Erwin Tanner: «Une critique objective de l'islam doit être possible»
Après le vote du peuple suisse, le 7 mars 2021, en faveur de l’initiative anti-burqa, Erwin Tanner rappelle qu’une critique objective de l’islam doit être possible. Pour le secrétaire de la Commission de dialogue avec les musulmans de la Conférence des évêques suisses, il reste cependant difficile d’évaluer l’impact de ce résultat.
Raphael Rauch, kath.ch / traduction adaptation Maurice Page
La Conférence des évêques suisses (CES), dans le cadre du Conseil des religions, s’était prononcée contre l’initiative sur la burqa. En tant que spécialiste de l’islam, comment jugez-vous ce résultat?
Erwin Tanner: Au sein du Conseil des religions, les dirigeants des communautés religieuses n’agissent pas sur instruction, mais donnent leur propre avis. La position du Conseil des religions n’a pas fait l’objet d’un vote au sein de la Conférence des évêques qui n’a pas publié elle-même de consigne de vote.
Néanmoins, vous n’avez pas dû être satisfait du résultat…
Dans l’environnement social actuel fortement sécularisé et dans une structure étatique religieusement distante, il est difficile, voire impossible, de gagner un vote avec des arguments religieux. D’autant plus que l’initiative ne concernait pas uniquement la couverture du visage pour des raisons religieuses – même si la burqa ou le nikab étaient au centre des débats. Voir l’initiative populaire acceptée ne m’a pas surpris.
«Si vous prenez la majorité des cantons, le résultat est tout sauf serré.»
Pourquoi pas?
51,2% de votes positifs s’opposent à 48,8% de votes négatifs. La moitié des votants ont voulu tirer le verrou. Cela ne se fera certainement pas sans un impact sur le dialogue avec les membres de l’islam. Mais je ne veux pas faire de prédiction hâtive – même si la société aimerait en avoir une.
Vous avez sans doute pourtant déjà analysé ce résultat?
Je veux d’abord étudier de plus près le résultat du vote et connaître les réactions en Suisse et à l’étranger, afin de déterminer les risques et les opportunités pour le dialogue islamo-chrétien et la coexistence avec les musulmans, puis évaluer la nécessité d’agir.
Comment expliquez-vous ce résultat serré ?
Si vous regardez la majorité populaire sur l’ensemble de la Suisse, alors oui le résultat est effectivement serré. Si, en revanche, on prend la majorité des cantons, le résultat est tout sauf serré: 20 cantons sur 26 sont favorables à l’initiative. Quoi qu’il en soit, l’électorat roule sur deux voies parallèles: Les opposants à l’initiative empruntent la voie de la liberté avec le droit de l’individu à ne pas devoir se rendre reconnaissable en public. Et les partisans de l’initiative sont sur la voie démocratique avec le devoir de l’individu de toujours se faire reconnaître comme faisant partie de la société.
«Toutes les critiques ne sont pas de la diffamation.»
L’islamophobie devient-elle socialement acceptable en Suisse?
Dans les débats publics sur l’islam, il n’est pas rare que la mode soit d’exprimer son indignation au lieu de contredire de manière argumentée l’opinion de l’adversaire. On attaque le fait même qu’il se permette d’avoir une telle opinion.
Avec la différenciation croissante au sein de la société, les idées et les modes de vie partagés par tous diminuent. Mais toute critique n’est pas une diffamation. Tant qu’elle est accompagnée de raison, de convenance et de respect, elle doit être autorisée. Sinon l’opinion triomphe sur la responsabilité.
«Nous ne dialoguons pas avec l’islam, mais avec les musulmans»
Au-delà du Conseil des religions, comment les évêques peuvent-ils maintenir le dialogue avec l’islam?
Nous ne dialoguons pas avec l’islam, c’est-à-dire avec un système de croyances, car il est muet. Nous menons le dialogue avec les musulmans. Il appartient à chaque évêque d’organiser le dialogue avec les membres de l’islam dans son diocèse. Au niveau de la Conférence des évêques, il existe une Commission pour le dialogue avec les musulmans. Elle organise des discussions avec des représentants des communautés musulmanes en Suisse et à l’étranger et publie des indications pastorales concises et faciles à comprendre pour un public plus large. (cath.ch/kath/rr/mp)
Erwin Tanner-Tiziani (54 ans) est Secrétaire général de la Conférence des évêques suisses (CES). Avocat et juriste ecclésiastique, il est secrétaire de la Commission pour le dialogue avec les musulmans. En 2020, il a publié un essai sur le droit islamique en suisse .