Emmanuelle Bessi rêve un jour de pouvoir prêcher, sans pour autant être ordonnée prêtre, ni même diacre | © Bernard Hallet
Suisse

Emmanuelle Bessi: «Le lectorat est une vocation à part entière»

Alors que le pape va instituer les premiers lecteurs et acolytes le 23 janvier prochain, à l’occasion du dimanche de la Parole de Dieu, cath.ch a rencontré Emmanuelle Bessi, la première femme laïque du diocèse de Sion à avoir été instituée au ministère du lectorat. Une véritable vocation pour celle qui rêve un jour de pouvoir prêcher, sans pour autant être ordonnée prêtre ou diacre.

«Techniquement, le fait que je sois instituée lectrice ne change rien… et ça change tout!», sourit Emmanuelle Bessi. La théologienne souligne qu’elle a reçu ce ministère de l’Église à vie. Contrairement à ce qu’elle s’est passablement entendu dire, «ce n’est pas que symbolique, c’est une grâce qu’on reçoit. Celle d’être le trait d’union entre la Parole de Dieu et ceux qui la reçoivent.»

L’abbé Pierre-Yves Maillard était délégué par l’évêque pour la célébration | DR

Entourée de proches et de quelques amis, Emmanuelle Bessi a été la première laïque instituée au ministère du lectorat par l’abbé Pierre-Yves Maillard, vicaire général du diocèse de Sion. Il représentait l’évêque lors de la messe qui s’est déroulée à Ollon (VD) le 18 décembre dernier. Il a prononcé la formule rituelle et en imposant les mains*, il lui a conféré ce ministère.

 «En fait, j’ai toujours été lectrice, lance-t-elle d’une voix claire et qui porte, cela correspond à un charisme. J’ai commencé alors que j’étais plus petite que l’ambon». L’image la renvoie à ses trois ans, dans les années 1970, lorsque son grand-père, un des pionniers de la lecture en français à l’église, lui apprend les rudiments de la lecture. «Quasiment un apprentissage!». Elle se retrouve très souvent le samedi après-midi à l’église de Saint-Guérin de Sion. «J’avais le choix entre aller jouer au parc ou à la messe.»

Entre deux cours d’histoire de l’Église qu’elle dispense à distance à des moines de l’abbaye de Saint-Pierre en Champagne, en Ardèche, la théologienne prend le temps de raconter ce qui, au fil de sa jeunesse, est devenu une passion pour la Bible et finalement le fil rouge de sa vie.

Selon le rituel, Emmanuelle Bessi a reçu une Bible des mains de Pierre-Yves Maillard | DR

La paille et la poutre

La Bible illustrée par les enfants qu’elle reçoit pour sa première communion sera un déclic. Elle se met à dévorer les livres. Sa maman lui explique la parabole de la paille et de la poutre qui l’a marquée. «L’appel de Samuel par Dieu, le jugement de Salomon, tout cela me passionnait». Elle pose beaucoup de questions.

A 10 ans, la Bible illustrée enfant ne suffit plus. «Nous sommes allées à la librairie et j’ai reçu ma première Bible: l’édition protestante de Segond. J’ai tout lu!». Entre temps, la famille a quitté Pont-de-la-Morge, à côté de Sion, pour s’installer à Ollon, dans le canton de Vaud.

Études de théologie

Le catéchisme, qu’elle a continué à suivre en dehors de l’école, prend fin avec la confirmation. Durant le gymnase, Emmanuelle suit les cours d’enseignement bibliques avec sa maman. «J’ai alors réalisé que je voulais faire des études de théologie». Elle se tourne vers le vicaire de la paroisse, le chanoine Jean Scarcella, qui lui explique le cursus et les démarches à entreprendre pour entrer à l’Uni de Fribourg.

Après son année de propédeutique, elle opte pour une spécialisation en histoire de l’Église, sur la réforme et la contre-réforme. «J’ai commencé à la faculté de théologie avec Nicolas Glasson, Philippe Hugo ou encore José Mittaz».

Durant toutes ces années, elle poursuit ses engagements en paroisse. Faute de pouvoir entrer au séminaire, elle songe un temps à la vie consacrée, mais des ennuis de santé l’écarte de ce qu’elle pense être une vocation. Elle est devenue vierge consacrée il y a 10 ans.

Elle a pris connaissance du motu proprio Spiritu Domine du pape François, promulgué en janvier 2021, instaurant les ministères institués du lectorat et de l’acolytat. Elle lit, peu après, une interview de Mgr Jean-Marie Lovey, l’évêque de Sion, qui se dit ouvert à recevoir des demandes de femmes sollicitant ce ministère. L’idée fait son chemin. Puis vient un appel plus précis, dans le courant du mois de juin, lors d’une messe alors qu’elle se trouve à l’ambon.

«Je rêverais de pouvoir prêcher»

Entre sa licence en théologie et ses 30 ans de lecture et d’engagement en paroisse, le Conseil épiscopal l’a dispensée d’une formation en vue de la célébration d’institution. Emmanuelle Bessi se dit heurtée par les réflexions assimilant ce ministère à un «sucre» pour les femmes. Elle estime que ce ministère est une vocation à part entière. «Avec ce ministère, je ne vais pas prendre le pouvoir sur le lectionnaire, mais, insiste-t-elle, je rêverais un jour de pouvoir prêcher».

Elle ne revendique pas l’ordination sacerdotale pour les femmes, ni même le diaconat et ne se reconnaît pas dans le mouvement des Femmes en Église. La théologienne souhaite simplement pourvoir prêcher, exercer sa passion de la proclamation de l’Évangile. «Je pourrais le faire aussi bien que certains prêtres.» 

«Et, ajoute-t-elle en riant, je suis bien placée pour savoir, ayant étudié l’histoire de l’Église, que ce n’est pas pour demain». (cath.ch/bh)

Ministère institué
Le «ministère institué» de Lecteur – avec celui d’Acolyte – a été ouvert aux femmes par le pape François avec la publication du Motu proprio Spiritus Domine le 10 janvier 2021. Celui de Catéchiste a été institué avec le motu proprio Antiquum ministerium, le 10 mai 2021. L’évêque ou son délégué institue les personnes qui en ont fait la demande. Ce ministère est conféré à vie.

*L’évêque (ou son délégué) dit: «Dieu, qui es source de toute lumière et de tout bien, tu as envoyé ton Fils, ta Parole vivante, pour révéler aux hommes le mystère de ton amour. Bénis Emmanuelle dans son ministère: qu’elle se nourrisse de ta Parole, qu’elle se laisse former par elle et l’annonce fidèlement à ses frères et sœurs. Par Jésus le Christ, notre Seigneur. Amen»
L’évêque (ou son délégué) remet ensuite une Bible à la nouvelle/eau lectrice/eur, en disant: «Reçois le livre de la Sainte Écriture et transmets fidèlement la parole de Dieu: qu’elle s’enracine et fructifie dans le cœur des hommes. Amen». BH

Emmanuelle Bessi rêve un jour de pouvoir prêcher, sans pour autant être ordonnée prêtre, ni même diacre | © Bernard Hallet
21 janvier 2022 | 17:00
par Bernard Hallet
Temps de lecture : env. 4  min.
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