Dossier «Secte Moon»

La «secte Moon» a-t-elle le vent en poupe en Suisse ? (280988)

L’Eglise de l’Unification : pas un partenaire du dialogue oecuménique

Genève, 2septembre(APIC/Jacques Berset) L’Eglise de l’Unification du Rév.

Sun Myung Moon, plus connue dans le public sous l’appellation de «secte

Moon», ne compte que quelques centaines de fidèles et «membres associés» en

Suisse et dispose dans notre pays d’un clergé d’une septantaine de missionnaires. Et pourtant, son dynamisme inquiète : est-elle vraiment, selon ses

propres dires, l’Eglise qui se développe le plus vite dans le monde ?

Le mouvement mooniste a fait parler de lui en Suisse lors du congrès de

la Ligue Anticommuniste Mondiale (WACL) à Genève le dernier week-end d’août

et à l’occasion du congrès sur la politique suisse en matière de sida qu’il

organise le 8 octobre à Berne au nom du «Forum national de réflexion politique». Les jeunes missionnaires de la secte Moon sont également de plus en

plus présents dans les villes de Suisse romande. Il ne se passe bientôt

plus une semaine sans que l’on ne les rencontre dans la rue, dans les magasins, voire dans nos propres bureaux cherchant à vendre leurs orchidées venant de Thaïlande. Ces jeunes au sourire irrésistible, se présentant comme

«missionnaires de l’Eglise de l’Unification» sont souvent si persuasifs

qu’ils réussissent même à vendre leurs bouquets dans des institutions religieuses.

Restrictions fribourgeoises et avertissements de la Berne fédérale

A Fribourg, cependant, des voix se sont élevées contre ce démarchage à

domicile. Au Service cantonal des patentes, M. Vonlanthen précise que ces

missionnaires de l’Eglise de l’Unification sont en principe en règle, mais

qu’il y a eu plusieurs plaintes contre eux, notamment à cause de leur réputation aux Etats-Unis et de plus en plus en Europe. Désormais, toutes les

patentes délivrées à ces missionnaires moonistes «seront passées au peigne

fin» et c’est le Département de la police qui devrait à l’avenir donner son

feu vert. Concernant la liberté du commerce, il n’y a rien à faire, relèvet-il, mais on s’achemine vers une pratique d’octroi restrictive. La situation juridique devrait cependant être clarifiée, pour éviter des recours.

Elle est actuellement à l’examen.

La Berne fédérale s’inquiète elle aussi de l’emprise de la secte Moon,

particulièrement aux USA. Un document intitulé «Nouveaux Mouvements religieux aux Etats-Unis» publié l’an dernier par la Section de protection consulaire du Département fédéral des Affaires étrangères met en garde les

jeunes qui se rendent aux USA contre le danger que représentent certains

nouveaux mouvements religieux, en particulier la secte Moon. Cette mise en

garde officielle a été envoyée à toutes les agences qui s’occupent de placement de jeunes Suisses aux Etats-Unis. Cette démarche plutôt inhabituelle, explique M. Algé Crettol, responsable de la protection consulaire pour

le continent américain, vient d’expériences douloureuses : il y a une vingtaine de cas de jeunes Suisses qui ont été recrutés par la secte Moon et

qui y sont toujours, malgré les démarches des familles. Des parents ont demandé l’aide de la protection consulaire, qui n’a pas tellement de moyens

juridiques à disposition.

Respect de la liberté religieuse

«Nous ne sommes pas contre la liberté de conscience ou la liberté religieuse, précise Algé Crettol, mais nous ne voulons pas que les adeptes

soient obligés de couper tout contact avec leurs parents… Nous luttons

contre cela; nous aidons les parents à revoir leurs enfants, mais ce n’est

pas notre rôle d’organiser du ’kidnapping’ ou du ’deprograming’». La protection consulaire suisse souhaite uniquement que le dialogue puisse s’instaurer entre les familles et leurs enfants et qu’ils ne soient pas totalement isolés. M. Crettol pense que ce sont surtout les jeunes esseulés qui

sont les cibles privilégiées de la secte. «Si ces jeunes ne sont pas immédiatement pris en charge, ils ne peuvent plus revenir, affirme-t-il, car

leurs techniques de recrutement sont très élaborées, et aux USA, en trois

semaines, les adeptes sont déjà programmés». Le problème, relève-t-il,

c’est que dans cette secte, le Révérend Sun Myun Moon et son épouse (la seconde, car il est divorcé de la première nda) sont présentés comme les

vrais parents, et les nouveaux adeptes doivent se distancer des parents

biologiques.

