Cyrille Jacquot, lors de son élection en 2020, avec Mgr Dominique Rey | DR
Suisse

Eucharistein: Cyrille Jacquot annonce une «profonde restructuration»

Le rapport de l’enquête canonique, qui s’est déroulée à la Fraternité Eucharistein en 2021, pointe des manquements en termes de gouvernance, de formation et de suivi de la communauté, de la part de Mgr Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon. Cyrille Jacquot, l’actuel modérateur de la Fraternité présente en Valais, annonce des mesures pour remédier à ces déficiences.

La suspension des ordinations dans le diocèse de Fréjus-Toulon, décidée par le Saint-Siège, a été confirmée le 2 juin dernier par l’évêque, Mgr Dominique Rey. L’accueil sans véritable discernement et sans suivi sérieux, à Toulon, de communautés nouvelles et de jeunes venant de diocèses extérieurs a déjà été régulièrement pointé du doigt.

Une enquête du quotidien La Croix cite, entre plusieurs exemples, le rapport de la visite canonique qu’a reçue la Fraternité Eucharistein en 2021. Le document pointe divers manquements de gouvernance, de formation et de suivi de la communauté par son évêque de tutelle – la fraternité a été accueillie dans le diocèse par Mgr Dominique Rey. cath.ch a interpelé Cyrille Jacquot l’actuel modérateur de la Fraternité à ce sujet.

Train de mesures

Cyrille Jacquot confirme à cath.ch la teneur du rapport et détaille un train de mesures décidées entre fin 2021 et début 2022, de formations et d’accompagnement de la communauté. Il a également transmis le courrier adressé aux proches et aux parents des membres de la Fraternité, suite à la publication d’articles dans les médias, pour clarifier la situation. «Nous avons entamé une profonde restructuration», résume-t-il.

«Nous avons été soulagés de recevoir ce rapport sur les dysfonctionnements de la Fraternité, nous l’avons accueilli avec joie», assure le Frère Cyrille Jacquot. Modérateur de la Fraternité Eucharistein, depuis 2020, il évoque la synthèse de 13 pages qui fait suite à la visite canonique de deux mois, qui s’est déroulée en 2021 dans les trois maisons de la Fraternité, à Château-Rima et Saint-Jeoire, en France, ainsi qu’à Epinassey, en Valais.

Menés par le dominicain Gilbert Narcisse et la laïque consacrée Mari Carmen Avila, de Regnum Christi (société de vie apostolique liée aux Légionnaires du Christ), les entretiens passés avec chacun des membres de la communauté ont débouché sur un rapport qui dénonce «un système pyramidal, abusif, infantilisant et qui a annulé les personnes dans leur diverses dimensions de leur être, en particulier leur psychologie».

Un courrier pour les proches

Dans un courrier envoyé aux proches et aux parents des frères et sœurs de la communauté, qui fait suite aux différents articles parus dans la presse, Cyrille Jacquot précise: «En conduisant leur visite, les Visiteurs ont constaté notamment: un manque de place pour l’intimité de chaque membre, le concept de vie communautaire est trop fort: ‘tout faire tous ensemble’. Un manque d’espace physique et psychique. Un manque de subsidiarité et de formation à la responsabilité: ‘les membres ont peu d’autonomie pour gérer leurs responsabilités’».

Les conclusions du rapport mentionnent aussi «Une formation humaine et spirituelle trop pauvre: «les thèmes qui semblent être prioritaires sont: l’anthropologie chrétienne (philosophique et théologique), la vie spirituelle, la vie consacrée, le discernement personnel et communautaire, la formation humaine et affective, la connaissance de soi». Il est encore précis dans le courrier: «Une relation à l’autorité faussée: «Une autorité toute puissante… qui faisait perdre une juste autonomie, peur des supérieurs et conséquente infantilisation des membres»».

Fonctionnement à revoir

Les rapporteurs pointent la responsabilité du fondateur de la Fraternité Eucharistein, le Père Nicolas Buttet, mais aussi le manque de suivi de l’évêque de Fréjus-Toulon, Mgr Dominique Rey.

«Le rapport mentionne le beau charisme de la communauté, ajoute Cyrille Jacquot, mais il y a beaucoup à revoir dans notre fonctionnement». Il confirme l’aspect pyramidal évoqué dans le rapport. «Il n’y avait pas de collégialité dans les décisions. La vision de l’obéissance n’était pas juste et faisait plus penser à celle d’une communauté religieuse des années 1950. On peut parler d’autoritarisme.» La vie religieuse de la communauté s’est, selon lui, passée «dans une vision de l’obéissance très idéalisée».

«Mais il n’y a pas que la question de l’autorité qui est en jeu», tempère le Frère Jacquot, qui a été supérieur de la maison d’Epinassey de 2015 à 2020. «Dans l’enthousiasme de la création de la communauté, nous avons fonctionné en surrégime. On brûlait de désir pour l’amour du Christ, on était prêts à tout donner. Il y a eu un excès d’engagement et un aveuglement».

