En Egypte, les terroristes ont perdu, assure Mgr Kyrillos William Samaan

«Malgré les attentats visant leurs lieux de culte, qui ont fait récemment des dizaines de morts, les chrétiens égyptiens n’ont pas peur, les églises sont pleines», assure Mgr Kyrillos William Samaan.

L’évêque copte-catholique d’Assiout, en Haute-Egypte, confie à cath.ch que «les terroristes ont perdu», eux qui pensaient montrer la faiblesse de l’Etat en s’en prenant à une minorité sans défense. Il était, dimanche 21 mai 2017, l’hôte d’honneur du pèlerinage annuel de l’œuvre d’entraide catholique Aide à l’Eglise en Détresse (AED) au sanctuaire marial d’Einsiedeln, dans le canton de Schwytz.

Depuis 1990 à la tête du diocèse d’Assiout, le plus grand diocèse copte catholique d’Egypte, qui s’étend sur l’ensemble du gouvernorat éponyme, Mgr Kyrillos Samaan dit que les chrétiens comptent probablement pour près du tiers d’une population de 4,5 millions d’habitants.

Mgr Kyrillos William Samaan, évêque copte catholique d’Assiout, invité en Suisse par Aide à l’Eglise en Détresse (Photo: Jacques Berset)

Ouverture de trois nouvelles églises

«En Egypte, il n’y a pas de statistiques officielles sur le nombre des chrétiens. Les communautés ont tendance à exagérer le nombre de leurs membres», constate l’évêque. La grande majorité des chrétiens de la province sont les coptes orthodoxes, qui ont six diocèses et le monastère de la Sainte Vierge Marie de Deir Dronka, à 7 km d’Assiout, que des terroristes islamiques avaient projeté d’attaquer peu avant Pâques. Les protestants ne sont sans doute pas plus nombreux que les fidèles de son diocèse, au nombre de 50’000, vivant dans quarante paroisses.

«Nous avons pu ouvrir trois nouvelles paroisses ces deux dernières années. Normalement, il devrait être plus facile de construire des églises avec la nouvelle législation. Nous avons désormais la possibilité de nous adresser à la justice en cas de contestation».

Mentalité discriminatoire des islamistes

L’obstacle majeur reste la mentalité de la majorité de la population: la discrimination des chrétiens reste ancrée dans les esprits en Egypte. «Cela a commencé sous le régime de Nasser, qui avait adopté un ton nationaliste arabe, alors qu’avant tous se sentaient citoyens et vivaient en paix: chrétiens, musulmans, juifs… Ces derniers sont partis suite à la fondation d’Israël. La discrimination des chrétiens s’est aggravée sous Sadate, et rien n’a changé sous Moubarak. Sous le régime des Frères Musulmans, c’était le cauchemar…  Ils voulaient de plus rester 500 ans au pouvoir, c’est un miracle qu’ils soient partis!»

Mgr Kyrillos Samaan relève que les islamistes considèrent l’Egypte comme «une terre d’islam», exclusivement pour eux. Il n’hésite pas à dire que ces derniers voudraient se débarrasser des chrétiens, pourtant présents dans le pays dès l’origine du christianisme, des siècles avant l’invasion arabo-musulmane. «Les chrétiens sont les premiers citoyens de l’Egypte!»

Mgr Kyrillos William visite un dispensaire catholique en Haute-Egypte (Photo: Jacques Berset)

Sécurité juridique pour les églises

«Sur nos 40 paroisses, seules 15 disposent de document qui les légalisent (par décret présidentiel). Les autorités nous demandent de présenter les documents de propriété de tous les bâtiments appartenant à l’Eglise (centres pastoraux, sociaux, dispensaires, etc.) afin de les légaliser».

Officiellement, le but est de leur donner plus de sécurité juridique. «Est-ce bien nécessaire ? L’Etat dispose déjà de la liste de toutes les églises et met à disposition des policiers pour les protéger. Nous devons mettre des caméras de surveillance devant nos églises, ainsi que des appareils de détection de métaux. Ces appareils coûtent cher. Dans les villages, ce n’est pas nécessaire. Nous connaissons les gens, nous savons qui fréquente nos lieux de culte, ce qui n’est pas toujours le cas en ville».

Les Frères Musulmans rasent les murs

Dans les années 1970, le groupe islamiste Gamaa al-Islamiya, impliqué dans le massacre, en 1997, de 58 touristes étrangers à Louxor, visait principalement des policiers, des responsables gouvernementaux, des chrétiens coptes. Les terroristes menaient leur politique meurtrière principalement dans le sud du pays, où ils avaient leurs places fortes.

«Ils ont tué pas mal de gens dans les années 1980-1990. Ils étaient alors très militants à Assiout, mais on ne parle plus d’eux à l’heure actuelle. Ils se sont déplacés à Minya où ils sont actifs, face à une police qui est très faible. Ils peuvent là incendier impunément des propriétés chrétiennes».

Conversions forcées

A Minya, dénonce l’évêque, une organisation reçoit de l’argent de la Péninsule arabique pour favoriser le passage de chrétiens à l’islam. «Des jeunes filles chrétiennes sont obligées de se convertir, d’autres, encore mineures, sont séquestrées dans un but de conversion, et ensuite mariées à un musulman. Les parents les recherchent en vain, car il y a là une complicité des forces de police… Je ne connais pas de tels cas à Assiout».

Si, par peur de la répression, les Frères Musulmans ont rasé leur barbe et veulent se faire oublier, ils ont gardé leur projet d’instaurer la charia et le califat. «A Assiout, ils n’osent plus se montrer agressifs dans la rue, mais en fait ils sont restés les mêmes… Ils ont été interdits et déclarés ‘organisation terroriste’. Leurs chefs sont en prison».

