Ecologie: en Terre Sainte, péleriner autrement
De nouvelles propositions de séjours ralentis, respectueux de l’environnement et des communautés chrétiennes locales voient progressivement le jour en Terre Sainte.
Clémence Levant à Jérusalem, pour cath.ch
D’ici le printemps, 10 tentes cloches se dresseront au milieu des terres agricoles des Muaddi, une famille palestinienne de Taybeh, le dernier village 100% chrétien de Cisjordanie. Prêtes à accueillir touristes et pèlerins à la recherche d’une expérience alternative et écologique en Terre Sainte. Loin des foules qui se déversent sur les lieux saints. Plus proches des gens qui la peuplent.
«L’idée c’est de proposer un hébergement tout confort, mais entièrement écologique et autonome énergétiquement», explique Fouad Muaddi, à la tête du projet familial qu’il a baptisé bariye, «sauvage», le mot utilisé dans le Nouveau Testament en arabe pour désigner ces lieux éloignés des villes, où Jésus aimait se retirer.
Visage rond et lunettes fines, le trentenaire, qui travaille par ailleurs pour la municipalité de Ramallah, est un passionné d’agriculture responsable et d’écologie. Les tentes ont été conçues et équipées avec des matériaux issus de la nature. Un processus chimique naturel permettra d’utiliser le méthane issu des eaux usées pour chauffer les tentes et l’eau. Des techniques auxquelles la famille a recours dans sa propre maison, et qui sont inédites dans la région.
En 2019, le pays a accueilli le record de 4,5 millions de touristes, dont 630’000 pèlerins chrétiens. «Les pèlerinages sont devenus du tourisme de masse. Les groupes ne se rendent que dans les grands lieux saints, sans prendre le temps de rencontrer les autres pierres, celles qui sont vivantes: les chrétiens locaux», regrette Fouad qui veut compléter l’expérience des tentes avec des propositions de randonnées, des introductions à l’agriculture et à l’héritage local.
Pas de côté
Même son de cloche chez Daoud Nassar. Ce chrétien palestinien possède une ferme dans les collines autour de Bethléem. La «Tente des Nations». Robuste, la peau tannée par le soleil, il se bat depuis 30 ans avec la justice israélienne pour en conserver la propriété et subit des attaques régulières de la part des colons voisins. Une pression psychologique pour les faire partir. Mais lui a choisi une «résistance active» et pacifique, ancrée dans ses valeurs chrétiennes. Depuis 2002, il accueille groupes, touristes et volontaires, pour témoigner de son histoire. «Il s’agit d’utiliser nos frustrations et nos déceptions de manière constructive, de voir les choses de manière positive, plutôt que de devenir un terreau pour la colère et la rancœur. Rencontrer les pierres vivantes de ce pays, les communautés chrétiennes locales, c’est les aider à se maintenir», expose Daoud Nassar.
Des pas de côté qui ont aussi tout leur sens dans des pèlerinages: «Le chrisitianisme est né ici, dans cette campagne palestinienne qui est encore imprégnée des traditions des premiers chrétiens», souligne Fouad Muaddi, dont le concept de tentes séduit déjà. Les réservations ont commencé pour la saison 2024, dont un groupe de trente pèlerins. Il faudra compter environ 70 francs la nuit.
Ralentir le rythme. Miser sur la qualité plutôt que sur la quantité. Sur les bénéfices aux communautés locales aussi. A Bethléem, ville de Cisjordanie occupée qui a vu naître Jésus, les acteurs du tourisme regrettent que les pèlerinages soient peu tournés vers la compréhension globale de l’environnement qui les entoure: «La ville n’est qu’une étape. Les pèlerins s’arrêtent à la basilique de la Nativité puis remontent dans leurs bus direction des boutiques de souvenirs affiliées. Ils encombrent et polluent la ville, utilisent le peu d’eau qu’Israël nous laisse, mais ils n’achètent pas dans nos boutiques», dénonce Rami Kassis, chef du Groupe pour un tourisme alternatif (ATG), une ONG palestinienne spécialisée dans des pèlerinages inspirés du concept de «tourisme de justice».
Le concept de pèlerinage alternatif n’est pas neuf. En 2013, Jérusalem, ville trois fois sainte, a tenté de devenir le porte-étendard d’un pèlerinage éthique, avec une conférence baptisée «Jérusalem, Pèlerinage Vert» et animée par la conviction que les religions ont une responsabilité dans l’éducation à la sobriété, et que les décisions motivées par la foi sont les plus durables.
Prendre le temps
Elle avait réuni les représentants des différentes religions dont l’actuel Patriarche latin de Jérusalem, Mgr Pierbattista Pizzaballa: «Cela fait partie de l’identité des pèlerinages d’être simples, sobres, et en connexion avec le territoire. Cela requiert cependant de fixer des priorités: il est impossible de vouloir tout visiter, et il faut penser des lieux d’accommodation plus simples que les hôtels», défend toujours l’évêque, en faisant le lien avec Laudato Si. La conférence n’a pas créé l’émulation escomptée. Les initiatives restent bloquées à l’échelle individuelle. Quelques agences tentent de s’emparer du sujet.
«Notre défi est de chercher à réconcilier la valeur du voyage et son empreinte écologique», expose Laurent Guillon-Verne, à la tête de l’agence française Terralto. Depuis un an et demi, il tente, à l’échelle de sa petite agence, de faire bouger les lignes. Objectif: appliquer les principes de l’écologie intégrale aux pèlerinages. Une démarche qui passe aussi bien par un travail sur la réduction du nombre de déchets plastiques produits lors des voyages (offrir des gourdes, limiter la vaisselle jetable…), qu’un traitement respectueux des correspondants et des fournisseurs sur place (ne pas dépasser les 12 heures de conduite des autocaristes), ou encore une offre renouvelée de pèlerinage.
«Plusieurs groupes nous ont dit qu’ils voulaient marcher, prendre plus le temps. Nous avons donc créé des «spitreck», des randonnées spirituelles en Jordanie, notamment», explique le voyagiste qui s’est rendu en Terre Sainte en janvier pour y faire de la prospection. Parmi les choses qu’il compte désormais proposer à ses groupes: un passage sur le site archéologique d’Hippos-Sussita, splendide cité chrétienne qui domine le lac de Galilée, ou encore le Chemin d’Emmaüs, une randonnée en pleine nature, qui «permettrait d’offrir un temps de relecture au groupe».
Dans un monde où le «vert» et le «durable» relèvent davantage du marketing, c’est tout un modèle qui reste à penser en Terre Sainte. «Pour que les changements se produisent en profondeur il faut que les hôtels, et tous les acteurs locaux se saisissent du sujet. Mais l’écologie est loin d’être une priorité, note Laurent Guillon-Verne. Il y aussi un travail à faire chez les chefs de groupe. Tant qu’ils n’auront pas vu les bénéfices d’un pèlerinage différent, ils ne passeront pas le cap.» (cath.ch/cl/bh)