A Genève, Yves Nidegger, porte-parole pour la Suisse de l’Eglise de l’Unification et des nombreuses organisations qui en dépendent, réfute l’affirmation selon laquelle son mouvement contraint des jeunes et les prive de

liberté. Selon lui, les fidèles de l’Eglise de l’Unification sont des adultes et sont libres de la quitter quand bon leur semble. En Suisse, il n’y a

aucun procès contre l’Eglise de l’Unification, précise-t-il et une seule

fois, à Berne, des frères ont embarqué un jeune membre et l’ont gardé un

certain temps à la maison. Pour Yves Nidegger, son Eglise compte des

ennemis qui sont prêts à tout, l’accusant de lavage de cerveau ou de

soustraction d’enfants. «La presse, cela fait le même effet que les bûchers

sous l’Inquisition», déplore-t-il.

Si Mme Elsbeth Bates, d’Alstätten (SG), présidente de la Communauté

suisse de travail contre les cultes destructeurs, admet que c’est vrai pour

la Suisse, elle assure qu’il y a des procès aux Etats-Unis, en Angleterre,

en Allemagne. Son organisation, composée principalement de parents d’adeptes moonistes, s’oppose farouchement à l’Eglise de l’Unification et se

déclare favorable au «deprograming», une méthode parfois contestée de

«déconditionnement» appliquée aux adeptes de sectes. Elle révèle que cette

méthode consiste à organiser des «dialogues libérateurs» avec des anciens

adeptes afin que le jeune puisse sortir de sa dépendance psychique, et commencer à nouveau à penser par lui-même.

Les nombreuses organisations moonistes présentes en Suisse apparaissent

sous différentes dénominations, sans forcément annoncer tout de suite la

couleur. Ce sont : CAUSA, Académie Mondiale des Professeurs pour la Paix

PWPA, Fondation Culturelle Internationale ICF, Fondation Religieuse Internationale IRF, Nouvelle Association pour la Recherche oecuménique NEW ERA,

Mouvement Universitaire pour la Recherche de Valeurs Absolues CARP, Forum

National de Réflexion Politique, etc. Dans le cas du «Forum», plusieurs

personnalités invitées comme orateurs n’ont découvert que tardivement qui

était derrière cet événement. Se sentant piégées, elles se sont pour la

plupart désistées.

Relations avec la Ligue Anticommuniste mondiale (WACL)

L’Eglise de l’Unification est en effet très active au niveau politicoidéologique par le biais de sa filiale CAUSA et présente la lutte contre le

marxisme comme une croisade chrétienne. Yves Nidegger nie que son mouvement

soit derrière la Ligue Anticommuniste Mondiale (WACL), «bien que la condamnation du communisme fasse partie de nos impératifs moraux». Il admet toutefois que le président de la section japonaise de la WACL est en même

temps le responsable de l’Eglise de l’Unification au Japon. Il relève cependant que c’est le gouvernement de Taïwan qui fournit les principaux

moyens financiers de la WACL, et non l’Eglise de l’Unification : «dans ce

pays, le chapitre local de la WACL, c’est en quelque sorte le gouvernement». La WACL entretient également des liens étroits avec le gouvernement

sud-coréen. Tandis qu’en Suisse, la WACL, présidée actuellement par la conseillère nationale radicale Geneviève Aubry, ne représente pas du tout la

même force, et ses membres locaux se comptent sur les doigts d’une main. Il

n’y aurait jamais eu d’activités communes entre le mouvement mooniste et la

section suisse de la WACL.

Un impératif de la religion mooniste : la lutte contre le communisme

Yves Nidegger affirme qu’il n’y a pas de liens directs entre la «Théologie de l’Unification» et la lutte des «combattants de la liberté» ( par ex.

les contras antisandinistes du Nicaragua ou les «moudjahidines» afghans)

dans les maquis du monde entier, combats soutenus idéologiquement et financièrement par CAUSA International, la branche idéologique de la secte Moon.

