Un chrétien de Qaraqosh (Irak) participant à une veillée de prière suite à l'incendie meurtrier du 27 septembre 2023 | © Zaid al-Obeidi/AFP/Keystone
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En Irak, la peur revient chez les chrétiens

La situation des chrétiens en Irak s’est dégradée depuis quelque temps, alors que le chaos grandit dans le pays. Une réalité que le prêtre chaldéen Naseem Asmaroo a pu expérimenter, lors d’un récent voyage sur place avec un groupe d’amis suisses.

Dans le mouvement de foule, les enfants ont été piétinés. Ils constituent la plus grande partie des victimes de l’incendie qui a ravagé la salle des fêtes de Qaraqosh, le 27 septembre 2023. Le sinistre, provoqué par des feux d’artifices allumés à l’intérieur de la salle, a tué quelque 130 personnes et blessé 150 autres. «Presque tous les habitants ont perdu un proche», souligne Naseem Asmaroo.

Le prêtre irako-suisse officiant en bi-ritualité (chaldéen en Suisse et latin dans le canton de Vaud) s’est rendu sur place en octobre dernier. Il faisait partie d’un groupe de neuf personnes venant de Suisse romande. Né à Mossoul, au nord de l’Irak, il retourne pratiquement chaque année dans son pays natal. Son épouse, Lusia Shammas, a fondé en 2004 l’association Basmat-al-Qarib (Le sourire du prochain), qui vient en aide aux populations locales. Leurs voyages servent à garder le contact avec l’Eglise locale et avec les amis, à rencontrer leurs partenaires sur place, et à s’enquérir des projets en cours. Mais ils emmènent aussi la plupart du temps avec eux des personnes intéressées pour leur montrer la réalité irakienne, notamment des chrétiens.

Un pompier dans les décombres de la salle des fêtes de Qaraqosh (Irak) détruite par le feu le 27 septembre 2023 | © Safin HAMID / AFP/ KEYSTONE

En février 2022, cath.ch avait eu la chance de faire partie du voyage et de donner un aperçu de la situation dans le pays, un an après la visite du pape.

Des flammes d’espoir qui vacillent

La venue du pontife avait allumé dans le sombre panorama du pays «des lueurs d’espoir», comme le portail catholique avait intitulé son dossier. Des petites flammes qui aujourd’hui vacillent dangereusement dans le vent froid qui souffle sur le Moyen-Orient, ont pu constater les visiteurs de Suisse.

Le climat est d’autant plus tendu depuis la guerre qui a éclaté entre Israël et le Hamas le 7 octobre dernier. Face à la situation, Lusia et Naseem ont envisagé d’annuler leur voyage. «Dans la région, règne depuis deux décennies la certitude de l’incertitude. Mais nous nous sommes dit que la vraie zone de guerre est finalement assez loin de l’Irak; les voisins des voisins, et que les risques étaient relativement limités. Après concertation avec les autres participants, nous avons décidé d’y aller tout de même.»

«C’est un drame inouï pour Qaraqosh, une ville qui compte environ 30’000 habitants»

Naseem Asmaroo

Initialement, la visite avait pour objectif d’apporter à Mossoul un ostensoir fabriqué par l’orfèvre genevois François Reusse. Ce dernier était déjà allé sur place pour installer un tabernacle dans l’église St-Paul de la grande ville du nord de l’Irak en février 2022. Un événement couvert sur place par cath.ch. L’artiste voulait réitérer une démarche similaire cette année avec un autre objet liturgique. Malheureusement, un accident subi un mois avant le départ a forcé l’artisan de 80 ans à renoncer dans l’immédiat à ce voyage en Irak.

Qaraqosh, une ville sous le choc

Il n’a donc pas fait partie du groupe qui a visité le nord du pays en octobre dernier. La plupart des participants n’a d’ailleurs pu se rendre que dans la région du Kurdistan irakien. Autre signe de durcissement? Les citoyens suisses ont obtenu un visa à l’aéroport d’Erbil pour la zone kurde uniquement. Seul Naseem, qui possède la double nationalité, a pu voyager hors du Kurdistan. Il a ainsi été seul à Qaraqosh, située dans la plaine de Ninive. Il est venu y apporter une aide financière récoltée principalement à partir de dons de chaldéens en Suisse et d’amis proches de la communauté.

Le groupe d’amis suisses emmenés par Naseem Asmaroo (à d.) rendant visite au prêtre Jens Petzold (troisième depuis la gauche) à Souleimaniyé (Irak) | © DR

Le prêtre a pu constater les dégâts, matériels, mais surtout psychologiques, provoqués par l’incendie. «Tout le monde est sous le choc, c’est un drame inouï pour une ville qui compte environ 30’000 habitants», commente le prêtre. Il a pu voir, à l’entrée de la ville, un mur rempli des photos des personnes décédées, ainsi qu’une forte présence d’armée et de milice. 

Tensions en hausse

À part le chagrin, c’est aussi la colère qui monte dans la communauté chrétienne. Le bâtiment où l’incendie s’est déclaré n’était pas aux normes. Une seule porte exigüe, où les gens se sont agglutinés, permettait notamment d’en sortir. Or, l’enquête diligentée par les autorités irakiennes n’a abouti à aucune condamnation. Certains s’insurgent contre la corruption qui gangrène le pays, tout en pointant du doigt un blocage de l’enquête, dont les conclusions auraient pu embarrasser d’aucuns dans les plus hautes sphères du pouvoir irakien.

