Egypte: Al-Azhar accusée d’être infiltrée par les Frères musulmans
Le Caire, 13 janvier 2015 (Apic) Accusée d’être infiltrée par les Frères musulmans, Al-Azhar est appelée à changer son actuel discours religieux. L’institution basée au Caire, considérée comme la principale autorité de l’islam sunnite, est depuis quelques temps l’objet d’une vaste campagne médiatique, note le journal en ligne Al-Ahram Hebdo.
Le président Abdel-Fattah Al-Sissi a appelé Al-Azhar à «corriger l’image de l’islam». Il s’agit pour le chef de l’Etat égyptien d’entreprendre une réforme sérieuse et profonde de la pensée religieuse et de renouveler le discours religieux, car selon lui, certains textes religieux sont destructeurs et antihumains. Si ces propos ont été mal interprétés par certains, il faut rappeler qu’»il y a une différence entre les textes à caractère religieux qui sont l’œuvre de l’être humain et le texte sacré, le Coran, qui est une révélation divine».
La crise a éclaté au grand jour lorsque certains imams du ministère des Waqfs (chargé des legs pieux) ont affirmé que le cheikh d’Al-Azahar, Ahmad Al-Tayeb, maintenait en poste des conseillers membres des Frères musulmans au sein de son institution, note Al-Ahram Hebdo.
Le cheikh Abdel-Aziz Al-Naggar accusé d’être membre des Frères
Selon le cheikh Mohamad Al-Bastawisi, directeur du syndicat des imams et des prédicateurs, des dirigeants issus de la confrérie des Frères musulmans jouent encore un rôle essentiel au sein d’Al-Azhar. «Je suis étonné qu’ils soient encore à leur poste», a-t-il déclaré. Al-Bastawisi a alors accusé tout particulièrement le cheikh Abdel-Aziz Al-Naggar, directeur de prosélytisme à l’Académie de recherche islamique, d’être membre des Frères musulmans.
Le ton est vite monté entre le ministère des Waqfs et Al-Azhar, au point qu’un responsable au bureau du cheikh Al-Tayeb a annoncé que le cheikh «étudiait la possibilité d’engager un procès contre ceux qui tentent de déformer son image!». Allusion clair au ministre des Waqfs, Mohamad Gomaa. Le responsable avait ajouté que le cheikh d’Al-Azhar «a pleinement confiance en ceux qui travaillent avec lui et il sait parfaitement bien qu’aucun d’eux ne fait partie de la confrérie des Frères musulmans».
Durant son discours, jeudi 1er janvier, à l’occasion de la célébration de l’anniversaire du prophète Mahomet organisée par le ministère des Waqfs, le président Abdel-Fattah Al-Sissi s’est adressé en termes forts au grand imam d’Al-Azhar: «Toi et les prédicateurs, vous êtes responsables devant Allah de la rectification de l’image de l’islam». Il faisait sans doute allusion à la présence des Frères musulmans au sein d’Al-Azhar, pense le journal en ligne.
Des prédicateurs dépendant de la confrérie
Pour Sameh Eid, membre dissident de la confrérie, il existe au sein de l’Université d’Al-Azhar 220 professeurs et 4’000 assistants dépendant de la confrérie. Pour lui, les écarter est loin d’être évident, l’institution d’Al-Azhar étant historiquement infiltrée par des membres de la confrérie.
«A mon avis, le cheikh Ahmad Al-Tayeb n’a pas une forte personnalité et pour cela, il n’a pas voulu entrer en conflit avec la confrérie durant la présidence de Mohamad Morsi. Peut-être qu’il a accepté de nommer des membres de la confrérie dans certains postes à Al-Azhar, mais le vrai problème n’est pas là. La plupart des imams et des prédicateurs dépendant des Frères musulmans sont diplômés des facultés d’Al-Azhar. La confrérie a depuis longtemps demandé à ses membres d’envoyer leurs enfants aux écoles d’Al-Azhar et à ses facultés. Ainsi, l’emprise de la confrérie s’est renforcée sur Al-Azhar. C’est une situation qui va perdurer.
Pas d’esprit critique à Al-Azhar
L’enseignement d’Al-Azhar est basé sur des études dures, strictes. Il interdit à l’étudiant toute critique. De même, Al-Azhar ne reconnaît que les interprétations de la charia des quatre premiers siècles de l’islam et refuse tout esprit critique de ces interprétations», affirme Eid, cité par Al-Ahram Hebdo. Il ajoute: « Si le président Al-Sissi veut sérieusement changer le discours religieux, il doit fermer l’université jusqu’à ce que soit faite une vraie réforme du contenu et de la méthode d’enseignement et qu’il ouvre la porte aux autres universités, comme celle du Caire, pour qu’elles intègrent des sections qui enseignent la charia d’une façon plus ouverte, basée sur les débats et la transmission des idées».
Le problème de l’indépendance d’Al-Azhar se pose également. Ahmad Ban, expert dans les affaires islamiques, explique: «Depuis la publication de la loi 103 sur la réorganisation d’Al-Azhar en 1961, elle est devenue dépendante du gouvernement. Lorsque le président Anouar Al-Sadate, durant les années 1970, a voulu éloigner les nassériens et les gauchistes de la scène politique, il a encouragé les Frères musulmans et les salafistes à émerger sur la scène. Il a donné un grand espace dans les médias à de grands leaders de la confrérie, comme Mohamad Al-Ghazali et Mohamad Al-Chaarawi. Si Al-Sissi décide de changer Al-Azhar, il devra transformer de fond en comble l’institution et développer un enseignement de la charia plus libre et plus pratique».
Droit de censure sur les programmes scolaires et la production culturelle et artistique
Durant les années 1980 et 1990, l’Etat égyptien a eu recours à Al-Azhar pour faire face à la vague intégriste à laquelle l’Egypte était confrontée. Al-Azhar s’est alors repositionnée en tant que seule institution en Egypte responsable du discours religieux et la seule représentante de l’islam modéré. Elle en a profité pour réclamer le droit de censure sur l’enseignement, les programmes scolaires et la production culturelle et artistique. Une situation que beaucoup d’intellectuels égyptiens appellent à changer aujourd’hui.
«Nous avons commencé, depuis un an déjà, une réforme de l’enseignement dans les facultés de l’Université d’Al-Azhar, du discours religieux des prédicateurs et des imams dans les mosquées afin que cesse l’enseignement de concepts religieux déviant de l’authentique foi musulmane, qui se sont répandus ces dernières années», déclare ainsi le sous-secrétaire d’Al-Azhar, Abbas Shouman. (apic/alahram/be)