Par contre, les salafistes, du parti Al-Nour (Parti de la lumière), soutenus par l’Arabie saoudite, sont très présents. «Ils sont pires que les Frères Musulmans: ils prêchent une vision très littérale du Coran et de la tradition, sans rien contextualiser. Ils veulent imposer la charia, la loi islamique, et pourtant ils ne sont pas interdits. Cela, on ne le comprend pas, car la Constitution de 2014 a réintroduit dans son article 74 l’interdiction de former des partis politiques sur une base religieuse».

Dans le diocèse d’Assiout, des policiers gardent les églises (Photo: Jacques Berset)

Les salafistes ne cachent pas leur idéologie religieuse

Au Parlement, les salafistes ne cherchent pas à cacher leur idéologie religieuse: «Ils ont refusé de voter la loi sur les mutilations sexuelles féminines (l’excision), en raison de leurs convictions religieuses. Lors du vote de la loi sur les Eglises, ils se sont retirés. Ils se présentent comme les vrais protecteurs de l’islam. Pour eux, sur la terre de l’islam, aucune Eglise ne devrait exister…»

L’évêque copte-catholique d’Assiout parle sans ambages: les salafistes ne cherchent pas le bien de tous les Egyptiens, mais celui de leur propre groupe. «Ils se moquent ouvertement des chrétiens dans leurs médias, et on ne fait rien!»

D’autre part, l’article 2 de la Constitution égyptienne, voulu par le président Sadate, est resté dans la Constitution de 2014, et dispose que l’islam est la religion de l’Etat, l’arabe sa langue officielle et les principes de la charia islamique constituent la source principale de la législation. «Cet article est toujours en vigueur!»

Fidèles dans une modeste paroisse copte catholique de Haute-Egypte (Photo: Jacques Berset)

Soutien d’intellectuels musulmans

L’évêque d’Assiout se réjouit que de plus en plus de journalistes, écrivains et intellectuels musulmans se lèvent pour défendre les droits des chrétiens en Egypte, comme  l’écrivaine Fatma Naout, une jeune intellectuelle libérale, ou l’islamologue rénovateur et présentateur de télévision Islam el-Béheiry. Ce dernier appelle à un renouveau de l’islam qui, selon lui, a été dévoyé par les exégèses des premiers oulémas.

Les interprétations conservatrices de l’islam, estime-t-il, ont posé les bases de l’intolérance religieuse servant de lit à l’extrémisme du groupe Etat islamique. Les musulmans modérés qui se dressent contre les islamistes sont la cible des salafistes et courent le risque d’être assassinés, met en garde Mgr Kyrillos Samaan. L’évêque ne sait pas si ces voix critiques sont vraiment protégées par la police, d’autant plus que du temps du gouvernement Morsi, les Frères Musulmans s’étaient infiltrés dans tous les rouages de l’Etat et les postes stratégiques, comme à la direction des écoles.

Islamistes encore très présents à Al-Azhar

«Les islamistes sont encore très présents à Al-Azhar: au moins cinq collaborateurs très proches de l’imam Ahmed Al-Tayeb sont des Frères Musulmans ou des salafistes. Si ce dernier a dit qu’on n’a pas le droit d’imposer ses idées religieuses par la force des armes, Al-Azhar n’a jamais condamné les terroristes de Daech comme ‘apostats’. Cela aussi étonne tout le monde! Comme le fait que Salem Abdel Galil, un religieux très connu, ait pu déclarer dans un média que ‘chrétiens et juifs suivent des religions corrompues’ et que, par conséquent, ces ‘infidèles’ n’iraient pas au paradis… Des intellectuels musulmans se sont demandés pourquoi on ne faisait rien contre de tels propos, alors que l’on applique sans retenue la loi sur le mépris des religions adoptée en 1982, dite ‘loi sur blasphème’, aux chrétiens et aux musulmans modérés».

Le prélat égyptien confie à cath.ch que le président Al-Sissi, apprécié de la population copte, ne peut pas tout contrôler. «Il y a de la corruption dans tous les ministères… on découvre tous les jours des scandales. Le président Al-Sissi, qui est très loyal, est entouré d’hommes de l’ancien régime: il doit souvent aller à contre-courant, mais il a à cœur l’unité du peuple égyptien!»  JB


Biographie de Mgr Kyrillos William Samaan

Mgr Kyrillos William Samaan, né en 1946 à Assiout, en Haute-Egypte, entre au petit séminaire à l’âge de 9 ans. Après des études de philosophie au séminaire de Maadi, au Caire, il poursuit, de 1965 à 1969, ses études en théologie à l’Université pontificale Urbaniana à Rome. De retour en Egypte, il doit faire son service militaire, qui dure de 1969 à 1974, en raison de la Guerre des Six Jours. Le 10 juin 1974, il est ordonné prêtre et enseigne au séminaire. Entre 1978 et 1981, ce sont les études bibliques auprès du Pontificio Istituto Biblico de Rome. Il retourne ensuite au séminaire de Maadi, où il devient recteur. Le 3 juin 1990, il est ordonné évêque d’Assiout. En février 2012, il est administrateur patriarcal d’Alexandrie des coptes catholiques en raison de la maladie du cardinal Antonios Naguib, alors patriarche d’Alexandrie, auquel a succédé en 2013 Mgr Ibrahim Isaac Sidrak, actuel primat de l’Eglise catholique copte. Mgr Kyrillos préside notamment la commission épiscopale de l’Eglise copte catholique pour la famille. (cath.ch/be)

Mgr Kyrillos William Samaan, évêque copte catholique d'Assiout, visite une paroisse de Haute-Egypte
23 mai 2017 | 16:04
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 7  min.
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