Le XIXe siècle ne se préoccupait guère des besoins de l'enfant (photo Maurice Page)
Suisse

«Enfants à louer»: La mise aux enchères de pauvres dans le canton de Fribourg

Fribourg, 24 avril 2015 (Apic) Jusqu’en 1930, le canton de Fribourg a connu la pratique de la mise aux enchères à l’envers d’enfants pauvres ou «pouta misa» en patois. Pourquoi et comment cette manière de faire a-t-elle perdurée ? Telle est la question à laquelle tente de répondre un nouvel ouvrage historique sous le titre «Enfants à louer», présenté le 24 avril 2015 à la presse.

Dans un but d’assistance à des orphelins ou à des enfants de familles frappées par la misère, l’autorité communale les plaçait chez qui demandait le moins d’argent pour leur entretien, à l’issue de mises publiques où chacun pouvait faire valoir son offre, parfois à l’issue de la messe dominicale. Il faudra attendre 1928 pour que le Grand Conseil fribourgeois, dans sa nouvelle loi sur l’assistance et la bienfaisance, interdise cette pratique.

Ne pas confisquer la mémoire des victimes

La recherche autour de ces ‘enfants à louer’ a été menée par l’historienne Rebecca Crettaz à partir des sources d’archives de l’Etat et de huit communes fribourgeoises. Elle s’étale de 1811, date de la première loi sur l’assistance à 1928. «Nous avons volontairement choisi de rester dans le registre de l’histoire ‘froide’ basée sur les documents et de ne pas aborder ce phénomène sous l’angle de la mémoire des survivants», a expliqué le professeur Francis Python. L’étude «au ras des archives» permet d’avoir la distance nécessaire face à cet aspect sombre de l’histoire sociale. Le professeur n’a pas voulu non plus confisquer la mémoire des victimes.

L’ouvrage historique ne cherche pas à porter un jugement rétrospectif sur le passé, mais il permet de mettre en évidence quelques constantes pour cette période. Le peu d’intérêt pour le bien de l’enfant, la disponibilité d’une main-d’œuvre à bon marché et la pression à la baisse constante sur les dépenses consenties par les communes en faveur des pauvres.

Les besoins et les droits de l’enfant

La description des faits s’accompagne d’une mise en lumière des déterminants socio-économiques de l’époque et de l’évolution de l’assistance sociale sur plus d’un siècle. L’ouvrage met également en évidence les voix qui, telle celle du Père Grégoire Girard au début du XIXe siècle, prônent une prise en charge des enfants pauvres plus centrée sur leurs besoins propres que sur la force de travail qu’ils représentent. Le canton de Fribourg n’a pas l’exclusivité de ce genre de pratique que l’on retrouve un peu partout ailleurs en Suisse.

Si l’étude confirme et détaille la réalité des faits, il reste assez difficile d’en mesurer l’ampleur, admet Rebecca Crettaz. Seul un recoupement d’archives beaucoup plus complet permettrait de s’en approcher, mais les lacunes restent nombreuses. En outre pas mal d’éléments échappent à l’historien. Comment les enchères sont-elles menées ? Se font-elles publiquement ? En présence ou non des concernés ? Comment l’adjudication se fait-elle ? Quel rôle jouent les familles des enfants ? On sait par exemple qu’il arrive qu’ils soient recueillis par des oncles ou des cousins pour échapper à la ‘pouta misa’. Sans pour autant que leur sort soit forcément plus enviable.

Rester vigilants

L’ouvrage édité par la Société d’histoire du canton de Fribourg (SHCF) répond à l’invitation du Conseil d’Etat d’étudier davantage l’histoire des enfants placés, lancé en 2012. Le projet d’étude a bénéficié du soutien de l’Etat, de la Bourgeoisie de Fribourg et de la Fondation du Père Girard. Pour le conseiller d’Etat Erwin Jutzet, une meilleure connaissance de cette histoire revêt une importance particulière au moment où les victimes de placements forcés sont enfin sorties de l’ombre et attendent une reconnaissance de leur souffrance. Cet ouvrage «nous incite à rester vigilant et à nous interroger sur l’identité des enfants placés d’aujourd’hui. «, a souligné le conseiller d’Etat. (apic/mp)

Crettaz Rebecca, Python Francis, Enfants à louer – Orphelins et pauvres aux enchères, Société d’histoire du canton de Fribourg, 2015, ISBN 978-2-9700987-3-7

Le XIXe siècle ne se préoccupait guère des besoins de l'enfant (photo Maurice Page)
24 avril 2015 | 13:31
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 3  min.
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