Hongrie: rapprochement entre le pape et Viktor Orban?
Le voyage du pape François en Hongrie, du 28 au 30 avril 2023, s’inscrit dans une dynamique de rapprochement entre la diplomatie pontificale et le gouvernement de Budapest, sur fond de guerre en Ukraine. Si le pape et Viktor Orbán ont longtemps semblé incarner des options radicalement opposées, notamment sur la question de l’accueil des migrants, de fortes convergences relient Rome et Budapest dans leur réponse à l’offensive russe en Ukraine.
«Quand je suis arrivé ici comme ambassadeur, on voyait la Hongrie et le Saint-Siège comme fortement opposés, notamment sur la question des migrants et des LGBT», reconnaît l’ambassadeur de Hongrie, Eduard Habsburg, arrivé à Rome en 2015, une année marquée par l’afflux massif de migrants dans les pays de l’Union européenne. Il considère toutefois que cette perception traduit une «vision erronée», et que l’actualité récente a montré la générosité de la Hongrie.
Depuis le début de l’offensive russe en Ukraine, l’accueil sur une année d’un million de réfugiés ukrainiens – soit 10% de la population de la Hongrie – a représenté un effort considérable pour ce pays. «Nous accueillons les réfugiés qui font une demande d’asile, mais pas les migrants illégaux qui arrivent sans passeport», précise Eduard Habsburg. «Lors de l’été 2015, il y avait 10’000 arrivées par jour, ce n’était pas acceptable. Il y a des lois, des règles, des accords qui doivent être respectés», insiste l’ambassadeur.
Changement d’attitude vis à vis de la Hongrie
En 2015, le pape avait alors critiqué «la violence qui consiste à élever des murs et des barrières pour bloquer ceux qui cherchent un lieu de paix». Le pontife, très attentif au respect des droits des migrants, pourrait expliquer à ses hôtes qu’il ne doit pas y avoir des «réfugiés de première classe» et d’autres «de seconde classe», comme il l’a récemment affirmé dans une interview. Néanmoins, la guerre en Ukraine a profondément transformé le regard porté par le pape sur la politique du gouvernement hongrois.
La guerre en Ukraine a donné lieu à un soutien humanitaire massif de la part de la Hongrie des autres pays de la région, mais le gouvernement hongrois s’est montré plus distant dans sa relation avec Kiev que ses voisins, surtout la Pologne, fortement engagée dans le soutien militaire à l’Ukraine.
Inversement, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán est le seul dirigeant de l’Union européenne à avoir adressé des signaux de proximité avec la Russie après le début de son offensive en Ukraine. Reçu par Vladimir Poutine au Kremlin peu avant le déclenchement de l’invasion en février 2022, il s’est aussi rendu à Moscou en septembre 2022, pour les obsèques du dernier dirigeant soviétique, Mikhaïl Gorbatchev. Si les autres pays européens lui reprochent de faire cavalier seul et notamment de freiner l’élargissement de l’OTAN à la Finlande et à la Suède, son positionnement à contre-courant s’avère relativement proche de celui du pape François, qui ne cesse de dénoncer le réarmement de l’Europe comme une étape vers une guerre de plus grande ampleur.
Promotion de la paix et soutien aux chrétiens orientaux
Alors qu’il recevra, la veille de son départ pour Budapest, le Premier ministre ukrainien Denys Shmyhal, le pape François a de nouveau exprimé sa position dans un tweet publié ce 24 avril: «Le recours aux armes pour résoudre les conflits est un signe de faiblesse et de fragilité. Négocier, faire de la médiation et engager la conciliation demande du courage». Si son pacifisme heurte de nombreux Ukrainiens et Polonais, il entre en convergence avec les positions de la Hongrie, très réservée quant au soutien apporté par l’Occident au gouvernement de Kiev.
Sur le plan ecclésial, la Hongrie est aussi un point de contact traditionnel avec l’orthodoxie russe. La présence à Budapest du métropolite Hilarion, ancien responsable des relations extérieures du patriarcat de Moscou et désormais métropolite de Hongrie, pourrait donner au pape des opportunités de dialogue, même si aucune rencontre en ce sens n’est inscrite à l’agenda officiel du voyage.
Le soutien aux chrétiens persécutés constitue également une priorité du gouvernement hongrois, très investi notamment dans le soutien aux chrétiens d’Irak. Alors que de nombreuses pressions internationales poussent les chrétiens orientaux à rejoindre l’Occident, la Hongrie, tant sur le plan gouvernemental qu’ecclésial, s’est engagée dans le soutien aux communautés locales afin d’encourager au maintien de la présence chrétienne sur place.
Après l’offensive de Daech dans la plaine de Ninive en 2014, l’Église de Hongrie a ainsi contribué à la reconstruction d’un village et de plusieurs écoles à Erbil, au Kurdistan irakien. Cette politique est appréciée par les patriarches orientaux, inquiets de voir leurs communautés se disperser vers l’Europe, le Canada, les États-Unis et l’Australie.
La défense de la famille, un axe incarné par la présidente
La thématique LGBT constitue également un point de convergence entre la Hongrie et le Vatican. «Nous protégeons nos enfants face à des idéologies. Il ne s’agit pas d’attaquer les personnes homosexuelles, mais de défendre la famille traditionnelle ›père, mère, enfants’», explique Eduard Habsburg.
Lors de sa première visite à Budapest en septembre 2021, le pape a redit que ce modèle «est la seule vraie famille», se souvient l’ambassadeur. «Nous sommes donc pleinement en accord avec lui. Il a des gestes de compassion pour des personnes qui ont une orientation homosexuelle, mais il dénonce clairement l’idéologie du gender», à travers sa critique des «colonisations idéologiques», explique Eduard Habsburg.
Cet axe de défense de la famille est notamment incarné par la présidente de la République Katalin Novák, élue en 2022, et ancienne ministre de la Famille du gouvernement Orbán. La présidente, dont les prérogatives constitutionnelles sont limitées, joue essentiellement un rôle de représentation internationale, incarnant un visage plus consensuel que le Premier ministre, connu pour son goût de la provocation.
Après son élection au printemps 2022, elle a réservé l’une de ses premières visites officielles à la Pologne, pays avec lequel la Hongrie est en plein accord sur les thématiques familiales, mais en divergence radicale sur la question du soutien à l’Ukraine. Reçue au Vatican le 25 août 2022, cette mère de trois enfants avait alors mis en avant les convergences entre Rome et Budapest sur la sauvegarde de la paix en Europe et sur la promotion de la famille.
«Notre gouvernement soutient les familles et la natalité, et le pape le sait», insiste Eduard Habsburg, lui-même père de six enfants et félicité à ce titre par le pape lors d’une audience aux ambassadeurs de l’Union européenne en 2017, lors de laquelle le pape s’était attristé du manque de naissances en Europe. Le pontife argentin, perçu comme ›progressiste’ mais inquiet de «l’hiver démographique» qui assombrit les perspectives d’avenir du Vieux continent, a trouvé dans ce pays ›conservateur’ d’Europe centrale un allié inattendu. (cath.ch/imedia/cd/cv)
Le voyage du pape François en Hongrie, du 28 au 30 avril prochains, constitue le troisième séjour officiel d’un pape dans ce pays d’Europe centrale.