que celle-ci avait déjà été transmise à l’autorité compétente pour de telles accusations à Rome – le Dicastère pour les évêques. Ce que le nonce a confirmé, poursuit le communiqué.
Le 23 juin 2023, le dicastère a ordonné une enquête ecclésiastique préliminaire sur cette affaire et a désigné l’évêque Joseph Bonnemain comme directeur de l’enquête. De 1989 à 2021, il a été l’official de l’évêché de Coire, chargé de diriger ce type d’enquêtes et de procédures pénales. L’enquête préliminaire de Mgr Bonnemain est en cours, elle devrait être terminée à la fin de l’année.

Dissimulations d’abus

L’objet principal de cette enquête ecclésiastique préliminaire est l’accusation de dissimulation de cas d’abus. Les enquêtes sur des délits sexuels présumés relèvent en premier lieu de la compétence de la police et du ministère public. Les directives de la CES obligent les responsables à signaler au ministère public les cas de suspicion de délit sexuel sur mineurs – en concertation avec la personne concernée. Les ministères publics compétents ont été informés des cas mentionnés dans la lettre.

Puisqu’il s’agit d’une procédure en cours, la CES ne donne pas d’informations supplémentaires.

Accusations auprès du nonce apostolique

Les accusations ont été publiées par le SonntagsBlick. Elles ont été soulevées par l’abbé Nicolas Betticher, ancien vicaire général du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, et juge au tribunal ecclésiastique interdiocésain, dans une lettre adressée au nonce apostolique Martin Krebs en mai 2023.

Le SonntagsBlick a obtenu la lettre de Nicolas Betticher. De graves reproches y sont formulés. Un membre actif de la Conférence des évêques suisses et trois prêtres du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF) sont accusés d’avoir harcelé sexuellement des jeunes.

A cela s’ajoutent des accusations de dissimulation. Selon le Sonntagsblick, celles-ci visent Mgr Jean-Marie Lovey. L’évêque de Sion n’aurait pas entrepris de démarches pour élucider un cas d’abus signalé. Mgr Charles Morerod, évêque de LGF est lui aussi confronté à des accusations. Il aurait eu connaissance d’un cas d’abus en 2011. Au lieu d’intervenir, il aurait ensuite promu le prêtre. Son auxiliaire, Mgr Alain de Raemy,aurait également été au courant de ce cas. (Ce cas a fait l’objet d’une enquête indépendante commanditée par Mgr Morerod NDLR)

Par ailleurs, des accusations de dissimulation pèsent également sur Mgr Pierre Bürcher, ancien évêque auxiliaire de LGF, avant d’être évêque de Reykjavik (Islande) et administrateur apostolique à Coire. Selon le SonntagsBlick, ce dernier nie les accusations et menace le journal d’une plainte pour diffamation.

Mgr Jean-Claude Périsset, évêque et ancien diplomate du Vatican, est également accusé de dissimulation. Il est accusé d’avoir fait transférer un abuseur en France à la fin des années 1980, alors qu’il était official du diocèse de LGF (dans l’affaire Joël Allaz documentée par une enquête spécifique en 2018 NDLR). Face au SonntagsBlick, Mgr Périsset a nié les accusations, en affirmant que le droit canonique était différent à l’époque.

Dans une interview accordée au SonntagsBlick, Mgr Bonnemain affirme qu’il n’est pas partial, mais qu’il s’efforce de «découvrir la vérité de manière complète et précise». «Nous devons tout mettre en lumière. Il faut mettre fin à la dissimulation. C’est une contribution supplémentaire pour que notre Eglise puisse devenir plus honnête».

Présentation de l’étude préliminaire sur l’histoire des abus dans l’Eglise en Suisse

Par ailleurs le rapport du projet pilote sur l’histoire des abus sexuels dans l’Eglise catholique en Suisse sera présenté le 12 septembre 2023 à Zurich. Ni la Conférence des évêques suisses ni le Sonntagsblick ne font de liens avec l’enquête préliminaire ordonnée par Rome. (cath.ch/com/mp)

Un signalement obligatoire depuis 2001
La CES explique qu’en 2019, à la suite du motu proprio du pape François Vos estis une loi ecclésiastique supplémentaire sur les infractions sexuelles commises par des membres du clergé ou des religieux à l’encontre de personnes de moins de 18 ans et de personnes vulnérables est entrée en vigueur, obligeant à signaler immédiatement à l’évêque compétent tout soupçon de dissimulation. Celui-ci est à son tour tenu d’informer immédiatement l’autorité vaticane compétente. En plus, cette loi stipule que le fait d’entraver et influencer les enquêtes ou les poursuites pénales (canoniques et étatiques) est un délit qui doit être signalé et qui – en fonction du résultat de la procédure pénale ecclésiastique – est également sanctionné.
Lors d’un tel signalement, le dicastère confie généralement à un évêque local l’enquête ecclésiastique préliminaire. L’objectif de ces enquêtes ecclésiastiques est de déterminer s’il existe suffisamment d’éléments pour engager des procédures pénales ou disciplinaires au sein de l’Église. À l’issue de l’enquête préliminaire, le rapport d’enquête et les dossiers sont transmis au dicastère pour les évêques. Le dicastère décide de la marche à suivre. MP

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Les membres de la Conférence des évêques suisses et les évêques émérites reçus par le pape François en 2018 | © CES Jean-Claude Gadmer
10 septembre 2023 | 09:59
par Maurice Page

Le rapport du projet pilote sur l’histoire des abus sexuels dans l’Eglise suisse a permis de dénombrer, entre 1950 et 2022, 1’002 cas d’abus sexuels sur 921 victimes pour 510 auteurs. Selon les historiens, il ne pourrait s’agir là que de la partie émergée de l’iceberg. La faillite de l’institution et les négligences des évêques dans la gestion des abus sont pointées du doigt.

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