«En Haïti, nous avons réappris la patience et l’émerveillement»
«En Haïti, nous avons vécu la Semaine sainte presque en continu avec ses morts et ses résurrections», témoignent Nadia et Sandro Agustoni. Volontaires durant trois ans dans le diocèse de Anse-à-Veau Miragoâne, dans le sud-ouest du pays, ils ont réappris la patience et l’émerveillement.
Des expressions courantes comme ‘Si Dieu le veut’ ou ‘Ça ira mieux demain’ ont gardé leur sens primitif. «En Haïti, tout le monde chante, jeunes et vieux, hommes et femmes, le plus souvent des chants de louange en créole», relève Nadia. Et si on ne chante pas, on écoute la radio qui diffuse aussi ces mêmes chants religieux. Malgré les difficultés de la vie, on partage facilement sa foi. Et on vit beaucoup plus dans le moment présent.» «Le fil rouge de notre engagement a été le slogan ‘bien vivre ensemble’ à tous les niveaux.»
Installés dans le village de Paillant, à un quart d’heure de route de la capitale régionale Miragoâne, Sandro et Nadia ont vécu assez confinés dans leur maison, avec une vie sociale limitée, sans pouvoir sortir le soir par exemple, en raison de l’insécurité. «Sans livres ni journaux, nous avons réappris à nous émerveiller des petites choses: les fleurs de notre jardin, le chant des oiseaux, le jeu des chats, un peu comme des enfants», raconte Sandro.
«Sans raccordement à un réseau d’eau, nous avons redécouvert combien l’eau est précieuse, combien la pluie est bienfaisante. Comment avec quelques légumes faire une variété de plats savoureux…», renchérit Nadia.
Il fallait régulièrement faire face à des flambées des prix et de pénuries, pour les œufs, les tomates, l’essence le gaz… «Devoir souvent improviser des solutions en passant par le marché noir, mettait de la vie dans notre quotidien! Sans compter qu’en tant que blancs nous restions un peu des bêtes curieuses pour beaucoup d’Haïtiens.»
L’apprentissage de la vie de couple
«En vivant et travaillant constamment ensemble, nous avons aussi dû refaire l’apprentissage de notre vie de couple. Avant en Suisse, nous avions chacun une vie assez indépendante. Nous avons découvert nos limites, que nous avons dépassées dans l’écoute mutuelle et dans la prière commune. En Suisse, nos librairies sont pleines de livres sur le bonheur, mais il faut le chercher en soi-même, dans le silence, la contemplation et l’écoute réciproque», témoignent Sandro et Nadia.
Bureau diocésain de l’éducation
Le travail principal de Sandro et Nadia était la coordination du Bureau diocésain de l’éducation (BDE). Comme l’État haïtien est largement défaillant, l’éducation est essentiellement assurée par les écoles privées paroissiales gérées par les curés et de petites équipes pédagogiques payées par les contributions des parents. Le BDE est chargé de leur fournir un soutien pour l’encadrement administratif et la formation des enseignants. «Avec une centaine d’écoles disséminées sur un territoire très montagneux, souvent difficiles d’accès à plusieurs heures de piste, la tâche était titanesque et en fait au-dessus des forces de notre équipe de cinq collaborateurs», explique Sandro.
Le BDE était constamment tiraillé entre la demande de visiter le plus grand nombre d’écoles possibles, et la volonté d’assurer un suivi plus constant et régulier avec quelques projets pilotes. Un sujet de pas mal de tensions et de discussions dans une culture cléricale où le poids du prêtre reste déterminant.
Le BDE s’était donné trois objectifs: passer de la méthode traditionnelle du rabâchage et du par cœur à une éducation plus participative, développer l’enseignement de la santé, de l’hygiène et de l’écologie et enfin sensibiliser à la non-violence. «La non-violence concernait surtout l’autorité de l’adulte sur l’enfant, commente Nadia. Le fouet reste un ›instrument d’éducation’ assez répandu. Les enfants restent souvent considérés comme de petits animaux à éduquer et ainsi maltraités.»
L’école alterne entre le français, souvent mal compris, et le créole, ce qui renforce les difficultés. «Il était assez fréquent de rencontrer des enseignants capables de lire le manuel en français, mais incapables de mener une conversation. Le français reste un marqueur social important. Ceux qui le maîtrisent méprisent le créole comme un ›français mal parlé’.

AGIR
Sandro et Nadia ont également développé plusieurs petits projets plus ‘personnels’. Selon la méthode AGIR (activités génératrices et intégrales de ressources), le couple a soutenu des initiatives d’entraide locale, avec la remise de chèvres ou de cochons, l’amélioration des techniques agricoles, la protection de l’environnement, l’apprentissage de la non-violence, les questions de genre ou les droits civiques. «Avec les locaux, nous discutions d’abord de quoi faire. Ensuite les participants au projet devaient se réunir chaque semaine pour discuter des actions à accomplir et résoudre les éventuels problèmes», remarque Nadia.
«Dans la société haïtienne, renforcer les liens sociaux et communautaires me semble très important. Globalement les Haïtiens ne jugent pas et sont tolérants, habituellement ils sont doux et fins, même s’ils peuvent s’enflammer assez vite», constate Sandro.
Célébration de la Parole
Le soutien au foyer pour les handicapés ASPIS a été particulièrement cher au cœur de Nadia et Sandro. «Nous avons surtout travaillé dans le domaine de l’animation, avec des activités artistiques, comme le dessin, la peinture, la réalisation de fresques murales. A un moment donné comme les prêtres ne pouvaient ou ne voulaient pas venir pour la messe, nous nous sommes lancés dans des célébrations de la Parole. Ce furent des moments forts de retrouvailles communautaires.»
Un jour, Sandro et Nadia ont même dû organiser l’enterrement d’un pensionnaire sans famille. Avec les membres de la communauté, ils ont empoigné la pelle et la pioche pour creuser la tombe, avant d’animer la mise en terre du défunt.
Souvent confrontés à la mort, par exemple lors de l’explosion d’un camion-citerne non loin de chez eux qui a tué une trentaine de personnes, dont des femmes et des enfants, et blessé une quarantaine d’autres. Sandro et Nadia ont redécouvert le simple goût de la vie.
La vitesse et la peur
De retour en Suisse depuis deux mois, Sandro et Nadia ont livré leur témoignage dans diverses paroisses du canton de Neuchâtel. «Nous nous sommes demandé ce que la mission peut nous apporter pour la vie ici, comment valoriser ce que nous avons reçu? Face à l’imprévu, nous avons appris la patience et l’élasticité. Nous avons compris que pour travailler avec les gens, il faut marcher avec eux. Vivre l’instant présent, relativiser les choses, ne pas ressasser le passé sont aussi des enseignements essentiels.» Pour Nadia, il faut oublier la vitesse et la peur et avoir l’audace de se mettre en route. Ou comme le dit Sandro: «avoir confiance en soi, en Dieu et en les autres». (cath.ch/mp)
Volontaires pour trois ans en Haïti
Nadia et Sandro Agustoni ont été volontaires en Haïti durant trois ans pour la Conférence missionnaire de la Suisse italienne rattachée au diocèse de Lugano qui soutient le diocèse haïtien d’Anse-à Veau Miragoâne. D’abord matériel, ce soutien s’est développé depuis quelques années avec l’envoi de volontaires. Créé en 2008, le diocèse d’Anse-à-Veau Miragoâne, est le plus jeune du pays. Il se situe dans le département des Nippes, au sud du pays. Son premier évêque est Mgr Pierre André Dumas. Le diocèse compte environ 90 prêtres. MP