«Nous nous sommes oubliés»

Les membres de la communauté travaillent sans compter, ne prennent pas de vacances, ne se reposent pas. Il n’y a pas de retraite spirituelle individuelle: elles se déroulent en communauté. Entre les personnes en difficulté accueillies dans la communauté, la maison à faire tourner, et les travaux agricoles, «nous nous sommes oubliés», concède Cyrille Jacquot. Le modérateur mentionne la visite canonique de 2016 dont le rapport s’étonne «du manque de regard critique sur le fonctionnement de la communauté» par ses membres.

Quand il est élu modérateur de la Fraternité en septembre 2020, le constat est sans appel: certains membres de la fraternité sont épuisés, en grande souffrance psychologique. «Actuellement, sur la quarantaine de membres de la communauté, huit frères et sœurs en situation de burnout, ou en dépression, sont en convalescence à l’extérieur de la communauté. Trois ou quatre sont en questionnement sur la suite de leur engagement», indique le modérateur. «J’ai demandé une visite canonique à Mgr Rey qui a accueilli aussitôt ma demande, mais les circonstances sanitaires ont retardé son démarrage».

Formation à la gouvernance

En ce sens, la pandémie a été salutaire. «L’arrêt forcé des activités nous a permis de prendre du recul et la visite canonique a permis à tous de s’exprimer librement».

«Nous n’avons pas attendu la fin de la visite pour prendre des mesures», poursuit Cyrille Jacquot, bien décidé à aller de l’avant. Il a commencé, avec l’un des supérieurs des maisons de la Fraternité à suivre une formation en gouvernance avec l’équipe de Talenthéo dès octobre 2021, à Paris. «Il s’agit d’une formation spécialisée en gouvernance dans les ordres religieux», détaille-t-il. Les sessions se poursuivront jusqu’en 2023.

Le modérateur de la Fraternité annonce également la nomination et la formation d’un maître des novices. Un frère prêtre de la communauté va se former dans ce but. «Jusque-là, le noviciat restera fermé». En 2023, la communauté va recevoir une formation à la vie spirituelle et à la vie religieuse durant un an, à raison d’une semaine par mois dans la maison de Saint-Jeoire. La communauté va accueillir en effet des jésuites, des dominicains et des laïcs. «Pour l’aspect relationnel, la communication et le rapport à l’autorité, nous avons fait appel à une équipe de Talenthéo».

Suivi de la communauté

Deux conseillers, le Père Benoît-Dominique de la Soujeole OP et Marie Carmen Avila, vont suivre la communauté pendant un an. «Ils ont commencé leur mission dès ce mois de juin». Le modérateur promet de revoir le rythme des journées de travail et des vacances en dehors de la communauté.

Le rapport de la visite canonique mentionne également «l’absence de suivi plus fréquent et plus lucide de la part de l’évêché» de la Fraternité, de la part de l’évêque du diocèse de Fréjus-Toulon. L’évêque s’y est engagé lorsqu’il est venu visiter la communauté fin 2021.

«Nous avons eu plusieurs contacts fraternels avec lui durant toutes ces années, détaille Cyrille Jacquot. Il venait fréquemment à Château Rima. Nous n’avons effectivement pas été suffisamment coachés dans les premières années de fondation. Je pense qu’une des explications à cela, est que pendant longtemps Eucharistein donnait l’image d’une communauté saine, avec des frères et sœurs joyeux à l’apostolat fructueux. Je pense que nos autorités diocésaines, avec lesquelles nous avions de très bons contacts pouvaient difficilement soupçonner qu’une crise couvait», explique Cyrille Jacquot.

«L’évêque a pris conscience des difficultés traversées par les frères et sœurs et s’est engagé à les accompagner. Il a également écrit une lettre aux frères et aux sœurs de la communauté». Le modérateur se dit convaincu que Mgr Rey n’était pas conscient de ce qui se passait.

«En fait, nous nous institutionnalisons», résume Cyrille Jacquot. Il explique que c’est une étape obligée pour que la Fraternité perdure. «Il était temps de donner un cadre pour évoluer plus sereinement». (cath.ch/bh)

«Rendre grâce»
La Fraternité Eucharistein («Rendre grâce» en grec), fondée en 1996 par Nicolas Buttet, ex-député au Grand conseil valaisan, juriste et avocat de formation, propose une vie communautaire centrée sur l’adoration du Saint-Sacrement. La communauté accueille également des personnes en situation de détresse (addiction, drogue, dépression). Le 22 juin 2003, Mgr Rey, évêque de de Fréjus-Toulon, lui a accordé la reconnaissance canonique: Eucharistein est devenue une «association publique de fidèles». Le 3 mai 2008, Eucharistein a reçu officiellement de Mgr Rey l’approbation de ses nouvelles constitutions en vue de la reconnaissance définitive du statut de «Famille ecclésiale diocésaine de vie consacrée». BH

Cyrille Jacquot, lors de son élection en 2020, avec Mgr Dominique Rey | DR
27 juin 2022 | 17:54
par Bernard Hallet
Temps de lecture : env. 6  min.
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