En Suisse, les thérapies de conversion toujours pratiquées
Une enquête réalisée par le quotidien bernois der Bund révèle que les thérapies de conversion pour les homosexuels sont encore pratiquées en Suisse, en particulier dans le milieu des Eglises libres. Le journal présente deux témoignages de telles démarches aux résultats désastreux.
David Gamez et Mäth Gerber sont deux «rescapés» de thérapies de conversion effectuées dans le canton de Berne. Ayant grandi dans des Eglises évangéliques libres, où l’homosexualité est encore largement considérée comme une maladie ou un péché, ils ont mal vécu la découverte, à l’adolescence, de leur attirance pour les personnes de même sexe.
Dans leur témoignage, publié dans le Bund du 19 mai 2022, ils expliquent avoir d’eux-mêmes demandé une «thérapie». «Quand j’ai entendu parler de cette possibilité, je me suis dit: enfin, j’ai trouvé une solution», assure David Gamez. Les adolescents avaient principalement le souci de ne pas décevoir leurs parents et leur entourage. Après coup, ils estiment cependant que leur décision a été prise sous la pression sociale. «Je ne pouvais pas choisir librement, j’étais prisonnier d’une idéologie», affirme David Gamez.
Une «thérapie» destructrice
«L’aide» apportée par les Eglises à David et Mäth s’est ainsi déclinée de manière assez diverse. Ils ont été «traités» par des pasteurs, voire des psychologues, qui ont recherché les causes de leur orientation sexuelle. La «thérapie» s’est aussi articulée autour de séances de prières et des conseils de fréquenter des milieux plus masculins, en intégrant notamment une équipe de football.
La démarche se révèlera cependant désastreuse pour l’état psychique des deux jeunes. Mäth Gerber s’est effondré après dix ans de «thérapie». Il a dû être traité pendant trois mois dans une clinique psychiatrique. «C’était une combinaison de plusieurs choses, assure-t-il. J’ai remarqué de plus en plus fortement que je ne pouvais pas vivre ma sexualité et je me détestais pour mon homosexualité.» David Gamez s’est endetté, a également fait des séjours dans des hôpitaux psychiatriques, a eu des problèmes de drogue et des pensées suicidaires.
Chemins de foi différents
Si aucun des deux n’est devenu hétérosexuel, ils ont cependant vécu des chemins de foi différents suite à cette épreuve. Mäth Gerber a réussi à dissocier l’appartenance à son Eglise et sa foi chrétienne, qui est aujourd’hui «toujours aussi forte». Il tente de faire changer les mentalités depuis l’intérieur.
David Gamez a quitté son Eglise et a totalement rompu avec la religion. «Je ne crois plus en rien. Je ne veux rien avoir à faire avec une religion qui diabolise certaines personnes», déclare-t-il.
«Dans les Eglises évangéliques libres, la Bible n’est pas interprétée selon son sens, mais le plus possible à la lettre»
Adriano Montefusco
Tous deux pensent finalement qu’une interdiction des thérapies de conversion au niveau national serait utile. «Elle aiderait notamment les jeunes qui y sont poussés par leur entourage, estime Mäth Gerber. Ils sauraient alors qu’une telle mesure est en fait interdite et pourraient le dire à leurs parents». En même temps, le jeune homme ne se fait pas d’illusions. «Ce qui se passe derrière les portes fermées, on ne le saura pas non plus à l’avenir».
Vers une interdiction nationale?
A Berne, le Conseil d’Etat a refusé une interdiction des thérapies de conversion, arguant que cela devrait être entrepris au niveau national. Trois initiatives parlementaires en ce sens sont en cours. En mars 2022, une motion visant à interdire les «thérapies de conversion» a été déposée au Grand Conseil vaudois. Si le texte est accepté, le canton de Vaud pourrait devenir l’un des premiers de Suisse, après Genève, à légiférer sur ce sujet.
Les milieux évangéliques suisses continuent de s’opposer à une telle interdiction, même si des signes d’ouverture sont récemment apparus. Dans une prise de position, l’Alliance évangélique suisse (AES) a assuré rejeter les procédures ayant pour but explicite de modifier l’orientation sexuelle d’une personne. De plus, selon l’association qui regroupe environ 680 églises nationales et libres ainsi que 255 organisations chrétiennes, l’homosexualité ne doit pas être considérée comme une maladie.
Une lecture «littérale» de la Bible
Pour autant, l’Alliance s’oppose à une interdiction qui «ne mènerait à rien». «Une interdiction risquerait de jeter la suspicion sur toutes les offres utiles. De plus, il n’existe pas de définition de ce qui est considéré comme une thérapie de conversion», estime l’AES. La coalition d’églises a également élaboré une prise de position et organisé des ateliers pour sensibiliser ses membres à ce sujet.
Dans les milieux d’Eglises, cette compréhension n’a pas encore été acceptée partout, note le Bund. Un constat particulièrement valable pour les Eglises évangéliques libres. «Dans ces Eglises, la Bible n’est pas interprétée selon son sens, mais le plus possible à la lettre, explique Adriano Montefusco, spécialiste des religions à l’Université de Fribourg. Et il y a différents passages où le texte interdit les actes sexuels homo-érotiques». C’est pourquoi, dans de nombreuses communautés, la compréhension de l’homosexualité comme quelque chose de dégénéré, de maladif, est tenace.
Si Adriano Montefusco ne peut pas dire à quel point les thérapies de conversion sont répandues en Suisse, le problème commence pour lui bien plus tôt. «Je préfère parler de mesures de conversion. Et cela englobe tout ce qui pousse les gens à ne pas affirmer leur propre orientation sexuelle». (cath.ch/bund/rz)