«Pour les membres de l’Eglise de l’Unification, et à mon avis pour toute

personne décente, l’opposition fondamentale au communisme est un impératif

moral, cela fait partie des quelques questions tragiques comme la faim dans

le monde, et nous devons tout faire pour débarrasser l’humanité de ce fléau

majeur», relève le responsable mooniste.

La «Théologie de l’Unification» : pas une théologie chrétienne

Depuis plusieurs années, le mouvement mooniste, à travers des organisations comme «New Era» (dont le siège pour l’Europe est à Francfort), met

sur pied des colloques et des séminaires de formation oecuméniques et se

fait passer pour un partenaire du dialogue oecuménique auprès des Eglises

chrétiennes. Mais ce travail d’approche s’est heurté à plusieurs mises en

garde de responsables catholiques et protestants. Les évêques japonais, et

de nombreux autres responsables d’Eglise en Allemagne, en Suisse ou ailleurs, ont clairement réfuté la prétention de l’Eglise de l’Unification de

se faire passer pour une Eglise chrétienne. Selon Yves Nidegger, il y aurait même eu une demande d’adhésion de son Eglise en tant qu’Eglise

chrétienne au Conseil oecuménique des Eglises, ce que dément formellement

le pasteur Emilio Castro, secrétaire général du COE. Sans parler d’autres

divergences insurmontables, pour être membre du COE, il faudrait notamment

reconnaître la nature divine du Christ et le caractère trinitaire du Dieu

chrétien, ce que le «Principe Divin», la «bible» mooniste nie : «Il est

tout à fait clair que Jésus n’était pas Dieu lorsque nous savons que, sur

la croix, il s’écria : ’Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?’»

(Le Principe, p. 138). Pour les moonistes, le vrai Messie, c’est le fondateur de leur mouvement.

«Nulle part il n’est dit dans «Le Principe Divin» – qui est à un certain

degré la doctrine officielle du mouvement – que le Révérend Moon est le

Messie, affirme Yves Nidegger, mais cela dit, il y a des choses qui le

suggèrent, c’est certain et les membres de l’Eglise de l’Unification le

croient; concernant Jésus, il s’agissait d’un homme, parce que le Messie

est un homme et Sun Myun Moon est tout autant un homme que Jésus… Le

Principe explique ce qu’aurait dû être l’homme selon la volonté de Dieu

s’il n’avait pas chuté; pour le Principe, l’homme aurait dû atteindre la

perfection, Adam aurait dû atteindre la perfection et à partir de là devenir une image de Dieu complètement à sa ressemblance. Ce désir n’a pas été

accompli à cause de la chute et le Messie n’est autre que la personne qui

parvient à réaliser l’idéal de Dieu… Il y avait la volonté de Dieu

d’établir le royaume de Dieu sur la terre à travers Adam; la chute rend cela impossible, l’humanité devient tout à fait misérable».

Sun Myung Moon : le nouveau Messie qui reprend la mission de Jésus

«Puis, poursuit Yves Nidegger, vint le Messie, Jésus, pour aider cette

volonté inchangée de Dieu: établir le royaume de Dieu sur la terre. En

quelque sorte, la mission de Jésus n’a pas réussi, car Jésus a pris un chemin secondaire, qui n’était pas le chemin originel… En se sacrifiant sur

la croix, Jésus offre à l’ humanité un salut spirituel à travers la foi,

laissant le monde physique encore sous la domination du mal, offrant juste

une perspective spirituelle avec l’espoir d’un retour. Pour l’Eglise de

l’Unification, et pour de nombreuses autres Eglises, le moment est venu de

ce retour, moment ou la volonté de Dieu pourra être pleinement réalisée.

C’est la particularité des membres de l’Eglise de l’Unification de reconnaître en Sun Myun Moon le Messie à son retour, celui qui peut reprendre la

mission que Jésus avait à l’endroit ou elle s’était arrêtée… Ce n’est pas

une question pour nous de hiérarchie, de savoir qui est plus important de

Jésus ou du Révérend Moon, mais que la volonté de Dieu soit accomplie».

Pour développer l’implantation de son mouvement en Suisse, Yves Nidegger

souhaite que les moonistes suisses vivant actuellement aux Etats-Unis

rentrent au pays : «le mouvement pourrait doubler du jour au lendemain si

l’on rapatriait nos missionnaires à l’étranger». (apic/be)

28 septembre 1988 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 8  min.
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