Le cardinal Rainer Maria Woelki, archevêque de Cologne, a été le premier évêque allemand à commander une enquête sur les abus sexuels dans son diocèse, mais le seul à refuser de la publier pour l’instant. | © Erzbistum Köln
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En Allemagne, émoi autour d’une enquête sur des abus sexuels

Le diocèse de Cologne et son archevêque sont critiqués pour avoir décidé de ne pas publier un rapport indépendant sur les abus sexuels commis en son sein entre 1975 et 2018. Selon l’enquête du quotidien La Croix, neuf des 27 diocèses d’Allemagne ont commandé une enquête similaire, que deux d’entre eux ont déjà rendue publique.

Le diocèse de Cologne, le plus grand d’Allemagne, est au cœur de la tourmente. En mars dernier, le cardinal Rainer Maria Woelki a pris la décision de reporter la publication d’un rapport indépendant, réalisé par un cabinet juridique de Munich, sur la question des abus sexuels dans le diocèse entre 1975 et 2018. Les autorités religieuses invoquent la protection des données des personnes citées. Le 30 octobre, le cardinal Woelki a confirmé cette décision et évoqué des manquements de la part des chercheurs, annonçant dans la foulée qu’une nouvelle étude sera réalisée d’ici mars par un autre cabinet juridique, à Cologne cette fois.

Ces deux décisions ont créé la stupéfaction, notamment de la part du conseil consultatif des victimes, une instance créée en 2018 et destinée à faire le lien entre le diocèse et les victimes d’abus sexuels. Début novembre, son porte-parole, Patrick Bauer, a démissionné, ouvrant la porte à d’autres départs. Ce conseil ne compte désormais plus que 6 membres sur les 10 de départ.

«J’ai perdu confiance, explique Patrick Bauer à La Croix. J’ai le sentiment que le diocèse et le cardinal Woelki n’ont pas été honnêtes avec nous, les victimes. Ils nous ont instrumentalisés.» Cet aumônier de prison reproche au cardinal et au vicaire général d’avoir feint la concertation afin de valider leur décision de ne pas publier ce rapport, pourtant très attendu. Une décision qui, selon lui, était déjà prise depuis longtemps.

«J’ai vraiment l’impression d’être pris pour un idiot»

L’incompréhension est d’autant plus forte que le diocèse d’Aix-la-Chapelle a rendu public, début novembre, son propre rapport, réalisé par le même cabinet munichois. L’étude porte sur la période 1965-2019, fait état de 175 victimes et évoque la responsabilité de deux évêques émérites, dont Mgr Heinrich Mussinghoff, 80 ans. « Ces deux études ont été réa­li­sées de la même manière par le même cabinet. L’une a été publiée, l’autre pas ! J’ai vraiment l’impression d’être pris pour un idiot », juge Patrick Bauer, qui se dit « effaré ».

Depuis, l’émoi est palpable. Le président de la Conférence épiscopale, Mgr Georg Bätzing, s’est dit « mécontent de la situation ». Quant au second rapport mandaté, il pourrait être lui aussi « inconfortable » pour le diocèse de Cologne, de l’aveu de l’un de ses auteurs. « Le cardinal Woelki a été le premier évêque à commander une telle étude pour faire la lumière sur les abus sexuels », rappelle Thomas Schüller, spécialiste du droit canonique à l’université de Münster. « Il était très sérieux sur le sujet, mais face aux risques juridiques et à la pression, il semble avoir perdu tout courage. Il a perdu toute crédibilité et toute autorité », juge-t-il sévèrement.

Une nouvelle affaire révélée

Vis-à-vis de l’opinion publique, le diocèse a bien du mal à convaincre du bien-fondé de ce refus de publier la première étude. Sous la pression, il s’est dit ouvert à autoriser certaines personnes, à titre individuel, à lire ce rapport dans un avenir proche. Mais la polémique ne faiblit pas, d’autant que le journal local Kölner Stadt-Anzeiger a révélé une nouvelle affaire la semaine dernière. En 2015, le cardinal Woelki aurait omis de rendre compte au Vatican d’un cas grave d’abus sexuel par un prêtre de Düsseldorf, décédé depuis.

Quelles conséquences auront ces polémiques sur le travail des autres diocèses ? À ce jour, sur 27 d’entre eux, neuf diocèses ont lancé des expertises indépendantes. Si Limburg et Aix-la-Chapelle ont publié leurs rapports, le travail est en cours à Hildesheim, Munich, Mayence, Paderborn, Essen, Münster et Hambourg. En 2018, la voie avait été ouverte par la publication du rapport commandé par la Conférence épiscopale (DBK). « Le cas de Cologne servira de contre-modèle, estime le juriste Thomas Schüller. Il existe de nombreux jeunes évêques qui vont être renforcés dans leur volonté de faire toute la lumière sur ces abus sexuels. »

Patrick Bauer, lui, a perdu ses illusions. S’il a démissionné du conseil consultatif des victimes du diocèse de Cologne, il fait toujours partie de celui lancé par la DBK. « Je lui donne un an pour voir si nous sommes mieux traités. Sinon, je démissionnerai », annonce-t-il. Pour lui, il est nécessaire que les rapports mandatés par les diocèses soient totalement indépendants. (cath.ch/lcx/dn/cp)

Une étude globale commandée par l’épiscopat en 2018
En septembre 2018, la Conférence épiscopale rend public un rapport d’expertise indépendant sur les abus sexuels dans l’Église catholique en Allemagne. Cette étude dite « MHG », car réalisée par les universités de Mannheim, Giessen et Heidelberg, donne pour la première fois une idée de l’ampleur du problème. Les chercheurs font état d’au moins 3 677 enfants et adolescents victimes d’abus sexuels par 1 670 religieux, entre 1946 et 2014. Les chercheurs se sont fondés sur l’étude de 38 000 documents relatifs au personnel religieux, estimant que 5,1 % des prêtres allemands et 1 % des diacres ont commis de tels abus.

Le cardinal Rainer Maria Woelki, archevêque de Cologne, a été le premier évêque allemand à commander une enquête sur les abus sexuels dans son diocèse, mais le seul à refuser de la publier pour l’instant. | © Erzbistum Köln
14 décembre 2020 | 16:19
par Carole Pirker
Temps de lecture : env. 4  min.
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