«L’espoir est toujours là, mais cela dépend où on place son regard»

Naseem Asmaroo

D’autres ne peuvent s’empêcher de voir dans ces événements une volonté de montrer aux chrétiens qu’ils sont indésirables dans le pays. «La tension est énorme sur place», note Naseem Asmaroo. Des jeunes de Qaraqosh, n’acceptant pas le résultat de l’enquête, ont mis le feu à la maison et au garage du propriétaire de la salle.

Un recours a été posé contre les conclusions de la première enquête et une seconde procédure a été lancée. Mais personne ne croit vraiment qu’elle puisse mener à la vérité.

Jeunes mobilisés

Le groupe suisse s’est également rendu dans la région de Dohuk, au nord du Kurdistan irakien, dans des villages traditionnellement chrétiens. Les visiteurs ont constaté que ceux-ci se faisaient plus rares. A peine de 10% à 15% dans certains endroits, les Kurdes formant maintenant la majorité de la population. Nombre de chrétiens sont en effet partis vers les villes et à l’étranger.

Lusia Shammas, fondatrice de Basmat-al-Qarib, visite des projets d’entraide en Irak | © DR

Naseem et Lusia, qui s’efforcent depuis 20 ans de créer des ponts entre la Suisse et leur pays d’origine, n’ont en fait pas vu beaucoup d’amélioration de la situation, notamment pour la minorité chrétienne, au cours de cette période. «Pourtant, l’espoir est toujours là, mais cela dépend où on place son regard», note le prêtre chaldéen.

À l’instar des Irakiens, il ne met pas cette espérance dans la politique, totalement gangrénée par les intérêts propres, mais dans la population, et en particulier sa jeunesse. Basmat-al-Qarib collabore ainsi avec l’association Al Amal (l’espoir), qui regroupe des jeunes de toutes religions et confessions qui promeuvent des initiatives de cohabitation pacifique et de développement éducatif et économique.

En même temps que Naseem se rendait à Qaraqosh, Lusia rencontrait à Erbil, avec les six amis suisses, un groupe de jeunes d’Al Amal. Leur dernier projet vise à ouvrir un cabinet médical offrant des soins gratuits aux familles qui n’ont pas les moyens d’aller à l’hôpital.

Projets en développement à Souleimaniyé

La délégation suisse a en outre visité divers projets de l’Eglise, dont certains soutenus par Basmat-al-Qarib à Souleimaniyé, au sud de la région du Kurdistan. Dans cette ville, le prêtre germano-suisse Jens Petzold continue, avec sa communauté Al-Khalil, à œuvrer pour l’avenir de la jeunesse et la coexistence entre les groupes sociaux présents sur place, notamment à travers des activités culturelles et éducatives.

Des membres de l’association Al-Amal, avec au centre Lusia Shammas | © DR

Ils ont aussi visité le nouvel institut, dans les hauts de Souleimaniyé, pour enfants autistes et personnes atteintes d’Alzheimer, une population globalement délaissée en Irak. Ce projet a été réalisé en collaboration entre la ville et le diocèse chaldéen de Kirkouk, dirigé par l’évêque Yousef Thomas Mirkis, avec l’aide et le soutien de plusieurs organisations, dont certaines de Suisse. L’établissement a commencé à accueillir ses premiers patients, entre autres pris en charge par trois religieuses d’une congrégation indienne.

«Même sous une apparence de normalité, la violence n’est jamais très loin, en Irak»

Le voyage a aussi été l’occasion de prendre le pouls des divers projets menés par Basmat-al-Qarib. L’association s’occupe notamment de soutenir des familles pauvres, entre autres en leur facilitant l’obtention de micro-crédits pour débuter une activité lucrative.

Des chrétiens soutenus par la foi

Au moment de quitter le pays, le vol du groupe de Suisse a été retardé par l’explosion de drones à proximité de l’aéroport d’Erbil. Signe supplémentaire des peurs et des tensions qui augmentent dans la région. Même sous une apparence de normalité, la violence n’est jamais très loin, en Irak. En mars 2022, des missiles partis d’Iran ont visé le consulat américain à Erbil. Des représailles menées par les Gardiens de la Révolution suite à une action israélienne ayant tué deux cadres du puissant corps d’armée iranien.

«A Qaraqosh, les églises sont pleines chaque dimanche, les enfants suivent la catéchèse»

Naseem Asmaroo

En septembre 2023, quatre personnes sont mortes à Kirkouk, au nord du Kurdistan irakien, dans des heurts opposant des Kurdes à des membres des minorités arabes et turkmènes.

Naseem Asmaroo relate le cas d’une jeune chrétienne rencontrée à Ankawa, dans la banlieue d’Erbil. Elle fait tous les jours plus de deux heures de route de la capitale du Kurdistan irakien à Mossoul, où elle étudie la médecine. Il serait trop dangereux pour elle de dormir dans cette ville à grande majorité arabe sunnite, où il est connu que subsistent des cellules de Daech. «Cela montre bien la méfiance qui règne encore», note le prêtre chaldéen.

Au-delà du sombre horizon pour les chrétiens locaux, il a été surpris et enthousiasmé par leur foi intense. «Les églises sont pleines chaque dimanche, les enfants suivent la catéchèse. On ressent beaucoup d’espérance dans leur façon de prier et de célébrer. Ils en retirent une force qui leur permet d’aller de l’avant malgré tout».  

Naseem compte pouvoir se rendre à Mossoul au prochain printemps, avec François Reusse, pour pouvoir finalement y apporter le nouvel ostensoir. (cath.ch/arch/rz)

Un chrétien de Qaraqosh (Irak) participant à une veillée de prière suite à l'incendie meurtrier du 27 septembre 2023 | © Zaid al-Obeidi/AFP/Keystone
4 décembre 2023 | 17:00
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 7  min.
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