Les évêques de Madagascar dénoncent l'incurie du pays
Dans un message publié à l’occasion du 56e anniversaire de l’indépendance du pays, les évêques catholiques de. Madagascar s’inquiètent de l’instabilité chronique qui continue de paralyser le développement de leur île. Ils dénoncent «des dirigeants qui restent les bras croisés» face aux défis politiques, économiques et sociaux.
«Donnez-nous des bergers dignes de confiance» tel est l’appel lancé le 12 août 2016 par la conférence les évêques (CEM) à l’issue d’une réunion extraordinaire. «Comme le prophète Ezéchiel, nous sommes ‘pris de pitié pour le peuple’, lequel ressemble à ‘des brebis sans berger’, à cause de la succession jusqu’à aujourd’hui des régimes qui n’ont pas su tirer les leçons des dérives commises dans le passé et qui a été à l’origine de nos malheurs», notent les évêques. En pleine célébration du 56e anniversaire de l’ indépendance, ils redisent encore une fois que «le patriotisme, la liberté et le progrès» sont les devises adoptées depuis l’origine.
Lueur d’espoir
Pour les évêques malgaches, «l’espoir n’est pas totalement perdu, car durant ces trois années où nous avons enduré les séquelles de la crise précédente, nous avons su revivre la sagesse malgache: la tolérance, la solidarité et le ‘fihavanana’. (…) Le pays a retrouvé progressivement la confiance de la communauté internationale. La preuve est qu’on a pu obtenir une partie des crédits sollicités pour faire fonctionner la vie sociale.»
Les dirigeants restent les bras croisés
Cet espoir n’empêche cependant pas un constat sévère. «Madagascar est malade; certains osent même dire qu’il est en train d’agoniser. La vie de la Nation s’enfonce peu à peu dans la boue; les dirigeants restent les bras croisés devant cela. Un régime inefficace, des promesses fallacieuses mêlées de mensonges et laissant la porte ouverte à la violence ! Les valeurs malgaches sont détruites. La vie et la dignité humaine ne sont plus respectées; les pauvres ne sont pas protégés; on laisse les jeunes mener une vie anarchique (…) les habitants d’un même quartier se méfient entre eux et même les membres d’une famille se déchirent.»
Les prélats malgaches dénoncent aussi la confusion sur le plan spirituel. «On incite les croyants à s’entredéchirer, et en même temps on profite des cérémonies religieuses pour faire du discours politique, ce qui fait perdre la valeur de la prière».
L’Eglise catholique menacée
La protection de l’Eglise, de son personnel et de ses biens est une autre source d’inquiétude pour les évêques. «On regarde avec indifférence le vol des cloches qui se répand ça et là, suivi d’intimidations pouvant aller jusqu’à l’assassinat de ceux qui protègent les biens de l’Eglise. (…) Le vandalisme des statues saintes se trouvant au bord des chemins manifeste une persécution indirecte de l’Eglise catholique. On sait également qu’il y a des opérations de ramassage des Bibles entre les mains des croyants et on les achète cher afin d’éradiquer la foi chrétienne.»
«On complique l’obtention et on alourdit le coût des permis de séjour des missionnaires résidants à Madagascar. A cela s’ajoute la requête du permis de construire des lieux de culte qui se sont implantés depuis longtemps dans le but de perturber la foi chrétienne. La stratégie des extrémistes qui se cachent derrière une religion sensée apporter le salut commence à gagner du terrain.»
Désordre dans la vie politique et économique
Le constat des évêques malgaches se poursuit sur le désordre dans la vie politique et économique. «Les instances de contrôle qui devraient prévenir le détournement et les dérives n’exécutent pas leurs tâches ou subissent des intimidations, au point que l’anarchie règne totalement. La pauvreté s’enracine davantage tous les jours, alors qu’il n’existe pas d’orientations et de stratégies claires pour développer le pays. L’exploitation des richesses nationales (…) n’est plus maîtrisée. Tout le monde, y compris les dirigeants et le peuple, regarde avec indifférence les feux de brousse et la destruction de l’environnement.»
L’insécurité, la corruption, l’absence d’Etat de droit sont autant d’autres tares de la société malgache. «Le pays vit dans l’insécurité : celle-ci revêt plusieurs formes, tels les assassinats, les cambriolages, les attaques de villages, les kidnapping… Le bakchich et la corruption touchent totalement tous les secteurs de la vie sociale alors que certains des hauts responsables et leur entourage bénéficient d’une impunité. Le pouvoir et les autorités chargées d’appliquer la loi sont achetés pour faire subir des injustices aux gens et s’approprier illégalement des terrains d’autrui.» «Le bien commun de la nation est bafoué à l’heure actuelle. L’amour effréné de l’argent en est la cause, si bien que la vie sociale est devenue une véritable anarchie. Le peuple est excédé», déplorent les évêques.
Servir et non pas se servir
Pour les prélats malgaches, l’Eglise n’a cependant pas à proposer un modèle pour l’organisation de la vie politique et la gestion du pays. «Sa mission est d’enseigner, de sensibiliser les personnes pour qu’elles se soucient toujours du bien commun et considèrent les responsabilités exercées comme un service à la nation et jamais comme un instrument d’enrichissement personnel.»
«Nous cherchons tous des solutions. Nombreux sont ceux qui ont pris conscience qu’il faut changer la manière de gérer les affaires nationales. Des groupements de partis, de syndicats et des composantes de la société civile réunis autour de plateformes s’autoproclamant ‘opposition’ voient le jour ici et là. (…) Il y en a parmi eux qui instrumentalisent le message de l’Eglise et de Justice et Paix pour renforcer leurs idées et s’auto-justifier. De grâce, nous vous supplions de ne pas faire de la récupération.» La démagogie et le discours bien argumenté ne suffisent pas pour redresser la nation, insistent les évêques. Cela requiert un changement de mentalité, et une nouvelle culture animée d’un patriotisme et d’un sens aigu des responsabilités.
Ne pas baisser les bras
Les évêques retiennent quelques solutions durables: rappeler que le pouvoir est un service à la nation; rétablir une collaboration sérieuse entre l’Etat et les Eglises pour faire régner la justice; éduquer les citoyens aux valeurs fondamentales, tels l’honnêteté, le dévouement, la charité, la dignité humaine et le souci de l’intérêt général.
Le respect de la loi et la mise en place d’organes de contrôle doivent permettre de s’acheminer progressivement vers une alternance démocratique sans heurt.»Nous encourageons tout le peuple pour qu’il ne baisse pas les bras, mais qu’au contraire il reste solidaire et qu’il n’accepte pas d’être manipulé pour provoquer des troubles et conquérir le pouvoir», concluent les évêques malgaches. (cath.ch-apic/com/mp)